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«Et je savais
pour quoi désormais le décor était planté. » Julien Gracq, Le rivage des Syrtes
Jusqu'à la mise à prix de la tête du fugitif en dollars, et non en monnaie locale, et la photo du même fugitif frappée d'un wanted diagonal, tous les ingrédients d'un feuilleton yankee sont réunis. Le reste de la série qui se déroule en permanence, en Iraq, en Afghanistan, au Pakistan et bientôt en Syrie est déjà devenu d'une saisissante banalité. Mais le cas libyen permet d'observer, de façon frappante, et effrontément cynique, la voracité empressée des puissances occidentales, en l'occurrence les Etats-Unis et l'Union Européenne, à l'endroit des territoires à conquérir, aux fins d'une mainmise sur leurs ressources stratégiques. Cette voracité non déguisée, baptisée par l'euphémisme burlesque de printemps arabe, et curieusement relayé par l'ensemble des médias de la « bien pensance », a eu pour théâtre originel la Tunisie, l'Egypte puis le Yémen et ensuite la Libye et la Syrie, devient ouvertement insatiable. Elle compte bien s'étendre à d'autres pays dont le travail de fragilisation ou de déstabilisation à déjà commencé. Et tous les prétextes sont bons pour déclencher la sale besogne. C'est dans ce but, et seulement dans ce but, que les États-Unis et l'Union européenne introduisirent, soudainement dans leur vocabulaire idéologique la nouvelle panacée, comme variante droithommienne : la sacro-sainte Protection des Populations Civiles (PPC). Une protection à coups de bombes, dont ces mêmes populations sont, tout naturellement, les premières victimes. Etrange conception de la protection. L'agression brutale contre la Libye, s'est basée, comme on le sait, sur une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, ou siègent les membres de l'OTAN, résolus, avant même l'adoption de la résolution, à bombarder les cibles définies par eux et/ou par leur services présents sur le sol libyen. Services ayant pour mission «d'encadrer efficacement» les insurgés, reconnus comme étant non expérimentés. Comme le souligne Eric Dénécé, directeur du Centre français de Recherche sur le Renseignement. «Les insurgés étaient totalement incapables de faire quoi que ce soit militairement. L'instruction et l'encadrement des insurgés aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest les a amenés à être un peu moins mauvais en matière militaire.» Citant, un conseiller à la Défense français, assurant, déjà en avril, au Nouvel Observateur: «Il ne faut pas se leurrer, le but est quand même de professionnaliser les combattants libyens pour qu'ils puissent conquérir du terrain et certaines villes. Et pour cela il faut les aider sur les armements et sur des planifications opérationnelles pour leur apprendre à mieux résister. Enfin, « Je peux vous dire, selon mes sources, qu'il y avait déjà en Libye, avant le déclenchement des frappes aériennes, des agents infiltrés français, britanniques, américains, égyptiens, émiratis et italiens», assure encore Eric Dénécé. De quelle victoire, alors, ces insurgés préfabriqués, qui se transformèrent, en quelques jours et par les miracles d'un glissement sémantique, en rebelles puis subitement en révolutionnaires, peuvent-il se targuer ? Et quel type de «révolutionnaires» sont-ils ? Il y a quelque amusement, d'ailleurs, à se demander depuis quand les USA et l'U.E sont-ils aux petits soins avec les révolutionnaires ? Ces révolutionnaires tant glorifiés dans les pays arabes et si détestés en Amérique latine? Loin de tout idéal révolutionnaire, et en toute constance, les États-Unis et l'U.E n'entretiennent, de toute évidence, que des rapports d'intérêts et de domination avec l'ensemble des pays arabes voire de la planète. Quand ils prétendent y faire autre chose, ils mentent effrontément. Et c'est ainsi que les « bombes humanitaires» larguées, de façon diluvienne sur des quartiers civils de Libye, PPC oblige, n'avaient d'autre objectif, contrairement aux mensonges de l'Otan et des USA, que de faciliter l'avancée des «révolutionnaires» de pacotille, vers le but ultime, Tripoli, symbole du pouvoir à éradiquer. Pouvoir, faut-il le souligner, détenu par un psychopathe délirant, durant quatre décennies et dont la disparation est, bien entendu plus que bienvenue. Mais cette disparition, souhaitée par toute personne sensée, ne doit pas voiler la vérité. Encore moins absoudre les crimes contre l'Humanité perpétrés par l'Union Européenne et les Etats Unis. Selon le Commandement conjoint allié de Naples, «l'OTAN a effectué, en moins de cinq mois, plus de 20mille raids aériens, dont 8mille attaques par bombes et missiles. Cette action, aux chasseurs-bombardiers qui larguent des bombes à guidage laser d'une tonne, dont les têtes pénétrantes à l'uranium appauvri et tungstène peuvent détruire des édifices renforcés, se sont joints les hélicoptères de combat, dotés des systèmes d'armements les plus modernes. Parmi eux, le missile à guidage laser Hellfire, qui est lancé à 8Kms de l'objectif, utilisé par les avions télécommandés Predator/Reaper. Les objectifs sont repérés non seulement par les avions radar Awacs, qui décollent de Trapani (côte sud-ouest de la Sicile), et par les Predator italiens qui décollent d'Amendola (Foggia, province des Pouilles), en survolant la Libye 24h/24. Ils sont aussi signalés - par les rebelles. Ceux-ci, tout en étant « mal entraînés et mal organisés », sont en mesure, grâce des technologies fournies par des pays de l'OTAN, de transmettre d'importantes informations au team OTAN en Italie, qui choisit les objectifs à frapper» indiquent, sans rougir, au New York Times les responsables de l'OTAN et des forces US. De toute évidence, si ces insurgés sont arrivés à Tripoli, c'est dû non pas à leur capacité de combat, mais au fait que les chasseurs-bombardiers, les hélicoptères et les Predator de l'OTAN le leur ont permis. Ainsi la mort de plus d'un millier de civils libyens et la destruction des infrastructures socioéconomiques, sanitaires et culturelles est une opération de protection et de défense bien originale de ces mêmes civils. Un remake de la prise de Baghdâd mais à partir du ciel. Un remake car pour Baghdâd aussi, la guerre psychologique et la propagande avaient commencé par des accusations de possession d'armes de destruction massive, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité commis par le « Dictateur » sanguinaire et son régime barbare. Toujours selon le même scenario. Des sanctions économiques qui précédent systématiquement l'appel impérieux au départ du dirigeant pestiféré d'abord par les USA, auxquels emboitent le pas la France, l'Italie, l'Allemagne et le Royaume uni. S'ensuit, comme dans tous les cas, la réactivation d'une «opposition démocratique» ou d'un Conseil de Transition ou de Coordination, reconnu illico presto par les puissances occidentales et gratifié de toutes les vertus démocratiques. On retrouve immanquablement dans ces oppositions et ces conseils, des figures connues pour manger goulûment dans le râtelier occidental ou encore des frustrés instrumentalisés de la dernière heure auxquels on fait miroiter un avenir politique mirobolant qui a été contrarié par le régime maudit. Il suffit d'observer la composante humaine du CNT libyen pour comprendre toute l'ignominieuse régularité de ce scenario à répétition. Ce conseil composé d'une quarante de membres mais qui n'a dévoilé que les noms d'a peine la moitié, non pas pour une prétendue raison sécuritaire mais tout simplement parce qu'il s'agit de pourris du régime, d'opportunistes affairistes et d'activistes islamistes notoires, connus et fichés par ces mêmes services occidentaux, qui sont allés les former et les encadrer à Benghazi avant de les lâcher en hordes hagardes sur les chemins dévastés par les bombardements intensifs et répétés. Des pantins dont on se met à vanter, sans la moindre retenue ; à l'instar de ce rentier de la pensée français, philosophe de service attitré, la bravoure et le courage, devant une armée de professionnels et des armements lourds qu'ils affrontent à mains nus. Mais quand on a l'OTAN et l'ONU de son côté n'est-on pas capables de tous les miracles ? Y compris celui de défaire un Etat en quelques semaines sans avoir la moindre idée de ce que peuvent proposer ces Protecteurs mondiaux pour le remplacer, hormis les mots creux de Liberté et de Démocratie, comme ce fut le cas dans les pays, déjà désarticulés. Et c'est précisément pour cela que la reconnaissance officielle du Conseil national de transition (CNT) libyen comme étant la nouvelle autorité légitime de la Libye, s'est opérée hâtivement hors du cadre onusien et avant même l'organisation de la moindre élection « démocratique » dont ces protecteurs bien intentionnés sont si friands. Reconnaissance en boule de neige d'un CNT fantoche au moment ou la simple évocation du projet d'annonce de l'Etat palestinien devant cette même ONU, septembre, a provoqué une levée de boucliers. Mais les intérêts stratégiques, c'est bien connu, autorisent toutes les entorses au droit international. Celui que ces organisations mondiales s'évertuent à bafouer, sans vergogne, précisément au nom de son observance et de son respect. Tout doit être sacrifié aux rapports de force à l'échelle planétaire c'est-à-dire à la redéfinition du nouvel ordre expansionniste et de prédation au nom de la Sacro-sainte Protection des Populations Civiles et de sa Majesté La Sérénissime Démocratie. Un nouvel ordre impérialiste qui affiche manifestement sa préférence monarchique. Et ce n'est pas un hasard si l'étendard du roi Senoussi a supplanté le tissu vert de Kadhafi en Libye. Ce qui s'y passe incite à se demander, au-delà du satisfecit distribué tapageusement à la Tunisie et à l'Egypte par le nouvel Ordre de la Prédation, ce qui a vraiment changé dans ces pays, depuis la survenue de ce prétendu « printemps arabe », aux promesses déjà piteusement fanées ? Une fois ce CNT libyen installé, sous contrôle, aux commandes politiques du pays, que va-t-il réellement apporter ? Une quarantaine de personnes encadrées par les services de sécurité occidentaux est-elle en mesure de concevoir et de concrétiser un projet de société conforme aux aspirations d'un peuple, longtemps opprimé ? Et, enfin, quel impact attendre sur l'équilibre régional maghrébin, quand on sait qu'un pays comme le Maroc s'est déjà empressé de dépêcher son ministre des affaires étrangères muni d'une lettre de son roi, auprès de ce même CNT, avec pour objectif déclaré d'instrumentaliser la question du Sahara occidental et surtout le dessein avoué, et cyniquement jubilatoire, d'isoler l'Algérie. Il s'agit, indubitablement, d'une imposture aux relents pestilentiels. |
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