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Contreparties gênantes

par M. Saadoune

Le dernier otage français au Mali a été libéré par Al-Qaïda au Maghreb islamique. Le philanthropisme ne faisant pas partie de l'univers mental d'Aqmi, on sait, sans besoin de faire le limier, qu'il y a eu une contrepartie. De l'argent a été probablement versé. Des djihadistes ont été libérés, cela est déjà une certitude.

Technique rodée, le gouvernement français aidé par les médias met l'accent sur l'émotionnel. Cela n'est pas insincère, des familles retrouvent l'un des leurs après des années de captivité cela crée nécessairement de l'émotion. Et en même temps cela permet de ne pas trop s'étaler sur les contreparties gênantes. Officiellement, la France dit ne pas payer de rançon mais comme le dit, en l'approuvant d'ailleurs, un député français, il y a toujours «quelqu'un qui paye». Les Etats s'accommodent avec les principes et se donnent une marge tout en continuant à marteler avec aplomb qu'ils sont contre le paiement des rançons.

Mais cela n'enlève rien au fait qu'Aqmi et les «intermédiaires» auront ramassé de l'argent et que le «budget» de l'organisation terroriste s'est amélioré. Dans le cas de la libération de Lazarevic, ce n'est pas une éventuelle contrepartie financière qui suscitait, hier, le plus de critiques. C'est la libération de quatre djihadistes, à l'implication avérée dans des meurtres pour certains, qui suscite le plus grand des malaises.

Le président de l'association malienne des droits de l'homme, Me Moctar Mariko, l'a dit avec beaucoup de force : «Si c'est un succès pour la diplomatie française, pour moi c'est une grave violation des droits des victimes maliennes. Car c'est nous qui souffrons au Mali. S'il faut échanger un terroriste malien contre un otage français, nous n'avons plus notre raison d'être. Notre gouvernement ne défend pas les populations». Le frère d'un gardien de prison malien tué par l'un des djihadistes libérés est encore plus direct : «Qu'est-ce que cela veut dire ? Que la vie d'un Noir vaut moins que la vie d'un Blanc ? Que mon frère compte pour rien ?!».

Colère légitime mais la réalité des Etats l'emporte. Le chef de l'Etat français s'est donné pour objectif d'en finir avec le problème des otages, il a atteint son but. Le Mali qui est en situation de dépendance totale à l'égard de la France ne pouvait rien lui refuser. Le succès du gouvernement français est à double tranchant. Il n'y a plus d'otages français mais les groupes terroristes ont la preuve, une fois de plus, que s'ils prennent un Français en otage ils pourront toujours ouvrir des négociations. D'où d'ailleurs l'appel lourd de François Hollande aux Français de faire preuve de prudence dans un monde dangereux. Cela vaut pour d'autres Etats européens qui ont accepté de payer plutôt que d'opter pour le choix des Américains et des Britanniques de ne pas payer. Entre les deux options, le débat n'est pas près d'être tranché.

Mardi à Oran, le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, appelait à une «universalisation» de l'interdiction du paiement des rançons qui, a-t-il dit, renforcent les groupes terroristes et étendent leur sphère d'action. C'est devenu un leitmotiv du discours de la diplomatie algérienne. Le «principe» a cependant beau être partagé par de nombreux Etats, il n'est pas nécessairement appliqué.