|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Installé au mois
d'octobre dernier en Algérie, le premier pays maghrébin où il a été nommé à ce poste,
l'ambassadeur du Japon, M.Masaya Fujiwara, a effectué la semaine dernière sa
première visite dans différentes wilayas de l'Ouest. Il nous parle dans cet
entretien des relations entre l'Algérie et le Japon, de la coopération dans le
domaine politique, économique et sécuritaire et de la rude concurrence dans le
marché algérien.
Le Quotidien d'Oran: Comment voyez-vous l'évolution des relations politiques et économiques entre l'Algérie et le Japon ? M.Masaya Fujiwara: Les relations entre le Japon et l'Algérie sont historiques. Même avant l'indépendance de votre pays, le bureau du FLN était installé à Tokyo. C'était en 1958. Depuis cette époque, nous maintenons toujours de bonnes relations dans le domaine de la coopération. Depuis l'indépendance, les entreprises japonaises ont beaucoup contribué au développement de l'économie de votre pays, surtout entre les années 70 et 80 dans le secteur des hydrocarbures. Nous avions donc commencé par l'économie et les relations étaient excellentes. Les entreprises japonaises étaient très contentes de venir travailler en Algérie. C'était vraiment le partenariat gagnant-gagnant dans ce domaine. Et depuis quelques années, nous avons aussi développé notre dialogue sur la question politique. Il y a deux ans, il y a eu l'attentat terroriste à Tiguentourine dans lequel des Japonais ont trouvé la mort. C'était un évènement tragique pour les deux pays. Mais nous avons tout de même surmonté ce moment difficile. Après cet évènement, nous avons aussi renforcé notre politique à l'égard des pays du Moyen-Orient, des pays du Sahel et l'Afrique du Nord. Nous avons établi avec l'Algérie un nouveau dialogue sur la question de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Donc, notre relation a commencé par l'économie mais nous l'avons élargie, d'année en année, à d'autres domaines, politique et sécuritaire. Q.O.: Sur le plan sécuritaire, justement, jusqu'où peut aller cette coopération entre un pays asiatique et un pays du nord de l'Afrique ? M.F.: Nous avons commencé les discussions pour renforcer la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et déjà nous avons réalisé quelques projets concrets dans le cadre de la coopération avec l'Organisation internationale comme l'UNODC, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Le Japon a financé le projet pour le renforcement des capacités des agents de sécurité algériens. C'était le premier projet après l'évènement de Tiguentourine. Nous voulons poursuivre cette coopération dans la lutte contre le terrorisme et le renforcement de la surveillance des frontières et, peut-être cette année, nous avons une autre occasion de discussions sur le sujet et nous poursuivons la coopération plus concrètement. Q.O.: Votre prédécesseur avait estimé que le monde des affaires en Algérie était difficile. Est-ce que vous partagez cette opinion ? M.F.: Oui et non. Généralement, les entreprises japonaises sont prudentes. Avant de s'installer, elles viennent vérifier la situation, l'environnement des investissements et l'environnement des affaires. Mais, généralement, l'Algérie est considérée comme un pays pas facile. Il y a beaucoup de procédures administratives et bureaucratiques. Ce sont des processus qui prennent du temps. Cela change sans l'avis préalable. Tout le monde prend conscience de cette difficulté mais, en même temps, ce que je vois depuis mon arrivée ici est qu'il y a aussi quelques changements dans la mentalité du côté algérien et aussi sur le plan du système et sur le plan juridique. Il y a plus de souplesse. Avec le nouveau plan quinquennal et récemment la chute du prix du pétrole, il y a quelques modifications et changements de mentalité algérienne. Les Algériens veulent montrer un peu plus de souplesse en invitant les entreprises étrangères à venir investir dans le marché algérien. Les entreprises japonaises sont aussi très intéressées à ce nouveau développement et comment l'environnement des affaires va s'améliorer dans le futur proche. Q.O.: Il y a quelques années, les entreprises japonaises avaient tout de même un problème avec le 51/49. Se sont-elles adaptées à ce système depuis ? M.F.: En ma qualité d'ambassadeur du Japon, j'encourage les entreprises japonaises à s'adapter avec cette réglementation parce que les entreprises européennes, françaises et allemandes, et aussi américaines, ont quand même investi dans ces règles et donc, si les entreprises étrangères se sont adaptées, il faut probablement que les entreprises japonaises fassent pareil. Donc, à ce stade, c'était encore une étape initiale. Maintenant, j'essaye d'encourager les entreprises japonaises de voir la situation de plus près et aussi de s'adapter à l'environnement des affaires algériennes. Q.O.: A votre avis, l'Etat algérien doit-il faire plus d'efforts ? M.F.: Oui, c'est aussi nécessaire. Il faut plus de libéralisation, moins de bureaucratie et plus de souplesse dans la réglementation. Mais, en même temps, il faut que les entreprises japonaises connaissent mieux le marché algérien et tout ce qui se passe dans ce pays. Dans ce contexte, une délégation d'hommes d'affaires japonais basés à Paris, viennent au mois de février à Alger pour discuter avec les autorités algériennes et aussi avec les représentants des milieux d'affaires algériens pour mieux connaître la situation. C'est la première délégation d'hommes d'affaires japonais depuis mon installation. Q.O.: Est-ce qu'il y a un échange entre les chambres de commerce des deux pays ? M.F.: Jusqu'ici, il n'y a pas beaucoup de contact. Mais peut-être après l'arrivée de cette délégation japonaise, il y aura plus d'échange entre les chambres de commerce des deux pays. Q.O.: Nous avons assisté dernièrement à l'effondrement d'une partie du tunnel de Djebel el-Ouahch à Constantine sur le linéaire de l'autoroute Est-Ouest réalisé par Cojaal. Est-ce que des démarches ont été entreprises pour régler ce litige opposant l'ANA à l'entreprise japonaise ? Pourquoi le recours à l'arbitrage international a-t-il été écarté ? M.F.: Je n'ai pas beaucoup de choses à commenter parce qu'il s'agit d'un contrat signé entre Cojaal et l'agence nationale de l'autoroute (ANA) du ministère des Travaux publics. Ce que je sais est que Cojaal essaye de trouver une bonne solution et du côté d'ANA aussi on continue à discuter pour trouver une bonne solution qui satisfait les deux parties. Mais au mois de juin dernier, Cojaal a eu recours au tribunal international pour arriérés de payements. L'affaire suit son cours. Les discussions ont continué jusqu'à l'année dernière. Concernant l'effondrement du tunnel, c'est une autre affaire. Il n'y a pas eu recours à l'arbitrage international. Mais, les deux parties continuent de discuter et continuent de faire des efforts pour identifier les causes de cet effondrement et ils font aussi des analyses pour établir comment reconstruire le tunnel. Ce que je peux dire est qu'une fois qu'on établit la façon de reconstruction du tunnel, Cojaal est prête à poursuivre les travaux. Pour dire que le problème sera réglé au mois de juin, je ne sais pas. Q.O.: L'université de Tokyo et l'université d'Oran travaillent ensemble pour la réalisation du projet de production du silicium à partir du sable du Sahara, où en est le projet ? M.F.: C'est la dernière année de ce projet de cinq ans. Jusqu'ici, les deux universités ont beaucoup travaillé ensemble dans le domaine de la recherche et du développement de ce projet. Une trentaine d'experts japonais sont déjà venus à Oran et 25 stagiaires algériens sont partis à Tokyo dans la cadre de la formation. Mercredi dernier, j'ai visité l'USTO et j'ai pu parler avec les professeurs et anciens stagiaires. Ils sont très contents. Il y a aussi la coopération sur le plan d'équipements de qualité, produits par le Japon et qui sont bien utilisés par cette université. Durant ces quatre dernières années, nous avons réalisé beaucoup de choses pour le développement et la recherche de cette énergie renouvelable. C'est très innovant de produire du silicium à partir du sable du Sahara pour produire ensuite de l'électricité photovoltaïque. C'est un grand projet du futur. L'important est de continuer dans cette coopération. L'objectif final est la mise en œuvre de cette production et transférer l'électricité par supraconducteurs dans le monde. Toujours dans le cadre de cette coopération, à partir de cette année, un nouveau programme intitulé ABE initiative (African Business Education Initiative for the Youth) sera lancé. Nous invitons les jeunes algériens pour la maîtrise des affaires. Ils font des stages dans des entreprises japonaises pour devenir des jeunes leaders des affaires algériens et futurs cadres d'entreprises. Le premier groupe de candidats algériens partira cet été au Japon pour deux ans de formation. C'est en plus des bourses traditionnelles où quatre candidats sont sélectionnés chaque année pour faire des études dans diverses universités au Japon. Q.O.: Et dans le domaine de la robotique, des projets en cours entre les deux pays ? M.F.: Nous n'avons pas encore un projet concret dans ce domaine. La robotique reste un domaine très fort au Japon. Et comme beaucoup d'étudiants algériens sont venus au Japon pour apprendre cette technique, pourquoi pas une coopération scientifique dans le futur entre les deux pays. Q.O.: Il était question de la réalisation d'une cinquantaine de projets par JGC Corporation (JGC) en Algérie suite à des contrats signés entre l'entreprise japonaise et la Sonatrach. Quels sont les projets concrétisés jusqu'à présent ? M.F.: Avec la compagnie JGC, la première usine de raffinerie de pétrole à Arzew a été construite. C'était le premier investissement par une entreprise japonaise en Algérie. Dans le domaine du gaz, du pétrole liquéfié, c'est l'autre compagnie IHI qui l'a réalisé. Il y a aussi un autre projet en pétrochimie pour la production d'engrais toujours réalisé à Arzew par Mitsubishi Heavy Industries et dont les travaux viennent d'être terminés. Actuellement, ils sont dans la phase expérimentation. Le projet sera réceptionné avant la fin de cette année. Il y a aussi d'autres projets à Skikda et à Hassi R'mel. C'est vraiment le partenariat gagnant-gagnant. Q.O.: Quels sont les autres secteurs hors hydrocarbures qui intéressent le Japon pour des projets d'investissement ? M.F.: En dehors des hydrocarbures, il y a eu récemment, les compagnies SONY et HITACHI qui ont construit une usine de montage avec des partenaires algériens pour la fabrication de l'électroménager, téléviseurs et réfrigérateurs. C'est un investissement japonais. Dans le domaine des télécommunications, une société japonaise, NEC, a investi dans ce domaine. Il y a d'autres projets de coopération entre les deux gouvernements dans le domaine du transport maritime. Dans le cadre du programme de la JICA, il y a une coopération avec l'école supérieure de transport maritime de Bou-Ismail. Vu la particularité de nos deux pays, l'Algérie et le Japon coopèrent parfois dans le domaine du séisme pour la sensibilisation et l'éducation contre les tremblements de terre. Nous avons aussi un projet de coopération du standard anti-sismique. Dans ce cadre, des experts japonais viennent de temps en temps en Algérie. Dans le bâtiment, les entreprises japonaises peuvent contribuer pour apporter leurs connaissances sur le plan technique. Mais pour la construction ordinaire, les Japonais ne sont pas très compétitifs. Il y a la demande algérienne pour développer la pêche et la construction des bateaux de pêche. Rien n'est encore concret, mais ce domaine possède beaucoup de potentialités. C'est un sujet que nous pouvons aborder lors de mon prochain entretien avec le ministre de la Pêche. Q.O.: Dans le cadre de cette coopération, est-ce qu'il est prévu des visites d'officiels japonais en Algérie ? M.F.: Cette année, nous organisons un dialogue politique au niveau des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Nous allons aussi organiser un dialogue sur la sécurité et la lutte anti-terroriste. Et comme par hasard, le chef de cette délégation est mon prédécesseur, M. Kawada, qui vient d'être nommé ambassadeur des questions de l'anti-terrorisme au MAE. La date n'est pas encore arrêtée. Mais c'est au courant de cette année. L'Algérie joue un rôle très important dans la stabilisation de la région du Mali et la Libye. Nous apprécions le rôle de l'Algérie pour la stabilité de cette région. Nous voulons partager cette information. Le Japon voudrait être plus actif dans le domaine de la politique sécuritaire pour contribuer à la stabilité du monde. Cette partie du monde, l'Afrique du Nord et la région du Sahel est aussi une région où le Japon peut contribuer d'une manière ou d'une autre. Donc, pour cela, il faut bien partager les informations sur ce qui est fait dans cette région. Q.O.: Face aux pays européens et le géant asiatique, la Chine, qui sont déjà présents sur le marché algérien, quels atouts compte exploiter le Japon pour devenir à son tour concurrentiel? M.F.: Oui, il y a une concurrence assez sévère. Les pays européens comme la France, l'Allemagne et l'Italie sont très actifs. Les Américains, les Chinois, les Coréens et les Turcs aussi. Le marché est très diversifié. Mais chaque pays a sa propre priorité et son point fort, et le Japon aussi. Au niveau du prix, les Japonais ne sont pas très compétitifs. Les Chinois sont beaucoup plus concurrentiels. Mais dans certains domaines qui exigent certaines hautes technologies et qualité de travail, peut-être que le Japon a des avantages comparatifs tels la technologie anti-sismique, le transport maritime et les hydrocarbures. Q.O.: L'ouverture d'une ligne directe Alger/Tokyo, un projet en discussion entre les deux pays ? M.F.: Ce n'est pas encore possible. Peut-être qu'il faut d'abord encourager les entreprises japonaises à venir investir en Algérie. Q.O.: Le Japon envisage-t-il de réaliser une usine de construction de véhicules en Algérie comme c'est le cas avec un constructeur automobile français ? M.F.: L'Algérie est un marché très important. C'est le 2ème marché africain en nombre de véhicules. Pour le moment, beaucoup de marques japonaises sont vendues en Algérie dont Toyota, Mitsubishi, Suzuki. Si, dans le futur, le nombre des véhicules japonais vendus en Algérie dépasse les 40.000 ou 50.000 véhicules, c'est à ce moment-là qu'on peut procéder à la production de véhicules en Algérie. Q.O.: Dans le domaine culturel, un programme d'activité est prévu cette année ? M.F.: Cette année, dans le cadre des festivités de la Capitale de la culture arabe à Constantine, nous voulons organiser quelques manifestations à cette occasion. Il y a aussi des échanges en art martial. Au mois de février, une judoka japonaise, médaille d'or à Athènes et à Pékin va venir à Alger. |
|