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DERAPAGES VULGAIRES

par K. Selim

Abderrezak Mokri a redonné des couleurs au MSP après le laminage par la platitude qu'a été Boudjerra Soltani. Il vient cependant de commettre son premier dérapage à la Sellal en évoquant dans une réplique aux accusations de Louisa Hanoune le «verre de vin» qu'elle arborait durant une de leurs discussions outre-Méditerranée. Certes, Mokri ripostait à une quasi-accusation d'être un «agent» américain de la part de Mme Louisa Hanoune dont l'anti-impérialisme dérape, un peu trop souvent, dans la négation du patriotisme chez les adversaires présumés. Mais Mokri a perdu une occasion d'engager un vrai débat sur l'appropriation indue et exorbitante du patriotisme en mentionnant, comme un dard vengeur, ce «verre de vin», en représailles d'une accusation de félonie.

La plupart de ceux qui s'intéressent encore à la politique ne retiendront de sa riposte à Mme Hanoune que la divulgation déplacée, car strictement hors de propos, d'un comportement privé qui n'a absolument rien à voir avec le débat politique. Même ceux qui estiment outrancière la propension de Mme Hanoune et d'autres à ranger les opposants au pouvoir dans la case des «agents» de Freedom House et? de la CIA ne peuvent accepter ce dérapage dans le caniveau. Mokri a perdu son sang-froid, il aurait pourtant gagné à le conserver. Car cette phrase coup bas - elle n'était pas accidentelle - n'est pas seulement inutile, elle renvoie une image misérable de celui qui l'a proférée. Elle est contre-productive car elle signale que les professions de foi démocratique et de modération (wassatiya) qu'il professe ne sont qu'un vernis circonstanciel. Boire un verre n'est pas une matière de débat public.

M. Mokri se pose en tant qu'un homme politique, pas en imam et en l'occurrence il s'égare dans les marges du bigotisme et se trompe radicalement de registre. Il lui reste beaucoup d'efforts, une immense marge intellectuelle et culturelle à rattraper pour prétendre être un autre Ghannouchi. Le prétendu moralisme démagogique conduit presque systématiquement au dérapage dans les tréfonds de la vulgarité. On est loin de la hauteur de vue minimale et du code de l'honneur quand on s'abaisse à qualifier de «faible d'esprit» et de «vilaine» un adversaire politique. L'argumentaire est affligeant mais ô combien révélateur. Il y a pourtant matière à analyser et déconstruire ce discours qui atteint le niveau obsessionnel sur le complot extérieur présumé dans lequel on implique, sans aucune forme de procès, des Algériens qui ne sont pas d'accord avec le pouvoir ou qui sont contre le 4ème mandat.

Les mots et les choses ayant été dénaturés par des pratiques viciées et insincères, il y a bien matière à relancer des débats sur ce qui était présumé «acquis». Qu'est-ce qu'en effet le patriotisme aujourd'hui dans un pays qui régresse à vue d'œil dans l'anomie et où l'Etat se réduit aux appareils de sécurité ? Qu'est donc ce monopole démonétisé du patriotisme quand des jeunes Algériens se filment dans une barque de fortune en vogue pour un ailleurs fantasmé en nous lançant un terrible «on vous le laisse ce pays» ? Ce jeune, hilare, sur sa chaloupe incertaine qui nous balance goguenard un «vive la liberté wal banane», n'est-ce pas un crève-cœur ? N'est-on pas bouleversé de ne pas avoir su ou pu donner un pays raisonnablement vivable à ces jeunes qui embarquent la tête farcie d'illusions ? Sont-ils le fruit d'un complot «ukrainien» tous ces jeunes qui sont totalement déconnectés d'une histoire réduite à n'être qu'une source de «légitimation» chaque jour plus superficielle ? Que vaut cette posture paranoïaque de la légitimité par l'histoire quand dans une cité portant le nom d'un moudjahid, des enfants de l'Algérie de 2014 se livrent une guerre aberrante au nom du quartier voire du gang.

 IL Y A DANS LES DISCOURS DE CEUX QUI FONT LA POLITIQUE EN S'APPROPRIANT DE MANIERE FACTICE LE PATRIOTISME - COMME S'ILS ETAIENT LES UNIQUES ET AUTOPROCLAMES «GARDIENS DE LA NATION» - TOUT COMME DANS LES DERAPAGES STUPIDES SUR LES CHAOUIAS ET LES VERRES DE VIN LE SYMPTOME INQUIETANT D'UNE PLONGEE AVEUGLE DANS LA PREHISTOIRE DE LA POLITIQUE. CES ACTEURS DE L'INVECTIVE, DU VENT ET DU VIDE OCCUPENT UN ESPACE POLITIQUE QUI EXIGE D'AUTRES NIVEAUX QUALITATIFS. ILS NE MESURENT PAS, EVIDEMMENT, LE ROLE DELETERE QU'ILS ASSUMENT DANS LA DEGRADATION DES USAGES ET DES MENTALITES.