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Une fois de plus
l'état de notre système de santé est sous le feu des projecteurs des médias et
des citoyens. Malheureusement ce qui doit être sujet à un débat serein et
démocratique a tourné à la polémique.
Celle-ci, quand elle est basée sur la conviction de détenir la vérité absolue, sur une vision étriquée des intérêts d'une corporation, et opposant aux contradicteurs des slogans au lieu d'arguments, ne peut être génitrice que de fractures. Tandis qu'un débat démocratique porté par la société est géniteur de solutions consensuelles, surtout lorsqu'il s'agit de la santé, laquelle, on ne le dira jamais assez, est un facteur de cohésion sociale. Ce sont les débats démocratiques qui font avancer les Nations. Lors de cette polémique l'on a tenté d'analyser les causes des dysfonctionnements du système de santé, mais plutôt d'une manière superficielle. Et parmi les causes, la gratuité des soins occupe une large place. La revendication de son abrogation est dans l'air du temps, depuis quelques années, celui de l'économie de marché. Défendre la gratuité des soins serait un archaïsme des années 70. Alors débattons-en ! Avançons dans le débat et cessons de nous focaliser sur un événement local, même grave, dont les conséquences sont regrettables. En tant qu'acteur et observateur privilégié de notre système de santé, j'ai pu constater avec satisfaction et en toute objectivité un frémissement dans le sens positif dans le secteur (ouverture de nouvelles structures, relance de la construction des CAC, plan national cancer, projet portant la loi sanitaire, etc.) chacune de ses actions aurait dû inciter au débat. Les sociétés modernes actuelles rangent la santé parmi les quatre valeurs qui les fondent avec l'emploi, la sécurité et le développement durable. C'est pourquoi elles proclament que la protection sanitaire de la population est une mission régalienne de l'Etat. En Algérie cela se traduit par la nécessité d'édifier un système de santé garantissant l'équité d'accès et le même niveau de prestations pour tous les citoyens. Ceci tirant sa source des traditions de solidarité de notre société et l'engagement politique de la Proclamation du 1er Novembre 1954 a édifié « un état démocratique et social ». Le rappeler à chaque fois que cela est nécessaire n'est ni la langue de bois ni du populisme, encore moins un archaïsme des années 70. Mais c'est la base d'un projet d'une société égalitaire, peut-être pas tant une société sans classes, mais celle où tous les citoyens sont égaux dans l'accès aux soins et à l'éducation. Un système de santé n'est pas un problème technique mais politique intégré dans un projet de société. Des pays développés, tels que la Suède, la Grande-Bretagne ou la France sont cités dans certaines contributions comme exemple pour leurs systèmes de soins. Cependant, il faut savoir que la définition de la gratuité de soins, son application et ses modalités diffèrent d'un pays à un autre. Comme pour l'Algérie, c'est en corrélation avec leur niveau de développement, l'organisation de leur système de santé, l'importance de son financement, et leur histoire. L'on se réfère souvent au système français, lequel par sa dimension sociale, reste l'un des plus performants du monde. Cette dimension sociale de son système de santé, comme pour les raisons historiques que j'ai citées plus haut pour l'Algérie, est liée intimement à son histoire : la Révolution de 1789, la Commune de Paris de 1871, des luttes ouvrières de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, le Front Populaire de 1936, et les événements de Mai 1968. L'on voit que toute tentative dans ce pays, de «grignotage» des acquis sociaux, et particulièrement dans la santé, mobilise toute la société. Seule la droite ultra-libérale ou ceux qui pensaient naïvement que la mondialisation est la solution aux crises multidimensionnels qualifient ces mouvements sociaux d'archaïques ou passéistes. La crise grecque excluant du système de santé de larges pans de la société devrait nous faire réfléchir et nous pousser à un débat national. Les conclusions consensuelles de ce débat engagent l'avenir de la nation. C'est pour cela qu'il est important que chaque notion, chaque terme soient précisés et clarifiés. Aussi, est-il important de ne pas faire l'amalgame entre le niveau de prestations et l'accès à tous les citoyens aux soins, quel que soit leur niveau social. Il faut d'abord expliquer clairement aux citoyens la notion de prestation des soins. La vérité est que ne peut assurer le même niveau de soins que le pays qui consacre 30 à 100 fois plus de ressources financières à ses dépenses de santé par habitant. L'Etat se doit par contre d'assurer les mêmes soins à tous les citoyens sans aucune contrainte financière, sous peine de voir exclus du système de santé de larges couches de la société. Tous les économistes de santé savent que la participation toujours plus grande des ménages aux dépenses de santé élimine des soins les couches les plus pauvres et même moyennes. Selon l'OMS, quand la participation des ménages atteint 50%, c'est tout le système de santé qui risque de s'effondrer. Cependant l'on sait qu'aucun pays dans le monde, même parmi les plus nantis, ne peut assurer une «couverture médicale universelle» à 100 % de ses citoyens. Et c'est là que notre Etat et notre société se doivent de relever le défi pour qu'aucun citoyen ne soit exclu des soins. A ce niveau de réflexion, nous touchons au cœur du problème et la recherche de sa solution. Pour édifier un système de santé, il est nécessaire et essentiel après évaluation des résultats du système de santé sur la base des 5 indicateurs de l'OMS, entamer un débat national démocratique, dirigé par des experts nationaux et internationaux, qui devra répondre aux questions essentiels : -Quelles missions pour le système ? -Quel objectif pour le système ? -Que doit-il offrir en termes de prestations ? -Qui doit les offrir (public/privé) ? -Dans quelles conditions doivent-ils les offrir ? -Qui doit en bénéficier et dans quelles conditions ? -Quels ressources et moyens pour les réaliser ? -Comment en garantir l'accès notamment aux plus démunis ? -Comment s'assurer de la prise en charge en conformité avec les objectifs retenus ? Les réponses à ces questions vont permettre de dégager les axes de travail essentiels pour l'élaboration d'une politique de santé. L'on peut observer aisément qu'à chacune de ces questions posées précédemment « transperce » le problème du financement. C'est la mobilisation de ressources et leur utilisation rationnelle et optimale qui sauvera le système national de santé avec la pérennisation de la gratuité des soins. Sur le terrain cela va se traduire par une réorganisation et restructuration de notre système de santé, par la hiérarchisation des soins, la définition des programmes de santé, tenant compte des données démographiques et épidémiologiques, mais aussi des possibilités matérielles, humaines et surtout financières pour leur réalisation. Définir la place et le rôle du secteur privé dans la restructuration du système de santé. Enfin, la santé « n'a pas de prix » mais elle a un « coût ». Ce qui donne l'obligation morale de tenir compte des possibilités financières non seulement actuelles mais surtout en se projetant dans l'avenir. En dernier, l'application rationnelle du programme de santé ne peut se réaliser sans la mise en place d'une carte sanitaire régionalisée. A ce niveau c'est une guerre que l'on mène pour la santé des citoyennes et citoyens algériens. L'argent, dit-on, est le nerf de la guerre. Aussi, l'on ne peut gagner que les batailles pour lesquelles on dispose de moyens. Aussi, je souhaite aborder dans cette contribution le volet financement du système de santé. Cette contribution se veut une participation personnelle à un débat dont on ne pourra faire l'économie, s'agissant du devenir ou de la pérennisation de la gratuité des soins même selon, peut-être, d'autres modalités. Il faut d'abord savoir que les évolutions technologiques, dans le diagnostic, et les nouvelles molécules dans le traitement, rendent le coût de la santé de plus en plus cher. C'est pourquoi il est nécessaire de trouver de nouvelles sources de financement pour la santé afin de respecter les recommandations d'institutions internationales. La déclaration il y a 30 ans d'Alma-Ata qui recommande à l'ensemble des nations que « promouvoir et protéger la santé est essentiel au bien-être humain et au développement économique et social ». Puis, la déclaration 58-30 de l'Assemblée mondiale de la santé de 2005 déclarant que « tout individu doit pouvoir accéder aux services de santé sans être confronté à des difficultés financières ». Notre système de santé est financé à ce jour par des dotations budgétaires de l'Etat, un forfait « hôpitaux » de la sécurité sociale et une participation des ménages. Or notre économie basée sur la rente pétrolière, peut entraîner une révision à la baisse du budget de l'Etat. Vu le coût de la prise en charge d'un patient, généré par les technologies de pointes et le prix des nouvelles molécules, la sécurité sociale pourrait se trouver en difficulté par l'obligation de conventionnement du secteur privé et le remboursement en rapport avec la réalité des prix, et une baisse de cotisation due au chômage. Enfin, la participation toujours plus grande des ménages va éliminer de l'accès aux soins de larges pans de la société. En élaborant un système où chaque citoyen peut accéder au servie de santé sans subir les contraintes financières, tous les gouvernements font face à 3 questions : -Comment un tel système de santé est-il financé ? -Comment peuvent-ils protéger les conséquences financières liées à la maladie et aux paiements des services de santé. -Comment peuvent-ils encourager une utilisation optimale des ressources ? Ce qui présente un obstacle pour le financement d'un système de santé pour son optimalisation c'est l'utilisation inefficiente et inéquitable de ressources. Selon l'OMS, 20 à 40 % des ressources de santé sont gaspillés, et ce en fonction du degré d'organisation du système. Dans son rapport sur la santé dans le monde et notamment dans le chapitre relatif aux financements des systèmes de santé (2010), l'OMS recommande aux gouvernements de promouvoir l'efficience et éliminer le gaspillage. En fait, ce n'est pas tant l'impératif de collecte suffisante d'argent pour la santé, mais la possibilité d'obtenir d'avantage avec les mêmes ressources. C'est l'exigence de garantir que les ressources sont utilisées d'une manière efficiente. Dans ce même rapport l'OMS propose des solutions : -Obtenir le maximum des technologies et des services. -Motiver les professionnels de santé. -Améliorer l'efficience de l'hôpital (taille de l'hôpital et durée de séjour). -Obtenir immédiatement de bons soins en réduisant les erreurs médicales. -Eliminer le gaspillage et la corruption. -Evaluer d'un œil critique les services requis. Comment dans notre pays ces recommandations peuvent-elles être traduites sur le terrain ? Tout d'abord il est nécessaire de trouver d'autres sources de financements. Il faut être imaginatif et trouver des sources qui collent à la réalité du terrain. Le ministère de la Solidarité, celui de l'Education pour la médecine scolaire, les Collectivités locales, à titre d'exemple, se doivent de participer à l'effort de financement de notre système de santé. Mais aussi, à l'instar d'autres pays, l'on doit pouvoir mettre en place des taxes adaptées à notre réalité économique. Ainsi le Gabon a-t-il institué une taxe sur l'utilisation des téléphones mobiles. La Thaïlande des taxes élevées sur les tabacs et les alcools dont une partie est versée pour le financement de la santé. Tous ces fonds doivent être versés dans une caisse commune tel un fonds d'équité en matière de santé pour couvrir les frais de santé des démunis. Cependant, quelle que soit l'importance d'un budget de santé, il ne peut couvrir la population que s'il est utilisé rationnellement en promouvant l'efficience et éliminer le gaspillage comme on l'a dit plus haut. Dans la pratique pour promouvoir l'efficience, c'est l'organisation, la structuration rationnelle du système de santé. Il s'agit de la hiérarchisation des soins, la définition des missions des structures à chaque niveau, et l'élaboration d'un cahier des charges évaluable. C'est sur ces bases que chaque structure se doit d'élaborer un plan directeur de développement, évalué financièrement, mais dans le cadre de santé défini par la politique de santé. Pour plus d'efficience il est essentiel de remettre à niveau les structures et surtout de normaliser les effectifs, pour une meilleure maîtrise de la masse salariale qui grève les budgets des structures. Pour éliminer le gaspillage il faut une gestion rationnelle et transparente sur la base d'un programme précis. L'on sait que la consommation financière des médicaments représente une large partie des budgets de fonctionnement des structures de santé, ainsi il faudrait abandonner les médicaments chers quand des options plus abordables et aussi efficaces sont disponibles. Eviter l'utilisation abusive des médicaments et particulièrement les antibiotiques chers, par l'amélioration des diagnostics et la prescription d'ordonnances «chargées». Eviter les grandes variations dans les prix par les négociations entre importateurs et fournisseurs, en créant un mécanisme de controle, notamment pour éviter les surfacturations. Le médicament est un produit stratégique, assurant la bonne santé des citoyens, c'est pourquoi l'Etat doit être vigilant par son implication dans la régulation du marché. La grande innovation dans notre système de santé sera l'introduction d'une manière définitive de la « contractualisation ». Celle-ci va permettre plus de transparence dans l'élaboration des budgets et de leur évaluation. Il s'agit d'un contrat qui liera chaque structure de santé, chaque professionnel de la santé, avec le ministère ou une institution nationale ou régionale. Ainsi, il faudra passer d'un système de financement de structures à un système de financement par activité. Ce qui implique forcément une révision des statuts des hôpitaux, en leur accordant une liberté de gestion. Ainsi, chaque structure négociera son financement sur la base de son programme de développement en tenant compte des missions qui lui sont dévolues par des textes de lois, en tenant compte de ses possibilités matérielles et humaines. Ainsi sera élaboré le cahier des charges. La contractualisation des professionnels de la santé permettra un équilibre judicieux de la masse salariale. Ainsi les revendications rentières, auxquelles on donne des réponses tout aussi rentières, s'élimineront d'elles même: exemple les primes de rendement ne peuvent être uniformes pour tous les personnels, si l'on tient compte de l'activité de la structure et de la pénibilité de la spécialité. C'est ainsi que se fera la mobilisation des personnels de santé autour d'objectifs clairs. Dans ce même cadre, l'autonomie de gestion de l'hôpital lui permettra d'envisager d'autres ressources de mobilisation financières (convention avec des mutuelles pour certaines spécialités, avec des entreprises dans le cadre de la médecine du travail, etc.). La négociation du secteur privé avec les assurances maladies relatives aux conventions, au niveau de remboursement lequel doit tenir compte du coût réel des prestations, permettra une meilleure visibilité et un meilleur contrôle financier de celui-ci. En conclusion, je ne peux que renouveler mon appel à un débat national, comme je l'ai fait depuis des années lors de mes différentes contributions dans la presse nationale. Cependant, ce débat ne doit pas prendre la forme d'assises- alibis, devenant un lieu de grande foire plutôt que celui propice à la réflexion. Ce débat se doit: - D'être démocratique, le plus large possible, regroupant l'ensemble des professionnels de santé, des sociétés savantes, de la société civile, des économistes et des anthropologues de santé, des sociologues? - Doit de se situer au-dessous des considérations politiques et idéologiques, car la santé, et je le réécris, de par ses dimensions sociales et humaines, est un facteur de cohésion sociale. - Doit d'être basé sur les réalités d'aujourd'hui, structurant sa transformation dans une perspective claire et transparente. Les perspectives devraient être un système de santé organisé, performant n'excluant aucun citoyen. |
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