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Entre une République usée et deux écueils

par K. Selim

Face à l'impasse politique algérienne qui dure, en s'aggravant, depuis octobre 1988, il n'existe pas de solution facile. La «rue», à moins d'avènement de situation imprévue ou de bévue économique et sociale monumentale du régime, n'est pas disposée à aller au «casse-pipe» à la demande des politiciens. Qu'ils soient rouges, verts ou ultralibéraux. Mais cette prudence des classes populaires - qui ont payé cher durant les années 90 - ne donne pas une perspective à cette «République usée», selon l'expression utilisée par le sociologue Ali El-Kenz. Et le mot n'est pas trop fort.

Les mécanismes de la cooptation sont grippés faute de «consensus» interne. Aucun pôle au sein du système ne semble avoir suffisamment d'hégémonie pour pouvoir imprimer un mouvement. L'état d'impotence est total. La faiblesse du champ politique - du fait du verrouillage et des entreprises de discrédit menées par les agents du système - n'a pas permis à une alternative de mûrir. Le changement paraît, aux acteurs et aux intérêts qui composent le système, une menace, un saut vers l'inconnu. «N'ayez pas peur du changement, il ne se fera pas contre vous», a lancé le FFS aux tenants du système pour les convaincre qu'il ne faut pas s'accrocher à un édifice vermoulu. A une «République usée». Le message a été poliment reçu mais il ne passe manifestement pas.

Cela signifie que les Algériens n'ont pas encore débattu «sérieusement» de ce qu'il faut faire pour libérer un pays d'une paralysie qui dure et permettre à ses enfants d'exprimer leur créativité. Et leur productivité. Les Algériens ne sont pas «inaptes» à faire de bonnes choses, ils peuvent se remettre au travail - car, il faut le dire, on ne travaille pas assez et pas sérieusement - et rendre leur pays plus humain, plus fonctionnel. L'Etat est important dans un pays qui en a été si longtemps privé. Sa défaillance se paye très lourdement. Le pouvoir gagne par la force, le pays perd dans une dilapidation des ressources par les nantis et par une riposte, terrible, par l'incivisme généralisé de classes populaires. La politique doit servir à aider le pays à se penser et à chercher le moyen d'entrer, enfin, dans un cercle vertueux.

Les intérêts des dominants, leur peur aussi, constituent une entrave lourde. Il existe une «culture» chez les tenants du système - nourrie, il est vrai, de pratiques brutales - qui veut que la seule garantie qui vaille est de rester au pouvoir, dans les rouages. On ne quitte jamais le pouvoir si on n'en est pas éjecté. On parlera constamment de «flambeau à remettre» mais pour s'y accrocher de toutes ses forces. Et par toutes les manœuvres. La société algérienne est travaillée par cette «maladie» et elle attend des différents acteurs politiques, sociaux ou de «ceux qui pensent», de l'aider à trouver la thérapie. Comment rassurer des intérêts «installés» qui fonctionnent sur la captation des rentes et les convaincre qu'ils ont tout à gagner à avoir un pays qui fonctionne, qui produit, qui croit en l'avenir. Qui ne désespère pas ses enfants. Une thérapie délicate qui commande de ne pas se tromper. De ne pas faire dans la facilité ou, pire, être dans une logique de partage des dépouilles.

El-Kenz, encore lui, estime aussi qu'il est urgent de protéger le pays «des ambitions de formations politiques pressées qui, comme dans le film de Zorba le Grec, se bousculent autour d'une république usée». Et aussi des dynamiques extérieures qui cherchent à ramener l'Algérie à «meilleure docilité». Les Algériens doivent trouver une solution avec un régime malade et un double écueil à éviter. Le changement ou la «transition» n'est une promenade que pour les aventuriers ou pour les nuls en politique.