|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le grand chantier de la
révision constitutionnelle est ouvert, il sera suivi (ou devrait l'être) par
une rénovation institutionnelle, à savoir une dissolution des deux Chambres du
Parlement, des deux assemblées locales (APW - APC), du Conseil constitutionnel
et du Conseil de la magistrature. Voilà à mes yeux les chemins de la rupture,
du renouveau et non de la rénovation. Tout le monde doit s'impliquer, car la
démission des élites, la trahison de clercs a été la cause principale du
désastre que nous avons vécu que nous continuons et que nous risquons de
continuer encore à vivre.
Le chef de gouvernement : une entité constitutionnelle La révision constitutionnelle de 1989, dictée par la tragédie d'Octobre 1988, avait vraiment mis le doigt sur la plaie. Le malheur du pays provenait du parti unique, d'un président issu d'un parti unique, qui cumulait entre ses mains tout le pouvoir exécutif. La Constitution de 1976, socle du système du parti unique, donnait la possibilité au Président de nommer un vice-Président et un Premier ministre. Cette nomination était facultative, les deux commis étaient nommés lorsque le Président le souhaitait, pour l'aider dans ses charges. Leurs rôles sont indéfinis et leurs pouvoirs inexistants. Ils engagent leur responsabilité devant le président de la République. En ayant bien diagnostiqué le mal, la Constitution de 1989 choisit le bon remède. Le multipartisme d'abord et un chef de gouvernement, obligatoire, désigné par le président de la République et responsable devant le Parlement. Cette dualité de l'exécutif avait le mérite d'assurer une répartition et un équilibre du pouvoir. Il arrive, par bonheur, que le chef de l'Etat et son chef de gouvernement ne soient pas de la même famille politique. Cette dualité de l'exécutif assure une représentation de toutes les composantes et de tous les courants politiques, c'est ainsi une distribution (pas forcément un partage) démocratique et un contrôle au sein même de la maison qui tient le pouvoir. En outre le fait que le gouvernement soit nommé avec l'accord du Parlement et dégommé aussi avec son accord, faisait d'abord du chef de gouvernement une véritable institution constitutionnelle indépendante, autonome, dotée de véritables prérogatives et, en plus, octroyait un réel pouvoir de contrôle au Parlement qui cessait d'être une simple chambre d'enregistrement. Le chef de gouvernement présente son programme au Parlement qui l'adopte. En cas de rejet du programme, le gouvernement démissionne. Un nouveau chef de gouvernement est désigné et suit la même procédure. Si son programme est encore rejeté le Parlement, il est dissous. Le chef de gouvernement exécute et coordonne le programme adopté par le Parlement qui est ainsi incontournable aussi bien pour la confirmation du chef de gouvernement que pour son maintien par le biais du mécanisme du contrôle périodique qui s'exerce lors de la présentation annuelle du programme devant le Parlement. Cette présentation pouvant aboutir à une motion de censure par laquelle le Parlement montre sa désapprobation envers la politique du gouvernement et le force à démissionner, ou par un vote de confiance demandé par le chef du gouvernement et accordé ou refusé par les députés. En cas de refus, le gouvernement démissionne. La lecture des articles de la Constitution y relatifs font du chef de gouvernement une véritable autorité indépendante du président de la République. Il exécute le programme adopté par le Parlement et non celui du Président. Dans ce régime constitutionnel, le Président voit aussi ses prérogatives amoindries. Il ne peut nommer et dégommer le gouvernement sans aucune forme de procès. Il doit tenir compte de la majorité parlementaire qui valide la nomination par l'adoption du programme et aussi valide la gestion tout au long. Il y a lieu de préciser que la Constitution de 1989 n'avait pas fait obligation au président de la République de choisir le chef de gouvernement dans la majorité parlementaire. Dans ce silence, il y a un avantage, une latitude au Président de choisir une compétence technocratique non partisane. Les mécanismes d'adoption ou de rejet du programme ainsi que les motions de censure ou les votes de confiance donneront au Parlement un poids dans l'échiquier politique et institutionnel. Ainsi se construit un équilibre des pouvoirs et des institutions et pouvoirs, véritable prévention contre les dérives totalitaires. L'épisode Merbah : la chute brutale du premier chef de gouvernement et les prémices d'un ratage démocratique Cette formule du chef de gouvernement commença à être mise en œuvre en Algérie avec la Constitution de 1989. Le défunt Chadli Bendjedid avait désigné le défunt Kasdi Merbah pour former et diriger le premier gouvernement d'une Algérie multipartiste et son programme fut adopté par le Parlement conformément à la Constitution. Le gouvernement Merbah fit long feu. Neuf mois après sa nomination Merbah fut poussé à la sortie, non sans résistance. Il réagit à la décision de Chadli par cette formule, restée dans l'histoire « Hna Ymout Kaci » (c'est peut-être aussi ce que disait d'une voix inaudible Abdelaziz Bouteflika qui voulait partir sans escale d'El Mouradia à El Alia. L'histoire lui a refusé ce caprice d'adulte. C'est aussi ce que semble dire Si Goudjil qui ne veut pas rater la chance historique de mourir en tant que troisième homme de l'Etat ou d'en devenir le premier homme et le rester si Tebboune partait précocement). Le défunt Merbah était un véritable homme d'Etat et s'en tenait à la nouvelle Constitution selon laquelle le chef de gouvernement était responsable devant le Parlement qui était incontournable pour sa destitution comme il l'a été pour sa confirmation. La présidence ou, ce qu'on appelle maintenant l'Etat profond, gagna la partie. Merbah finit par présenter sa démission. Le fin mot de l'histoire est que le défunt Bendjedid venait de balayer d'un revers de la main une règle substantielle de la nouvelle démocratie. Il se considérait comme seul maître de l'exécutif et, dans son subconscient du parti unique, le Président pouvait nommer et mettre fin aux fonctions du chef du gouvernement qu'il confondait avec le Premier ministre. Il pouvait, selon lui, exercer ce pouvoir sans formalités préalables ou postérieures, en ce sens qu'il ne devait ni demander un avis avant sa décision ni la justifier ou rendre compte par la suite. Une crise constitutionnelle majeure avait secoué le pays. Le défunt Kasdi Merbah fut interviewé par Algérie Actualité sur les raisons de son limogeage. Il déclara, entre autres, « un chef de gouvernement exécute un programme, il ne reçoit pas des instructions tous les matins ». Une présidence qui se démarquait très mal d'une pratique du parti unique venait de faire avorter la première expérience d'une Constitution multi partisane même si à l'époque il n'y avait encore qu'un parti. Les législatives de 1992 échoueront aussi dans la même logique. La suite on la connaît. Le retour du chef de gouvernement au Premier ministre : à contre-courant de l'histoire ou les réminiscences du parti unique Le président Bouteflika eut trois révisions constitutionnelles en 20 ans de règne (2002 ? 2008 - 2016). En 2008, deuxième révision constitutionnelle de Bouteflika, le « chef de gouvernement disparut laissant la place à un « Premier ministre » qui met en œuvre le programme du président de la République et coordonne, à cet effet, l'action du gouvernement ». Le Premier ministre n'élabore plus de programme mais « arrête son plan d'action en vue de son exécution et le présente en Conseil des ministres ». Le plan d'action du gouvernement est soumis à l'approbation de l'Assemblée Populaire Nationale. Celle-ci ouvre à cet effet un débat général. J'avoue que je saisis mal la nuance entre un programme et un plan d'action et je vois mal comment les dissocier en pratique. On pourrait disserter longtemps là-dessus mais ce ne sera que de la sémantique. Dans son premier mandat, Bouteflika consomma deux chefs de gouvernement. Benbitour expliqua son départ par la rupture d'un accord entre lui et le Président selon lequel le chef de gouvernement s'occuperait de l'économie et le Président s'occuperait du reste. II décida de rendre sa démission lorsqu'il apprit que la présidence envisageait de légiférer, par ordonnance, dans le domaine économique. Bouteflika ignorait toutes les institutions, le chef de gouvernement, le Parlement et ses deux Chambres et, même, le peuple dont il se considérait « l'incarnation ». En fait, Bouteflika commença à réduire la fonction de chef du gouvernement dès son premier mandat avant même la réforme, qui fut transformé en Premier ministre, à savoir un subalterne du chef de l'Etat. Bouteflika en fait se plaça au centre de tout et on a vécu lors de son règne les images les plus hallucinantes d'un pouvoir totalitaire. On a vu par exemple une assemblée majoritairement RND valider un plan d'action d'un Premier ministre FLN (Belkhadem si j'ai bonne mémoire) ; on a vu ensuite une assemblée majoritairement FLN valider un plan d'action d'un Premier ministre RND (Ouyahia). On se rappelle de l'épisode de Sétif où un père de famille l'interpella dans la foule sur le cas de son fils qui avait eu une bonne moyenne durant l'année scolaire mais à qui la chance n'avait pas souri lors de l'examen du BEF. Le Président ordonna dans la rue et sur-le-champ qu'à partir de ce jour on devra prendre en considération la moyenne scolaire annuelle. La restauration du chef du gouvernement dans la nouvelle Constitution est le premier rempart contre les dérives totalitaires humaines et/ou systémiques. * Avocat |
|