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Chacun d'entre nous s'est mis
ces derniers temps à répéter cette expression aux tournures révoltantes :
«opacité politique», comme pour se persuader qu'il sait désormais, dans la
certitude la plus absolue, comment l'«Etat-clan» algérien fonctionne, assure sa
continuité, se renouvelle «facticement» dans le prolongement de ses «politiques
de rupture à répétition».
J'ai moi-même utilisé une expression équivalente : «Opacité administrative» par rapport à l'urbanisme, l'architecture et depuis peu l'aménagement du territoire, pour désigner le jeu très fermé d'attribution des études qui ont favorisé l'étalement d'un paysage urbain des plus médiocre et en même temps homogène qui fait étrangement la fierté de nos ministres, responsables des bureaux d'études publics, etc. Peu font attention au caractère très alambiqué de ce ministère qui regroupe dans son intitulé, paradoxalement, trois domaines : habitat, urbanisme et ville, alors qu'il aurait pu s'appeler simplement ministère de l'urbanisme au lieu de donner l'illusion de trois entités distinctes pouvant s'incarner indépendamment les unes des autres. Sans oublier que la notion de «ville» a tendance à se confondre ; moi je lui préfère la notion de «non-ville» en particulier avec la recrudescence des logements de l'incarcération des faiseurs de l'habitat algérien qui augmentent l'habitude des Algériens au «mal-pensé spatialisé» ou, pour le dire à la façon de Louis Kahn, architecte américain, à l'espace irréfléchi qui est tout le contraire de l'architecture. En réalité, l'opacité à l'algérienne est surtout cocasse. Elle dénote l'incapacité de nos gouvernants de tracer des voies politiques prometteuses, certaines et logiquement admissibles. Elle se maintient, cependant, grâce au «désintérêt général» qui règne au sein du peuple lui-même. Je veux dire que l'Etat-clan a depuis longtemps compris que pour pouvoir continuer le plus longtemps possible, il fallut raciner dans l'ensauvagement le plus total la notion d'intérêt privé dans la tête des Algériens, des plus pauvres au plus riches, en les amenant incessamment à piétiner, écraser, voire agresser l'espace public et compromettre, donc, toute possibilité, aussi occasionnelle soit-elle, d'intérêt général. L'opacité politique algérienne que j'ai qualifiée de cocasse se double d'un processus réglementaire inabouti par essence ; il s'agit d'une véritable dualité : opacité/décrédibilisation politique, à l'instar de celle à laquelle nous venons d'assister : mise à terme des politiques entreprises par notre ex- Premier ministre Tebboune A. En d'autres termes, pour mieux saisir les enjeux de l'opacité politique algérienne, il faut comprendre que cette dernière n'a de sens que grâce à l'attitude de celui qui avance pour mieux reculer («Avancez l'arrière !», expression populaire qui doit avoir des origines dans l'état politique du pays), c'est-à-dire que l'Etat-clan, comme c'est le cas de nombreux projets d'envergure macroéconomiques, fait semblant de bouger en plombant l'activité des opérateurs. Ce qui veut dire que la réalisation d'un projet devant durer par exemple une année, va s'étaler sur de nombreuses années. On peut commencer par comprendre que l'opacité ne pose pas problème dans une structure organisée composée d'individus responsables et engagés dans l'intérêt général (ce qui n'est pas bien sûr le cas de l'Algérie !). Cette opacité est régulée par la loi inspirée des réalités nationales et s'applique à ne pas menacer les intérêts des populations parce qu'elle repose sur une correspondance principielle et principale entre la forme de l'Etat établi et la forme cohésive du peuple gouverné. C'est le cas de nombreux Etats historiques qui ont réussi leur transition de la féodalité à la modernité. En Algérie, le tout repose sur le semblant et les écarts. L'Etat-clan n'a de moderne que l'image, ses inspirations sont archaïques et tendent à replonger les populations dans le médiévalisme. La complexité de l'opacité qu'il pratique comme une politique de dévoiement des règles à appliquer renforce, je dirai même affermit la déstructuration référentielle, puisque l'Algérien recourt à l'illégal dans l'impunité la plus absolue, non pas parce qu'il ne sait pas la loi et ses exigences, mais parce qu'il a intégré l'adhésion de la majorité à l'esprit de l'illégal (on peut illustrer cette tendance par la suprématie du marché de l'informel qui est, je le répète, culturelle). Ce qui fait que nous avons tous vécu des situations qui tendent à se normaliser ou qui se sont normalisées, de policiers qui vont interpeller le 3 bon3 citoyen au lieu de réagir aux «individus-reste-de-citoyen», ou qui soutiennent délibérément les points d'échange des devises hors-banques, comme à proximité du consulat espagnol d'Oran. Le policier, comme le gendarme, n'est là que pour faire croire que le «non-Etat» veille à la protection de l'espace public en débris. Tout le monde trouve «normal» que la loi ne s'applique pas ; elle ne s'applique pas sur les ministres, pourquoi s'appliquerait-elle donc sur les Algériens qui ont intériorisé le principe de vivre en «hors-citoyen» ? Ainsi donc, on comprendra par cet exorde, un peu long mais nécessaire, que l'opacité politique algérienne sert à diffuser l'«illégal-légal» qui ne s'accorde pas supposément avec l'esprit de la modernité en tant que fond de règles structurantes et constructives. Le cadre de l'illégal-légal représente le terreau de la promotion immobilière publique et privée. Les lotissements d'habitations individuelles, par exemple, ont pratiquement tous connu un surgissement brutal des promotions immobilières privées ; celles-ci ne tiennent pas compte des contraintes de l'environnement, et trouvent même leurs justifications dans les imbroglios des outils d'urbanisme algériens qui ont permis leur autorisation. On peut appliquer le même raisonnement aux promotions immobilières publiques qui s'installent sur du foncier agricole et qui ne répondent à aucun critère qualitatif de la notion de «projet urbain» en tant qu'outil technique de l'organisation de l'espace urbain. Grosso modo, les promotions immobilières deviennent par leur ensauvagement une contrainte violente pour leur environnement. C'est-à-dire qu'au lieu de permettre la possibilité d'une ville dans l'espace d'un urbanisme contrôlé et visionnaire, on se retrouve, comme c'est le cas avec nos villes agglomérées algériennes, avec des morceaux d'urbanisme n'ayant dans la plupart des cas aucun rapport les un avec les autres, même qu'on se retrouve avec des «entités sociales spatialisées» (à ce sujet c'est intéressant de lire les travaux de Bernardo Secchi), pratiquement opposées les unes aux autres, prêtes à se faire la guerre à la première occasion. L'opacité, je le répète, est une méthode en soi, un outil d'action. Tout dépend de la manière avec laquelle on en fait usage. L'opacité, encore une fois, exprime un état de transparence qui peut être positif, comme par la reconnaissance de l'ensemble des acteurs qui produisent l'espace urbain ou agissent sur lui et leur implication dans un cadre légal et rigoureux, ou négatif, comme en œuvrant à encourager les formes de ségrégation sociales spatialisées, à produire les classes de l'injustice qui contribuent à multiplier les marges de l'illégal avec des pouvoirs indéterminés au point de dépasser le pouvoir sacralisé de la centralité. Autrement dit, c'est ce à quoi nous assistons en Algérie, selon les experts de la politique nationaux et internationaux. A l'éclipse du pouvoir central par sa faiblesse et ses maladresses médiatisées (déclarations absurdes de ministres !) et aux pouvoirs montants des marges qui ne reconnaissent pas en général les règles les plus élémentaires, comme de permettre aux compétences de prendre en main le destin du pays. Enfin, je tiens à dire que l'opacité comme l'informel, l'injustice (ou plus précisément la «hogra»), l'opportunisme (ou le « khobzisme» que nos sociologues ont tout intérêt à nous expliquer en tant que concept) etc., est culturelle, elle fait partie des procédés auxquels les individus, sous couvert des groupes organisés (clans, tribus, mafia, etc.), recourent pour produire et fructifier des intérêts privés (c'est le cas de l'UGTA, selon certains médias). L'opacité négative se développe surtout au plus haut niveau de l'Etat (-clan), après que des individus aient louvoyé et se soient frottés à des intérêts plus que suspicieux pour devenir ministres et mériter les applaudissements des parasites, ceux-là mêmes qui espèrent bénéficier des reconnaissances du parvenu. L'opacité négative est une pratique qui oppose l'intérêt privé à l'intérêt général. *Architecte-enseignant (USTO), docteur en urbanisme (IUP) |
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