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«Les nations se hissent par le
savoir et se maintiennent par la mémoire. Raviver la mémoire et la conserver est
une détermination citoyenne» (Amar Khelifa in «Memories»).
L'Algérie célèbre le 65ème anniversaire du déclenchement de la Révolution de Novembre. Pendant plus de sept années le pays a payé un lourd tribut pour l'indépendance. Selon les sources algériennes, il y aurait eu un million et demi de victimes, deux millions cent mille personnes déplacées, huit mille villages rasés et brûlés, une paupérisation sans précédent des populations, particulièrement rurales. Chaque ville, chaque village, chaque douar se remémore ses événements tragiques et douloureux, compte ses martyrs anonymes ou connus, célèbre ses héros. Malheureusement, il est triste de constater que dans l'Histoire d'une guerre qui aura duré plus de sept ans, Oran n'est citée que par le martyr AHMED ZABANA, comme premier guillotiné, et non pour ses actes de bravoure dans la nuit du 31 octobre au Premier Novembre 1954 ou par les tragiques événements du 5 Juillet 1962. Ainsi l'idée d'Oran, «une oasis de paix» dans une Algérie à feu et sang, va s'incruster petit à petit dans l'esprit des Algériens pour devenir une réalité historique. Cinquante années après l'indépendance, le moudjahid Mohammed Freha (Fidaï à seize ans puis maquisard) s'est fait un devoir de mémoire, par l'écriture de plusieurs livres (sept) et l'ouverture d'un musée, de raconter Oran la combattante. L'auteur démontre avec précision par des faits, des évènements et des dates qu'Oran, ville à l'écrasante majorité européenne (plus de 200.000 pieds-noirs pour moins de 100.000 Algériens) était loin de vivre en marge d'une Algérie à feu et à sang. Freha écrit en introduction de son premier livre : «Ce document renferme des informations importantes, de portée historique. Il tend à mettre un terme aux détracteurs, qui veulent nier ou minimiser le rôle majeur et décisif des martyrs du mouvement national avant et pendant la guerre de libération, dans la ville d'Oran et ses environs. A ceux qui pensent que Wahran a été relativement épargnée par les affres de la guerre d'indépendance, les faits réels sont là pour prouver le contraire». Dans la préface du même livre, Bouziane Ben Achour, écrivain et journaliste, écrit : «Il (Freha) a voulu également exprimer une inquiétude face à tous ces révisionnismes rampants, qui visent ni plus ni moins qu'à mettre sous le boisseau une épopée écrite en gras caractères par le sang et la dignité, qu'à minimiser la contribution de l'élan libérateur d'une ville (Oran) et sa région. Ainsi Freha relève le défi de redresser la vérité historique. Il publie une première œuvre en deux tomes, «Oran du mouvement national à la guerre de libération, 1945 - 1962 (Ed.- Aloufia -2010). Cette première œuvre sera complétée par un troisième livre «Espace d'histoire et de mémoire - Oran 1937- 1962» (Ed.- Ennadar - 2017) et enfin un livre autobiographique en deux tomes «Oran, une rue pour mourir» et «J'ai fait mon choix» (Ed.- Dar El Gharb - 2019). Entre-temps il publie en 2015 «Les manifestations de Décembre 1960 à Oran». Parallèlement à l'écriture, sa grande œuvre à Oran reste la fondation d'un musée en 2013. Dans les premiers livres sus-cités, le lecteur découvre avec précision l'évolution des évènements à Oran qui aboutiront au Premier Novembre 1954. Entre autres faits l'on peut citer : en 1937 le meeting de Messali El Hadj et la création de Medrasset El Faleh, les manifestations des jeunes du PPA, conduits par Hamou Boutlélis, aux cris de «A bas le fascisme de Mussolini» et «Vive l'indépendance» suite à l'invasion de l'Abyssinie par les troupes italiennes, le 11 mai 1945 l'accueil des orphelins du massacre du 8 Mai 1945 dans le Constantinois, le 21 février 1950 grève et manifestation des dockers d'Oran en solidarité avec le peuple vietnamien, la création de l'Organisation spéciale (OS) et l'attaque par celle-ci dirigée par Ben Benbella de la poste d'Oran, enfin la préparation de l'insurrection et les premiers attentats à Oran le Premier Novembre 1954 par les groupes de Ahmed Zabana et Cheriet Ali Chérif, qui tire la première balle (tous deux seront arrêtés et exécutés). Puis les premières arrestations, notamment de l'intellectuel Zeddour Mohammed Brahim Kacem arrêté et assassiné par la DST le 8 novembre 1954, et son corps jeté à la mer. Cet assassinat deviendra de 1955 à 1956 une affaire d'Etat (Cf 23 et 24 octobre 2018 in Le Quotidien d'Oran et le 13 novembre 2018 in El Watan). Ainsi, comme partout en Algérie, Oran entrera en guerre contre le colonialisme en ce Premier Novembre 1954. Benalla crée le premier réseau de fidaïyine à Oran dirigé par Houha Mohammed le 25 mars 1955. Freha retrace pour cette période de 1954 à 1962 avec précision les actes de bravoure, les actions anticoloniales et le haut fait d'armes. Au total le combat héroïque des Oranaises et des Oranais au jour le jour. Il reconstitue les organigrammes des différents réseaux de fidaïyine et de soutien, en citant les noms, dont beaucoup seront arrêtés, torturés et exécutés à la fleur de l'âge. L'on apprend que la répression était féroce, ainsi le plus souvent un fidaï est arrêté ou tué au quatrième ou cinquième attentat et que la durée de survie d'un réseau était de six à douze mois, très vite reconstitué. Ces livres font vivre aux lecteurs le combat héroïque des Oranaises et des Oranais, au jour le jour, pendant toute la durée de la Guerre de libération. Les chiffres fournis : 300 morts, 900 disparus, plus de deux mille prisonniers, pour la seule année 1957, montrent le sacrifice des Oranaises et des Oranais. Une hécatombe en cette année 1957 qui ne découragera pas Oran. Il montre bien que dès qu'un réseau tombe, il n'y a pas de répit pour l'ennemi, un autre le relaie, concrétisant les paroles du chant des partisans «Ami dès que tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place». Pourtant pour les fidayine d'Oran la lutte n'était pas facile, elle était même inégale dans cette ville où vit une majorité européenne. La minorité algérienne est ghettoïsée dans la Ville Nouvelle, Lamur, Lyautey, les Planteurs et Ras El Aïn, cernée par des barbelés. Toute action de fidaï dans un quartier européen était pratiquement une opération suicide. Le lynchage de nombreux fidaïyine comme écrit en est la preuve de la particularité de la lutte à Oran. Dans ses différents livres Freha met en exergue la participation des femmes, ce dès les années quarante. Ainsi, en mai 1945, sous l'égide de Madrasset El Falah, un comité de femmes, dont Kheïra Bendaoud dite «La Rouge» et Setti Ould Kadi, organise l'aide aux victimes des tragiques évènements du 8 Mai 1945. En mars 1946, un comité de femmes est créé pour l'amnistie des détenus politiques et l'aide à leurs familles, présidé par Fatima Meria et dont la trésorerie est confiée à Monsieur Abadie François, directeur de l'école Victor Hugo à Oran qui sera assassiné en 1961 par l'OAS. A la manifestation des dockers à Oran en février 1950, plus de deux cents femmes participent. Enfin, il citera une à une et avec photos, les jeunes Oranaises mortes en martyrs. L'on peut citer Benamar Fatima (dix-huit ans), Cherrak Fatima (dix-sept ans) ou encore Soufi Zoubida (dix-neuf ans). Dans son livre sur les manifestations de Décembre 1960, l'auteur rapporte avec précision l'ordre chronologique des évènements en se basant sur les archives et la presse de l'époque. Les manifestations ont débuté à Aïn Témouchent lors de la visite du général De Gaulle. Elles débutent à Oran dès les premières heures de la matinée avant de s'étendre à Alger et les autres régions d'Algérie. Ce témoignage met à mal l'histoire officielle les faisant débuter à Belcourt. Pour la période de l'OAS, Oran est, selon l'auteur, la ville d'Algérie qui a souffert le plus. Pour l'OAS, «la bataille d'Oran était la bataille pour Oran». La violence s'expliquait par l'acharnement à vouloir garder Oran comme dernier repli, qu'ils considéraient comme leur préside. Je souhaiterai pour ma part, amener quelques précisions aux lecteurs, l'auteur souhaitant que des témoignages, des précisions ou des rectifications soient amenés à ses écrits pour la vérité historique. Qu'était l'éphémère «république d'Oran» ? Le 19 Mars 1962, les Algériennes et les Algériens dans les grandes villes comme dans les douars les plus reculés manifestent leur joie pour le cessez-le-feu. L'indépendance est enfin là, à portée de main, cependant la population algérienne d'Oran, mobilisée autour du FLN - ALN entamera le combat pour l'unité territoriale. Par cette mobilisation sans faille, par la lutte héroïque des fidaïyine contre l'OAS, les Oranais mettront fin à l'éphémère «république d'Oran», rêve fou des ultras. Pour rappel historique : dans les mois qui précédèrent l'Indépendance, une idée agite les esprits. Connue sous le nom de «partition», elle consistait à ériger une partie de l'Oranie en «plateforme territoriale». C'est-à-dire en «république pied-noir». Le nouvel Etat aurait Oran pour capitale, il serait étendu jusqu'à Sidi Bel Abbès, Perrégaux (Mohammadia), Mostaganem et Arzew. Cette région avait la particularité de peuplement majoritairement européen. Jetée tardivement en 1961 dans le débat politique par Alain Peyrefitte, cette idée ne paraissait pas réaliste. Ne pouvant être réalisée par la négociation, le général Paul Gardy, commandant le secteur OAS d'Oran, comptait la concrétiser par les armes. D'où la violence de l'OAS à Oran. Jusqu'au bout il comptera sur un soutien de l'armée. Ainsi la provocation des derniers ultras, le 5 juillet 1962 contre la population algérienne d'Oran entraînera une tragédie, provocation dont le but était de pousser à une intervention de l'armée française, stationnée massivement dans la base de Mers El Kébir et les bases aériennes de Bousfer et Lartigue (Tafraoui), pour une prétendue protection des cent mille pieds-noirs encore à Oran. Une provocation qui échouera devant l'unité des Oranais, leur maturité et leur désir de vivre complètement leur indépendance, à l'instar de toutes les autres régions d'Algérie. Dans son livre plus récent (cité plus haut) il retrace son parcours de combattant. C'est tout à son honneur, qu'au lieu de se glorifier pour ses actions propres, il en attribue les succès à tous ses compagnons. Il décrit cette période avec beaucoup d'humilité, de sincérité et d'humanisme. Il raconte les conditions difficiles du maquis faites de longues marches nocturnes, parfois par temps froid et pluvieux, la faim, les embuscades de l'ennemi menées trop souvent. Mais il raconte aussi cette solidarité fraternelle entre combattants, l'accueil chaleureux dans les dechras peuplées par des paysans pauvres, et ce malgré la peur de la répression de l'armée coloniale. Période sentie durement au plan humain par la perte, dans la zone où il était affecté pendant cette période, de plus de 327 combattants et 158 faits prisonniers. Enfin, l'on ne peut terminer sans parler du musée «Espace d'Histoire et Mémoire» sis au boulevard Émir Abdelkader à Oran, que l'auteur a fondé, «un musée hors pouvoirs publics» (Houari Addi), où sont exposés, entre autres, la machine à écrire et la ronéo qui ont servi à Oran au tirage de l'appel du Premier Novembre, des armes qui ont servi à des attentats à Oran mais surtout les portraits de plus de 2.000 chahidattes et chahids sortis de l'anonymat. C'est dans ce musée que l'on prend conscience de toute la mesure de la participation des Oranaise et des Oranais à la Révolution. Je conclus par ce passage d'un écrit de Monsieur Bouchaïb Ahmed, l'un des vingt-deux, «nos chouhadas, nos résistants (es) oubliés (es) par les détracteurs, qui n'ont pas daigné respecter les valeurs de cette ville, dont les enfants n'ont jamais cessé de combattre le colonialisme». Mohammed Freha dédie ses livres à tous les militants du mouvement national qui ne sont plus de ce monde et à tous les martyrs. Il met en exergue cet appel du martyr Didouche Mourad, «si nous venions à disparaître, défendez nos mémoires». Quant à moi, je dis tout simplement merci Sentah pour ta leçon de patriotisme. |
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