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La bureaucratie, le square Port-Saïd et la corruption

par Reghis Rabah*

Il ne suffit pas de constater devant un hémicycle de représentants du peuple, du jour au lendemain, que le marché de devise du square Port-Saïd « est une banque à ciel ouvert » (01). Désormais, ce constat est devenu une évidence visible à l'œil nu par le commun des mortels. Penser une seconde l'enrayer avec une loi ou des contraintes policières est incontestablement un leurre. Il s'agit d'un lieu de rencontre de demandeurs et d'offreurs et sa présence au Port-Saïd n'a rien de symbolique mais choisi par des circonstances. Ces offreurs et demandeurs, s'ils décampent du Port-Saïd, ils se rencontreront ailleurs parce que les pouvoirs ont compris qu'il s'agit d'un besoin social élargi à celui des activités économiques par la force de la régulation de ses circuits. C'est le seul marché qui tend vers la perfection, car sa variation est quasi dépendante de l'offre et de la demande et difficilement accessible par les forces exogènes. La preuve, la Banque centrale, qui détient le monopole officiel du marché monétaire, n'a pu l'enrayer, pourtant elle veille à ce que la monnaie soit stable pour éviter que le circuit économique connaisse des dysfonctionnements incontrôlés. Elle a donc préféré de l'approcher par des mesures d'une manière progressive malgré sa stricte interdiction; il reste toléré d'où la présence des milliers de lieux de change dans chaque ville en Algérie.

Ces deux marchés vivent côte à côte en fonction d'abord de l'utilité qui renvoie à la demande et l'offre disponible parfois discutable surtout dans son évaluation globale en ce qui concerne le marché parallèle que « certains » s'aventurent à l'estimer à 10 milliards de dollars. Il est clair que la Banque centrale n'a pas failli pour œuvrer à la stabilité du dinar sur le marché officiel déstructuré par le volume des importations certes nécessaires, mais a subi l'effet d'une forte inflation, voire stagflation due au Covid-19 pour que l'euro atteigne en 2022 160 dinars, aujourd'hui, il revient à 144 dinars. Le marché parallèle, par contre, continue de fluctuer en fonction de l'utilité pour atteindre aujourd'hui : 1 euro à 231 dinars avec le retour des omras.

1-L'Algérie n'est pas la seule dans cette dualité des taux de change. Les pays qui, par un tripotage de leurs démarches économiques ont subi une dégradation de leur situation ces dernières décennies, ont opté pour une dépréciation fréquente de leurs monnaies comme voie pour rechercher les équilibres financiers. Ils ont, par cette solution, favorisé les marchés parallèles de change. La Banque mondiale a recensé 24 dont 14 ont « un écart entre le taux officiel et le taux parallèle supérieur à 10% (02), l'Algérie en fait partie. Pour l'analyse de la BA, ces taux parallèles sont « onéreux et exposent les participants au marché à de fortes distorsions, ils sont associés à une accélération de l'inflation, entravent le développement du secteur privé et les investisseurs étrangers provoquant un ralentissement de la croissance ». Dans une telle configuration apparaîtra une iniquité entre les acteurs qui peuvent se procurer des devises aux taux officiels et ceux qui sont contraints de s'adresser aux marchés parallèles. Cette situation favorisera la constitution d'une niche pour la corruption par la surfacturation au détriment du Trésor public. Donc, c'est à ce niveau que les pouvoirs publics devront faire attention au lieu de s'adonner à la répression sous cette pression parlementaire pour faire plaisir à son électorat. Non seulement elle agit en conséquence mais tente de freiner le processus de surfacturation qui lui-même pourvoyeur des devises au marché parallèle.

Il faut reconnaître, lit-on dans ce document de la BA, l'Algérie est mieux classée dans la liste des 24 Pays émergents et en développement (PEPD). Elle est 10e dans cette liste mieux que l'Argentine et l'Ethiopie, retenus par les 5 du Brics. En effet, son écart entre le taux officiel et celui parallèle se situe actuellement autour de 60% contre 90% en Argentine et 88% en Ethiopie. 3- C'est au niveau de la bureaucratie qu'il faut mettre tout son poids. Le président de la République l'a dit lui-même lors de la deuxième rencontre avec les walis qui a débuté par un discours d'ouverture, en sortant de ses gonds contre ce qu'il a appelé en la circonstance « les forces d'inertie » qui freinent la mise en œuvre de son programme par retarder son démarrage effectif, bloquer son évolution en répondant des fausses informations par un noyautage de l'administration (03). C'est la première fois où il abandonne carrément son discours écrit pour vider son cœur sur ce qu'il a appelé « une contre-révolution qui œuvre contre la stabilité du pays ». Elle s'oppose au changement pour passer à cette deuxième république. Il parle même de rapports falsifiés qui lui parviennent.

En homme averti, une telle situation ne devrait pas l'étonner, car même si la « Essaba », comme il l'appelle lui-même, est en déconfiture, le système et l'ordre établi en vigueur depuis près de six décennies avait déjà tissé ses tentacules qui ne peuvent disparaître du jour au lendemain. Il était déjà victime de son dynamisme lors de la mission de Premier ministre que lui a confiée son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika. Rappelons, même si cela nous renvoie à des mauvais souvenirs, que la déroute des législatives du 4 mai 2017 s'est achevée avec un désintérêt total des citoyens à travers le faible taux de participation et surtout les scandales de l'argent ont fait réfléchir le clan au pouvoir pour trouver un artifice afin de gagner en crédibilité lors des prochaines échéances électorales, notamment le cinquième mandat. L'astuce est simple, « séparer l'argent de la politique » sous forme d'un slogan pour faire marcher le peuple sans pour autant penser un instant à l'appliquer sur le terrain. Il se trouve que contrairement aux anciens chefs de gouvernement qui se référent constamment à la hiérarchie, Tebboune a montré à travers les secteurs qu'il a eu en charge de mettre en œuvre ce qu'il inscrit pour une concrétisation effective. C'est un calcul que les décideurs n'ont pas pris en compte d'où son limogeage immédiat en moins de 3 mois dans le poste. Aujourd'hui, les lobbies de l'intérieur comme de l'extérieur agissent comme des virus pour pervertir tout ce qui est utile pour l'intérêt général en perspective afin d'aboutir au chaos et revenir sous une autre forme pour perpétuer ce qu'on a l'habitude d'appeler le « système » qui n'est qu'un ordre établi où chacun trouve son compte sauf l'intérêt de la nation. 2- Comment se tissent les liens de la bureaucratie. Il faut souligner à juste titre que ce fléau social est passé du stade de phénomène de société à une institution qui fonctionne selon sa propre logique et établit ses propres règles. Ce maillage se tisse progressivement et à travers le temps en deux stades : le noyautage puis l'encanaillement.

Le recrutement familial, la politique de copinage et le népotisme favorisent le premier pour permettre une solidarité dans les deux sens. Cette solidarité tisse les liens et sécrète l'opacité nécessaire à la vie du système. Ensuite vient la phase de l'encanaillement durant laquelle chacun des agents du système contribue à l'extension du réseau par des opérations donnant/donnant, de manière qu'à chaque fois qu'on touche à un élément de la roue, c'est toute la roue qui vous tombe sur la tête. C'est en fait un ordre établi où chacun trouve son compte. Mais tout cela se fait avec les instruments de l'Etat et au détriment de l'intérêt général. Plus le temps passe, plus ce phénomène prend de l'ampleur pour s'accaparer de tous les pouvoirs. La corruption règne mais ne gouverne pas en Algérie. Ceux qui gèrent ne sont que des lampistes encanaillés.

Cette omerta cultive l'opacité et renforce le monopole et le pouvoir qui sont des éléments positifs dans l'équation de l'économiste Robert Klitgaard. (04). Ceci a fait dire à un averti du sujet pour l'avoir étudié en long et en large : « l'information, la transparence, le contrôle, la réforme, la participation populaire et la citoyenneté sont les maîtres mots d'une avancée nécessaire qui se déclinerait en libertés à conquérir, en responsabilités à prendre, en ouvertures du pouvoir à d'autres secteurs de la société. Il faudrait pratiquer des brèches dans le mur bétonné du silence, redéfinir la loi pour ramener les institutions près du peuple, casser les monopoles politiques, militaires et économiques pour donner à cette société la possibilité de se battre pour elle-même et de devenir une société de citoyens et, enfin, déstructurer les réseaux de la corruption? » (05). Aucune avancée démocratique ne reste possible tant que le système fonctionnera suivant cette logique de l'omerta où chacun détient un dossier sur son compère. Il faut donc s'atteler aux vrais problèmes qui entravent sérieusement la mise en place des réformes au lieu de les compliquer par des faux problèmes parfois insolubles que par l'application de mesures alternatives : le change parallèle en est un.

*Consultant, économiste pétrolier

Renvois

(01)-https://l.facebook.com/l.php?u=https%3A%2F%2Fwww.tsa-algerie.com%2Fmarche-noir-de-la-devise-en-algerie-un-depute-denonce-le-square%2F%3Ffbclid%3 DIwAR0aUDIsZDTKpg FSGNd07wYSVW4udWI1EkjUjj-wI7UaO7ydNmHoIXRf2j0&h=AT3Q5yRznuiYWRE1-b7T0kdEgfVeXSYbBsiJ ywWZ6s2ilmziGdNvYkf6UayTFC9nY1H Mh0p2F9cNhjkqdSQ0DkzwhDOoL2 WyWP9OqmohiE_DAd 907OLqEe6TBXllGRpAlHkwLA(02)-https://blogs.worldbank.org/fr/opinions/taux-de-change-paralleles-developpement?fbclid=IwAR3o jQEVvR2jwlubP15eRoy4lHG1WwOQjWX-uqTFzcko8rKTVKEeVvJ8KeM(03)https://www.youtube.com/watch?v=rcHJ9QJk puI&fbclid=IwAR1RERvDdq UfjzxLhDbLPOU3B620nKI4 408Vugs92pFHCrzec8O9pF6CjE4(04)-Pour comprendre les causes de la corruption, Klitgaard (1998) propose de conceptualiser la corruption comme un système représenté par la formule : C =M +D?A (corruption égale monopole plus pouvoir de discrétion (discrétion en anglais) moins imputabilité qui le caractère de ce qui est imputable, de ce que l'on peut imputer à quelqu'un. (05)-https://www.elwatan.com/archives/actualites/il-ny-a-aucune-volonte-politique-pour-combattre-la-corruption-2-08-12-2016