Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

LES MARCHES, UN SPORT NATIONAL

par Yazid Alilat

De nouveau, on se remet à courir pour organiser des marches en Algérie. Ce n'est pas l'image subliminale de ?'Forrest Gump'', non. On marche pour un logement, un lot de terrain, contre les gaz de schiste et même parfois pour la politique. Comme ces marches de vendredi à Alger, Oran, Blida et Annaba notamment, qui avaient un lointain écho de ?'déjà vu''. Mais, bon, des manifestants sont sortis dans la rue exprimer leurs idées, eux aussi, et surtout dénoncer les attaques en règle, au nom de la liberté d'expression pratiquée dans les démocraties occidentales, contre la religion de plus de 1,5 milliard d'êtres humains.

Une marche qui a surpris et failli déborder, même si les appels sur les réseaux sociaux avaient été déjà captés et enregistrés. Cette fois-ci, il se trouve que les marches de protestation contre les caricatures blasphématoires de Charlie Hebdo ont cette particularité qu'elles coïncident avec un vaste mouvement de protestation déclenché il y a plus de deux semaines dans le grand sud du pays contre l'exploitation du gaz de schiste. C'est cette forme nouvelle de protestation citoyenne qui étonne et pourtant les marches sont interdites en Algérie. Les Algériens sont-ils fous pour braver cette interdiction, matérialisée par un imposant cordon de sécurité ?

La marche de vendredi, si elle explique ce ?'ras-le-bol'' des Algériens, ce désir de sortir dans la rue crier sa colère contre le diktat médiatique des tenants de ?'la liberté d'expression'' qui écrase tout sur son passage, ?'prophètes de Dieu'', politiques et même les comédiens comme Dieudonné, sauf ce qui est juif, ne donne aucune orientation vers cette manie des Algériens de s'exprimer rien que dans la rue. Car au grand Sud, les marches de protestation contre le projet d'exploitation des énergies non conventionnelles se poursuivent et semblent s'installer dans la durée. Ni le ministre de l'Energie, ni une délégation gouvernementale, encore moins les assurances des ?'spécialistes'' n'ont pour le moment convaincu les manifestants d'In Salah et de Tamanrasset de baisser la garde. Non, ils sont farouchement opposés aux gaz de schiste, au reniement de l'Etat de ses promesses de ne pas aller vers cette énergie avant... 2040. D'autant que dans les villes du sud du pays, on ne vit pas au rythme du Nord, connecté sur d'autres réalités sociales.

Ceux qui marchent dans les villes du sud du pays contre le gaz de schiste ne sont pas écoutés, pris pour des fous, encore moins leurs appréhensions sur les conséquences de l'hydrofracturation. Ils ont une eau saumâtre et leurs champs sont mangés par la remontée des eaux salines. Quel avenir ont-ils avec l'entrée en production des champs de gaz de schiste? Le débat n'est pas enclenché avec le pouvoir, qui s'obstine à seulement avancer les ?'bons arguments'', et la société civile reste absente du ?'décorum''. Alors, il ne reste plus à ces braves gens du Sud pour se faire entendre que de marcher et pourquoi pas brûler des pneus pour avoir gain de cause. Car dans le Nord, des milliers de manifestants comme eux organisent régulièrement des marches, des sit-in de protestation, coupent les routes et interrompent la circulation automobile en brûlant des pneus pour revendiquer un logement décent. Tous ces protestataires, enfin presque tous, ont été relogés ou en voie de l'être. Au nom de la paix sociale. Au point que les villes sont devenues bidonvilles et les campagnes urbanisées. En Algérie, marcher rapporte. On gagne souvent un logement, pourquoi pas alors un puits de pétrole?