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Lamamra et les «eurocrates»

par M. Saadoune

Le chef de la diplomatie algérienne a fini par réagir aux déclarations «en off» et très critiques de diplomates et de députés européens à l'égard de la situation politique algérienne. Après des réponses en «off» qui avaient tendance à minimiser le discours rapporté par les journaux sur le manque de «visibilité» de l'Algérie pour cause de maladie du président, Ramtane Lamamra a fini par répondre de manière officielle aux «eurocrates» qui se comportent en «autocrates». Du grand «classique» avec le rejet des ingérences dans les affaires intérieures de l'Algérie que cela vienne des «Etats ou des organisations internationales».

La riposte aux propos tenus aux journalistes algériens se veut ciblée: elle ne vise pas le «nouveau président» et la «nouvelle représentante de la politique étrangère» ou les Etats membres de l'UE avec lesquels les contacts sont «bons». Elle vise plutôt des députés et des diplomates englobés dans le terme plutôt vague «d'eurocrates». Le terme est surtout utilisé par les eurosceptiques ou les souverainistes dans les pays européens pour exprimer leur défiance à l'égard de la «bureaucratie» européenne. Si le terme a du sens dans l'espace européen où les tensions entre espace national et domaine européen sont constantes, son utilisation par le chef de la diplomatie algérienne est surprenante. Ou alors ce n'est qu'un moyen de botter en touche. Car, ces «autocrates» européens, qu'ils soient fonctionnaires ou députés, ne sont pas quantité négligeable et ils font, eux aussi, la politique de l'Europe.

La réponse «diplomatique et ciblée» de M. Lamamra n'engage en rien. Il s'agit de réaffirmer le refus de l'ingérence sans pour autant créer une crise avec l'Union européenne. Le subtil distinguo entre les responsables officiels à la tête des structures de l'Union européenne et les «eurocrates autocrates» n'est en effet pas convaincant. A la limite, puisque ces eurocrates européens ont parlé en off et sans langue de bois, une réponse du même type aurait été suffisante. La réponse de Lamamra risque de ce fait d'être interprétée comme l'expression d'un malaise et d'une inquiétude face au signal que les importants partenaires européens ont envoyé. Car, ils ont bien envoyé un message politique qui dispense le «nouveau président» et la nouvelle chef de la diplomatie européenne d'avoir à le faire. Cela s'appelle un «partage des tâches».

L'Europe a des intérêts en Algérie et elle a choisi la voie la moins «coûteuse» diplomatiquement de transmettre une inquiétude. Le dernier passage d'une délégation de l'Union européenne en Algérie a donné lieu à des dénonciations, excessives, de la part des partis au pouvoir qui n'ont pas apprécié qu'elle rencontre des membres de l'opposition. Aujourd'hui, on a le sentiment que les officiels s'agacent surtout de voir les Européens transmettre leur «message» à des journalistes algériens. Une question de forme, comme s'il s'agissait de rappeler qu'ils ont le «monopole» de la discussion avec l'extérieur. Mais ils oublient que l'accord d'association, signé par l'Algérie officielle, comporte un volet politique. Et que les intérêts économiques, importants, de l'Europe l'amènent naturellement à s'intéresser à ce qui se passe en Algérie.

Il faut rappeler que jamais l'Union européenne n'a été critique à l'égard du gouvernement algérien, sans doute parce qu'elle pense que ses intérêts sont protégés. Les eurocrates, pour reprendre M. Lamamra, n'ont fait que traduire une inquiétude «européenne» sur les incertitudes politiques algériennes qui sont, largement, débattues en Algérie. La riposte «ciblée» de M. Lamamra n'y changera rien.