|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Pour les dirigeants en place,
le cap de la présidentielle (au 12 décembre ou reportée) est un impératif. Leur
choix d'ignorer les revendications à caractère politique du mouvement populaire
du 22 février rend impossible tout dialogue national sur la transition (du
régime prévalent depuis 1963 - démocratie populaire - vers une nouvelle
république). Ce choix pèse lourd dans la balance des alternatives politiques de
solution à la crise algérienne actuelle.
Dans tous les cas de figure, il y a pour la Hirak deux issues : (1) rester dans le pacifisme et laisser-faire ou (2) empêcher le déroulement du scrutin présidentiel (avec ou sans moyens pacifiques). Chacune de ces voies mérite d'être examinée à part entière et séparément. 1- Des cinq candidats nominés, un sera élu (probablement lors d'un 2ème tour de cette présidentielle - ce qui est inédit dans l'histoire politique de notre pays. Il ne pourra gouverner avec l'actuel Parlement (Assemblée et Sénat) ni avec le gouvernement en place. Des élections générales seront provoquées (avant ou après le prochain Ramadhan, aux alentours de jeudi 23 avril 2020. Ces instances (ou constituantes ou reconduites) auront nécessairement à examiner le point nodal de l'édifice institutionnel du système politique algérien : les pouvoirs exorbitants du président de la République (tels que Bouteflika se les est accordés le 6 mars 2016). 1.1- Supposons que le Hirak engage un bras de fer, lors des marches pacifiques après le 12 décembre avec les nouveaux dirigeants (nouveau Président, nouveaux dirigeants militaires, nouveau gouvernement) afin qu'ils s'engagent à aller vers une Assemblée Constituante où (il est espéré que) des représentants du Hirak siégeront (mais il n'est pas sûr qu'ils le soient tous - démocratie oblige !). A) Il s'agira alors de refonder dans toute son intégralité la Loi fondamentale de l'Article 1 aux « dispositions transitoires » - jouant un rôle majeur dans le timing de la mise en œuvre effective de la transition institutionnelle, généralement actée entre 18 à 36 mois. Mais avant cela, nos futurs représentants auront à débattre du contenu de chaque article, un par un. Ce processus en lui-même prendra du temps. Combien ? Partons de l'idée que chacun ait conscience de l'urgence et que, malgré les désaccords et les oppositions, l'on adopte un texte (au bout de 6, 12, 18 mois voire plus), il faudra organiser un référendum, suivi (ou pas) par des nouvelles élections générales (d'où émergera une majorité gouvernementale et donc un nouveau gouvernement, etc.). Ce qu'il faut retenir de cette voie c'est le temps de son déroulement : entre le 12 décembre et la prochaine majorité gouvernementale - sans prendre en compte les « dispositions transitoires » - c'est, au moins, un demi-mandat présidentiel qui est consommé. En y intégrant ces « dispositions, c'est le mandat entier. La 2ème République se mettra en marche en 2024. B) L'on opte pour une « révision constitutionnelle ». On aura immédiatement à décider du mode d'adoption de cette révision : référendaire ou parlementaire - la voix du peuple ou la voix de ses représentants. Dans la première, il est exclu que l'actuel Sénat (remodelé ou pas) garde ses prérogatives et surtout ses modalités d'érection (avec le scandaleux tiers présidentiel introduit par le président Zeroual). Notre Chambre basse voudra - malgré la formation d'un gouvernement issu de sa majorité - plus de pouvoir, allant donc vers un parlementarisme titillant. Dans la seconde (parlementaire), une majorité de composition surgira, laissant à plus tard la question sénatoriale (probablement introduite dans les « dispositions transitoires »). Mais cette sortie de crise n'est pas sans risque car le contrepoids sénatorial n'est pas à sous-estimer (nous le voyons avec la procédure d'impeachment introduite par les démocrates américains face aux républicains). On ne peut sous-estimer les legs en hommes, réseaux de clientèles et mentalités du « système », cet édifice FLN - RND régnant ces trente (30) dernières années avec ses tentacules dans les collectivités territoriales, administrations centrales et organisations bancaires & financières, associatives & informelles. 1-2- Supposons maintenant que le Hirak laisse faire - ignorant totalement la politique menée par ce président élu issu du « système ». Il reste spectateur - mais toujours contestataire (« Yetnahaw ga3 »). Ce président n'est pas un intérimaire (à l'instar de l'actuel chef de l'État) ; et même s'il est cautionné et a donné des garanties (du genre : « deux-tiers Président », soit n'intervenant nullement ou peu dans les restructurations qui verront le jour au sein de l'ANP surtout à la suite des affaires de corruption qui l'ont éclaboussée - une question d'une extrême sensibilité au vu des conflits historiques datant d'avant l'indépendance entre les commandements des forces armées et les services de sécurité), il aura à gérer le nouveau rapport de forces introduit par le Hirak entre les anciens du système Bouteflika et les réformateurs (de tout acabit) à l'intérieur même de ce système. Il prônera donc des changements (des « réformettes » selon certains) afin d'asseoir son pouvoir sur une adhésion à minima de larges couches sociales, allant jusqu'à répondre à des revendications de certains segments (Politiques ? Sociétaux ? Économiques ? etc.) du mouvement contestataire. En somme, la politique du « diviser pour régner ». Comment le Hirak réagira-t-il ? Surtout si des dégâts surgissent suite à l'aggravation de la dégradation de la situation économique actuelle. Nos réserves de change s'amenuisent. Nos échanges commerciaux extérieurs se compressent. Notre budget étatique (surtout d'investissement) régresse (rendant difficile le non-recours au « financement non-conventionnel » qui ne s'arrêtera qu'avec le renforcement de l'indépendance de la Banque centrale que presque chaque dirigeant algérien a tout fait pour la limiter). Ce sont là autant d'urgences que le futur chef de l'État se doit de faire face. Face surtout aux turbulences qu'induira nécessairement la radicalisation du Hirak. Car ce dernier ne restera pas les bras croisés, et ce, même si des mesures d'apaisement sont prises, notamment l'élargissement des prisonniers politiques et d'opinion ou la révision de la loi sur les hydrocarbures ou la prise en charge des doléances corporatistes (retraités, magistrats, résidents en médecine, concours des doctorats, etc.). Ces urgences seront aussi des enjeux pour le Hirak. 2- La deuxième voie donc : le Hirak veut imposer l'annulation des élections du 12 décembre. De quels moyens dispose-t-il ? Il n'y a pas cent solutions. Soit pacifiquement par le boycott. Soit légalement par une grève générale (le jour du scrutin). Soit par la fermeture des bureaux de vote. L'issue des deux premières est incertaine car le processus électoral se déroulera quand même. Sans préjuger des modalités concrètes de la tenue de ces élections, il est certain qu'un nombre de voix s'exprimeront (surtout dans les recoins où l'édifice FLN - RND a tissé ses réseaux - il n'y a qu'à voir la célérité avec laquelle chacun des cinq (05) candidats a obtenu les signatures). L'on fera comme s'il s'agissait d'un scrutin normal : un premier tour puis un deuxième tour et proclamation définitive des résultats. Un président pour certains « légitime », pour d'autres de la « Saba ». Nous reviendrons à mon 1-2. Par contre, imposer un rapport de force jusqu'à forcer à la fermeture des bureaux de vote c'est une autre histoire. Même en s'imaginant que les autorités actuelles laissent faire, où se dérouleront de tels événements ? Au mieux, dans les grandes agglomérations urbaines et périurbaines acquises au Hirak. L'enjeu ici est de savoir s'il est opportun non pas seulement d'opérer un changement qualitatif de la nature du Hirak - de pacifique à violent - mais d'introduire une scission, voire une fia à l'intérieur du corps social. Mais le Hirak ne doit tomber dans cet écueil qui, au final, l'affaiblit, le dessert plus qu'il ne sert à sa cause. En résumé : les éventualités politiques à venir qu'ouvrent au Hirak les campagnes électorales, les élections présidentielles et probablement celles législatives méritent d'être débattues le plus largement possibles tant par les acteurs politiques des oppositions et les personnalités qu'avec les animateurs de la révolution du sourire, ceux de l'intérieur comme ceux de l'extérieur ou dans les geôles. Cet article n'a aucune autre prétention que celle de mettre les cartes sur table. Peut-être qu'au final il en ressortira quelque chose. Et que d'autres éclaireront l'opinion publique algérienne et internationale sur ce qui nous attend demain. (*) Economiste |
|