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Le syndrome du Km 35

par M. Saadoune

Dans le monde entier, les zones frontalières sont un espace où les habitants des deux côtés profitent des avantages mutuels qui procurent des niveaux d'imposition et de prix différents. Les Etats ont tendance à s'en accommoder car si les écarts entre les prix peuvent être intéressants pour les frontaliers, ils ne le sont pas pour ceux qui vivent un peu plus loin des frontières. L'Algérie n'est pas dans ce cas de figure. L'écart est si grand entre les prix soutenus en Algérie et ceux qui ont cours au Maroc et en Tunisie que cela génère, automatiquement, une activité lucrative qui ne se limite pas aux avantages dont profitent en général les frontaliers.

Le trabendo aux frontières de l'Algérie n'est donc pas une situation où les habitants frontaliers profitent des avantages qu'offrent deux pays. C'est une activité économique, illégale, qui se fait au détriment de l'économie du pays. Il n'est pas anormal qu'un Etat montre régulièrement qu'il n'entend pas tolérer ce type d'activité et déploie les moyens de la répression. Trop de laisser-faire crée un sentiment que ce qui est formellement illégal est autorisé et suscite de nouvelles vocations. Quand les « hallabas» se rendent loin des wilayas frontalières où les vis ont été serrées pour s'approvisionner en carburant destiné à «l'export», cela montre à quel point la manière dont est gérée l'économie du pays génère le trabendo.

La liste des produits soumis à autorisation de circuler mise à jour par le ministère des Finances a créé le syndrome du km 35 chez les commerçants des zones frontalières de l'ouest du pays. Ces commerçants, grossistes comme détaillants, s'estiment soumis à des règles «spécifiques» qui en font tous des suspects de pratiquer le trabendo. Leur grogne, ils sont parvenus à la transmettre aux habitants qui subissent une flambée des prix. Il a suffi qu'ils fassent la grève des approvisionnements pour que les prix soient pris de folie. Et que les trabendistes n'aient plus besoin d'envoyer leur produit au Maroc pour dégager de gros «bénefs». Au final, les trabendistes gagnent toujours. Tous ceux qui dans les zones frontalières crient à «l'encerclement» et à «l'embargo» ne sont pas des saints tant l'économie de ces régions s'est, avec le laisser-faire de l'Etat, installée dans cette activité lucrative et facile. Mais tous effectivement ne sont pas des trabendistes.

Le recours aux mesures administratives qui, il faut le souligner, ne sont pas spécifiques à l'Algérie, est en général une action tardive visant à essayer d'endiguer un mauvais penchant. Les coûts des transferts de marchandises dont les prix sont soutenus en Algérie pèsent effectivement lourd. C'est ce qui enlève aux échanges frontaliers de l'Algérie la banalité qu'ils ont dans d'autres pays. Ce ne sont pas les frontaliers marocains qui profitent des prix en cours en Algérie, mais c'est un transfert illégal qui s'organise pour alimenter toute une partie de l'économie régionale du Maroc. L'Algérie est la seule perdante et lourdement. L'Etat algérien, pour des raisons politiques, ne veut pas aligner ou rapprocher les prix des carburants sur ceux pratiqués chez les voisins. C'est un levier efficace pour tuer le trabendo qui sera, un jour ou l'autre, inévitable. En se contentant des leviers administratifs - et répressifs - ciblant les zones frontalières, il crée une crispation chez les citoyens de ces régions. Qu'il faudra essayer de calmer? ? Comment ? C'est toute la question. Ce ne sont pas seulement les frontaliers qui souffrent du syndrome du km 35 mais toute l'économie du pays.