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Un «seuil dangereux»

par M. Saadoune

L'Arabie Saoudite a fait l'actualité des dernières semaines de 2014 avec sa politique pétrolière qui suscite des interprétations diverses et parfois totalement contradictoires. Elle fait aussi l'actualité de ce début 2015 avec l'annonce de l'hospitalisation du roi Abdallah, 90 ans, pour cause de pneumonie. L'âge du souverain aidant, toute nouvelle sur son état de santé fait ressurgir des questions sur la succession. Formellement, celle-ci est déjà prévue.

L'actuel prince héritier et demi-frère du roi, Salmane ben Abdelaziz, 77 ans, est depuis juin 2012 le successeur désigné et rien ne devrait, à moins d'un formidable imprévu, entraver son accession au trône. Le roi Abdallah a également désigné, début 2014, au rang de second prince héritier, Moukrine bin Abdelaziz, le 35ème et plus jeune fils du fondateur de l'Arabie Saoudite. En théorie, la désignation du successeur et de son futur prince héritier est de nature à garantir une succession en douceur à la tête du royaume. Mais des analystes font état de désaccord au sein de la famille royale sur la désignation de Moukrine comme second prince héritier. Cela crée une grande marge d'incertitude car le roi détient non seulement le pouvoir de désigner le prince héritier mais également de le changer.

Ces appréhensions sur la succession interviennent dans un contexte économique marqué par une baisse sensible des prix du pétrole. Le ministre saoudien du Pétrole Ali al-Nouaïmi a beau marteler que l'Arabie Saoudite continuera à défendre ses parts de marché - et donc à rejeter toute idée de réduction de la production - l'impact sur les finances de l'Etat se fait sentir. Le budget de l'Arabie Saoudite pour 2015 est en hausse mais avec une prévision d'un déficit record de 38,6 milliards de dollars. Le milliardaire Al-Walid ben Talal a réagi en dénonçant un budget qui met le pays devant un «seuil dangereux» en commençant «à puiser dans les réserves».

Selon les projections, si les cours évoluent longtemps sous la barre des 50 dollars/baril, c'est la moitié des recettes pétrolières - 276 milliards de dollars en 2013 et quelque 248 milliards de dollars en 2014 - qui seront perdues. Le milliardaire ne critique pas le ministre du Pétrole pour sa politique de défense des parts de marché mais le ministre des Finances à qui il reproche de ne pas avoir serré sur les dépenses alors que les prévisions sur les recettes budgétaires sont en baisse. C'est clairement une critique de «riche» qui ne tient pas compte du fait que la monarchie saoudienne est, à sa manière, tenue de mener une politique sociale onéreuse pour entretenir l'adhésion.

Il est d'autant plus difficile de s'attaquer à cette politique «sociale» à la saoudienne que les idées radicales du Daech trouvent un réel écho chez la jeunesse saoudienne qui trouve dans le califat autoproclamé une traduction de l'idéologie dominante dans leur pays. Les autorités saoudiennes préfèrent ainsi le déficit - et rogner dans les réserves - plutôt que de prendre le risque de donner des motifs de contestation sociale dans un contexte politique délicat. D'où d'ailleurs la question, légitime, de savoir si le choix du ministre du Pétrole saoudien, qui ne fait pas l'unanimité en Arabie Saoudite, de ne pas défendre les prix serait tenable pendant longtemps. L'Arabie Saoudite a certes plus de marges que l'Iran, le Venezuela ou l'Algérie, mais elle a également besoin de recettes pétrolières substantielles pour préserver sa «paix sociale».