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Répétition

par M. Saadoune

Le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, qui s'excuse auprès des dirigeants turcs et émiratis - en attendant les Saoudiens et les Qataris - de les avoir mis en cause dans la montée des Daech en Syrie et en Irak, cela relève de l'incongru. Une situation que même les téméraires scénaristes de Hollywood n'imaginent pas. Sauf si l'objectif est de faire un navet? Et pourtant, de manière très officielle, le vice-président s'est bien excusé d'avoir dit tout haut ce que les Turcs, Saoudiens, Emiratis et autres Qataris ont fait ouvertement en Syrie, sans se cacher, certains d'avoir l'appui du «centre».

Devant les étudiants de la John Kennedy School of Government de l'université de Harvard, il a dit en substance que ces pays ont donné des centaines de millions de dollars et des milliers de tonnes d'armes à tous ceux qui voulaient se battre contre Al-Assad. Et qu'ils ont copieusement fourni le Front Nosra, Al-Qaïda et les extrémistes djihadistes venus d'autres régions. La remarque n'est pas passée inaperçue et Erdogan, homme hyper-médiatique, est monté sur ses grands chevaux en exigeant des excuses de Joe Biden. Ce dernier l'a exaucé en précisant, le diable étant toujours dans le détail, qu'il n'avait pas dit que les amis avaient «intentionnellement» financé le terrorisme.

Le vice-président des Etats-Unis fait preuve d'une «souplesse» dans la communication qui n'enlève rien à la «pertinence» de l'assertion. La seule vraie objection à faire à son discours sur le terrorisme est que la Turquie et les monarchies du Golfe ont agi avec l'aval des Etats-Unis et des Occidentaux. Nul n'ignorait que ce ne sont pas les «laïcs» ou les «démocrates» qui faisaient la guerre en Syrie. Nul n'ignorait non plus les circuits que les candidats au djihad empruntaient en toute légalité.

 Les dirigeants occidentaux ont eux-mêmes tenu un discours sur la Syrie qui a rendu «légitime» le départ des centaines de leurs citoyens sur le théâtre de la guerre. Et si aujourd'hui on a décidé de les «traiter» comme des terroristes potentiels, cela n'était pas le cas au début du conflit en Syrie. La tendance était - et elle demeure - de faire capoter toute possibilité de solution politique en tablant sur une chute rapide du régime. Ou, plus probablement, sur une longue guerre d'usure aboutissant à l'affaiblissement de la Syrie et à son émiettement. De ce point de vue, c'est une «réussite».

La Syrie, si tant qu'elle existera toujours, a été ramenée à des siècles en arrière, elle ne pèsera plus grand-chose au plan politique et militaire. Elle est sur le même «plan» appliqué en Irak. Les régimes du Golfe et la Turquie clament leur «innocence» au lieu de dire aux Américains : «Mais, nous l'avons fait ensemble». La vérité a ses limites, il est vrai. Joe Biden qui parlait à des gens sérieux - les étudiants américains de Harvard - ne s'est pas trompé sur les faits. Il a omis de dire que les Etats-Unis avaient les moyens d'empêcher les «amis» d'agir aussi légèrement mais qu'ils ne l'ont pas fait en toute connaissance de cause. Biden s'est «excusé» mais son message en direction des vassaux est bien passé : désormais, c'est nous «seuls» qui déciderons de la «bonne opposition» à soutenir.

Il y a quelques jours, un haut gradé du Pentagone indiquait que les frappes aériennes contre Daech ne seront pas suffisantes et qu'il faudrait former une force de 15.000 à 20.000 hommes de la rébellion syrienne pour le combattre. Il ne reste plus qu'à demander aux forces armées saoudiennes de se charger de cette formation !

On fait un autre Daech présumé «sous contrôle» pour faire la guerre au Daech créé par le déversement du fric et des armes sur la Syrie. Le propos n'a pas été commenté, le puissant flux d'information venant de l'Occident imposant des lectures à sens unique et décidant des nouvelles «négligeables». Et pourtant, ce propos du général américain est important car il illustre parfaitement le «jeu» qui se pratique dans la région : on crée des situations monstrueuses et on fait mine de s'étonner de voir apparaître des monstres.