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La
question coloniale fait débat et depuis longtemps. Les uns œuvrent pour une réconciliation
des mémoires, les autres souhaitent, ardemment, écarter un passé désastreux. Or
les reconnaissances fragmentaires ou ponctuelles des exactions d'hier, ne
suffisent pas à apaiser les rancœurs des héritiers de plus d'un siècle de
mensonges et de silence, dont le voile ne se déchire que parcimonieusement pour
se refermer aussitôt. La frilosité politique, liée notamment à l'ambiguïté des
positions des partis politiques d'hier, l'emporte assez largement sur la
volonté de dire le vrai des choses.
Lorsque nous avons fondé le CVUH, (Comité de vigilance face aux usages publics de l'Histoire ?ndlr-), il nous importait de protester, en tant qu'historiens, contre un projet de loi annonçant les effets positifs de la colonisation. Le temps a passé mais les traces de la colonialité subsistent de part et d'autre de la Méditerranée, nous en voyons, chaque jour, les effets toujours plus délétères. L'oubli du passé s'apparente souvent au déni, c'est pourquoi les mémoires resurgissent d'autant plus vives et excessives qu'elles découvrent l'immensité des non-dits. La reconnaissance des méfaits de la colonisation est un bilan encore loin d'être partagé par les autorités actuelles. Combien de temps faudra-il encore pour saluer, par exemple, le courage des signataires du manifeste des 121, des porteurs de valises et de tous ceux qui dénoncèrent « cette guerre injuste, déshonorante par la systématisation de la torture » ? Ce propos est extrait d'un ouvrage, de Charlotte Delbo rescapée d'Auchwitz, dont la grande expérience de l'oubli, l'incita, dès 1961, à exercer sa vigilance en rassemblant, en un volume, les écrits de ceux qui dénonçaient les pratiques légales de l'insoutenable ! Cette fois-ci en Algérie ! Au début du XXIe siècle on pouvait entendre, encore, cet argument donné par quelque porte-voix de l'Académie : si les historiens avaient tardé à rendre compte de la torture en Algérie, c'était tout simplement dû à l'inaccessibilité des archives (Rendez-vous de l'histoire à Blois en 2006). Heureusement que d'autres chercheurs moins en cour avaient osé prendre le relais des 121, avant que les archives ne soient ouvertes, tel Jean-Luc Einaudi. Certes, à la suite de travaux récents des historiens, Emmanuel Macron a cru bon de dire la vérité sur la mort de Maurice Audin. Or, « des milliers d'Algériens ont subi le même sort » (Gilles Manceron, El Watan, 21 septembre 2018) et attendent, désespérément, une reconnaissance. Le salut presque unanime dont a bénéficié le geste présidentiel, s'explique aussi bien par les engagements directs des gens de pouvoir en faveur de la répression que par les ambiguïtés de l'opposition pendant le conflit (le PCF en particulier). Leurs héritiers hésitent à assumer et donc à dénoncer les errements du passé : du vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet aux atermoiements sur les questions de l'autodétermination des Algériens. Le slogan commode de « paix en Algérie » rassurait le plus grand nombre et évitait, ainsi, un soutien ouvert aux indépendantistes et aux insoumis (les vrais ceux-ci). Que cette démarche présidentielle soit, immédiatement, suivie de l'attribution de la légion d'honneur1 à un groupe de Harkis, dévoile les arrières-pensées franco-françaises du moment. Que la France ait une dette envers les harkis, c'est indéniable, mais après des décennies d'humiliation, l'honneur reconnu est si tardif qu'il est loisible de douter de la pertinence d'un tel geste. Et que fait-on des héritiers des victimes du 17 octobre 1961, en France ? Evénement à propos duquel on a tant tardé à dévoiler la part maudite de la police française et donc de l'Etat ? Il faut certes, tourner la page, mais les historiens, au sens large du terme, ne peuvent se contenter d'une intervention ponctuelle sur une question dont l'actualité nous échappe au détriment d'une réflexion globale sur les multiples oublis, aux conséquences encore largement visibles, aujourd'hui, dans la société, dans les écoles et dans la rue. La fragmentation de la question algérienne au cœur de la problématique coloniale et donc de l'histoire nationale, nous semble une erreur. Le rapport en tension entre mémoire et histoire est constitutif de nos difficultés actuelles, autant sociales qu'éducatives. La mémoire ne cesse de bousculer l'histoire non par devoir mais par nécessité, à la fois individuelle et collective. Or, si nous voulons transmettre un récit commun à toutes celles et ceux qui vivent en France, il est grand temps de rendre des comptes aux héritiers afin qu'ils ne découvrent plus fortuitement ? la révolte des Mokrani en 1871, les massacres de Sétif et de Guelma en 1945 ou encore « la grande répression d'Alger », (Gilbert Meynier) en 1957, communément appelée la bataille d'Alger et tant d'autres exactions dont la remémoration s'effectuent d'autant plus violemment que ces faits sont écartés de l'histoire « globale ». Plus largement, on le sait, le passé est moteur d'histoire, en bien ou en mal, le rendre accessible et visible tel qu'il fut est de la responsabilité de tous pour éviter de nourrir les ressentiments. Or, si nous voulons rendre justice à tous ceux et celles qui attendent en vain une prise en compte de leur histoire c'est-à-dire la nôtre, il serait bon de réviser l'esprit des programmes scolaires qui relègue à la marge cette part éminemment nationale du passé. Notes : 1 Que le président de la république accorde si tardivement la légion d'honneur aux harkis après les avoir si honteusement maltraités, permet à Michèle Riot-Sarcey d'afficher son contentement d'avoir refusé un tel honneur pour moi-même ! |
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