Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

FAIT DIVERS

par K. Selim

Beaucoup de gens raisonnables nous invitent à ne pas voir dans les démêlés judiciaires de Dominique Strauss-Kahn, ci-devant directeur général du FMI, un reflet symbolique des relations entre riches et pauvres d'un monde déboussolé où la morale la plus élémentaire n'est plus de mise. Le parallèle entre la condition de la victime, femme de chambre immigrée guinéenne, et celle du présumé coupable, tout-puissant candidat virtuel à la présidence de la République française, serait trop facile. Le rapport inégal entre une travailleuse au plus bas de l'échelle et une star richissime de la «gauche» caviar est tellement disproportionné qu'on nous invite à ne pas le voir. Le fait divers est si emblématique qu'il pourrait passer pour une caricature.

 Le journaliste Johann Hari, de notre confrère britannique «The Independent», va au-delà de la personnalisation et de la schématisation. Dans un article factuel et pédagogique publié hier, Johann Hari estime que la mise en accusation de son désormais ex-patron vaut également pour l'institution de Washington.

 Le FMI est bel et bien coupable, toutes présomptions confirmées, d'avoir littéralement violé des pays entiers et d'avoir condamné à la famine des populations parmi les plus déshéritées de la planète. Pour Johann Hari, qui étaye impitoyablement son réquisitoire, la mission du Fonds monétaire international consiste fondamentalement à capter les ressources financières globales au seul bénéfice des plus riches.

 L'auteur illustre son propos par deux cas d'école particulièrement révélateurs des objectifs réels et des méthodes que le FMI dissimule derrière un rôle officiel de sauveteur en dernière instance d'économies sinistrées. Au service des banques multinationales, le FMI a imposé à la Hongrie et au Malawi des médications standard que nous connaissons bien en Algérie.

 Dans le premier cas, les Hongrois ont très simplement et démocratiquement rejeté la prescription favorable aux banquiers des sorciers de Washington, pour appliquer une démarche autonome qui a permis au pays de se sortir de la crise en atténuant les dégâts sociaux. Le pauvre Malawi, quant à lui, a accepté les conditionnalités proprement meurtrières du FMI : les banques ont été payées par la vente des réserves de céréales destinées à prémunir la population des aléas de mauvaises récoltes. Ce qui devait arriver advint : la récolte suivante fut mauvaise et des milliers de citoyens sont précisément morts de faim. La responsabilité de ces morts est directement imputée au FMI par au moins une association d'aide au Malawi. Devant le désastre, les autorités de ce pays ont interrompu leurs relations avec les mauvais génies du FMI et, par des mesures rationnelles, ont rétabli une situation catastrophique.

 Johann Hari met en exergue l'absurdité dévastatrice des recettes du FMI pour tous les pays qui ont accepté la bouée en plomb de l'ajustement structurel. Le soi-disant changement impulsé par Strauss-Kahn quand il dirigeait le Fonds est également ramené à sa réalité : un pur exercice rhétorique servi par une très efficace stratégie de communication. Si le discours, plus «social-démocrate», avait changé, la thérapie est restée la même.

 Ainsi, selon le journaliste britannique, la mise en accusation du FMI est largement aussi justifiée que celle de son ancien patron. Les souffrances indicibles infligées à des dizaines de millions de personnes ont peu d'écho dans une société médiatique dirigée par les mêmes intérêts que ceux qui pilotent les institutions multilatérales.

 Mais les dieux de l'information sont ironiques : la dictature du fait divers aboutit parfois - trop rarement, hélas - à de salutaires éclaircissements.