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La
corruption, à ne pas confondre avec acte de gestion, devant éviter de freiner
les énergies créatrices, la définition du manager étant de prendre des risques,
pouvant gagner ou perdre, démobilise la société par une méfiance généralisée et
accentue le divorce Etat-citoyens. Il n'appartient pas au ministère de
l'Intérieur dans un Etat de droit de dire s'il y a corruption ou pas, ce
ministère lui-même étant soumis au contrôle, devant laisser aux services de
sécurité et aux organismes de contrôle de faire leur travail dans une totale
discrétion.
Le combat contre la corruption et la bureaucratie, ce rêve si cher à tous les Algériens, sera-t-il réalisé ? C'est l'objet de cette présente contribution d'une brûlante actualité et de surcroît très sensible en soulignant que la corruption menace les fondements de l'Etat et donc la sécurité nationale. 1. - Transparency International, dans son rapport de janvier 2021, note que la frustration face à la corruption des gouvernements et le manque de confiance dans les institutions témoignent de la nécessité d'une plus grande intégrité politique devant s'attaquer de toute urgence au rôle corrupteur des grosses sommes d'argent dans le financement des partis politiques et à l'influence indue qu'elles exercent sur les systèmes politiques. L'ONG relève que «les pays où les réglementations sur le financement des campagnes sont complètes et systématiquement appliquées ont un score moyen de 70 sur l'IPC, alors que les pays où ces réglementations sont soit inexistantes, soit mal appliquées, n'obtiennent respectivement qu'une moyenne de 34 et 35». Qu'en est-il du classement sur la corruption de l'Algérie de 2003 à 2020 : 2003 : 88e place sur 133 pays; 2004 : 97e place sur 146 pays; 2005 : 2,8 sur 10 et 97e place sur 159 pays; 2006 : 84e place sur 163 pays; 2007 : la 99e place sur 179 pays; 2008 : 92e place sur 180 pays; 2009 : 111e place sur 180 pays; 2010 : 105e place sur 178 pays; 2011 : 112e place sur 183 pays; 2012 : 105e place sur 176 pays; 2013 : 105e rang sur 107 pays; 2014 : 100e sur 115 pays; 2015 : 88e sur 168 pays; 2016 : 108e sur 168 pays; 2017 : 112e place sur 168 pays; 2018 : 105e place sur 168 pays; 2019 : 106e sur 180 pays. Rapport de janvier 2021 pour 2020, 104e place sur 180 pays avec une note de 36 sur 100. Selon cette institution internationale, une note inférieure à 3 signifie l'existence d'un «haut niveau de corruption, entre 3 et 4, un niveau de corruption élevé, et que des affaires saines à même d'induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives. Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent certains secteurs publics et privés, relatés chaque jour par la presse nationale, dépassent souvent l'entendement humain du fait de leur ampleur, encore que tout Etat de droit suppose la présomption d'innocence afin d'éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles. Pourtant, ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l'Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures de contrôle. Cela dénote de l'urgence d'une moralisation de la vie publique, en mettant en place d'autres mécanismes qui évitent que ces pratiques ne se reproduisent. La mise en place de ces mécanismes transparents renvoie à plus de liberté, d'efficacité économique, de justice sociale (indépendance de la justice), de moralité des institutions et de démocratie. Il ne s'agit pas de créer des commissions sans lendemain. 2. - Si l'on excepte la mauvaise gestion de certaines entreprises publiques qui accaparent une partie importante du financement public, il ne faut jamais oublier l'administration et les services collectifs (les structures éducatives, de santé, des barrages), les infrastructures (les coûts des logements, routes, les aéroports), etc., qui, également, accaparent une fraction importante du budget étant géré encore selon les normes des années 1970, ignorant les règles de la rationalisation des choix budgétaires. S'est-on interrogé une seule fois par des calculs précis sur le prix de revient des services de la Présidence, du chef du gouvernement, des différents ministères et des wilayas et APC, de nos ambassades (car que font nos ambassades pour favoriser la mise en œuvre d'affaires profitables au pays?), du coût des différents séminaires et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ? Parallèlement, il convient de se poser la question de l'efficacité des transferts sociaux souvent mal gérés et mal ciblés qui ne s'adressent pas toujours aux plus démunis. Il semble bien qu'à travers toutes les lois de finances, l'on ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l'économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, donnant l'impression d'une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, bien qu'il existe certaines dispositions encourageant l'entreprise. Dans ce cadre, de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus, et dans la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit, ne connaissant ni le circuit des redistributions entre classes d'âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine. C'est la mauvaise gestion et la corruption qui expliquent que le niveau des dépenses est en contradiction avec les impacts économiques et sociaux. De ce fait, le contrôle institutionnel dont la Cour des comptes, organe suprême de contrôle selon la Constitution, dépendante de la présidence de la République, en léthargie depuis de longues années, l'organe de lutte contre la corruption, l'Inspection générale des finances (qui est juge et partie dépendant d'un ministre), sans parler des contrôles routiniers des services de sécurité, devra éviter les télescopages, donc une cohérence et coordination dans la démarche du contrôle. Mais le contrôle le plus efficace passe par une plus grande démocratisation, l'APN et le Sénat devant en principe jouer un rôle de contrepoids par des critiques et propositions productives, ne devant pas servir d'antichambre de l'exécutif devant l'aider à corriger ses erreurs. L'efficacité du contrôle passe nécessairement par une lutte contre ce cancer, la bureaucratisation. Le bureau, comme l'a montré le grand sociologue Max Weber, est nécessaire dans toute économie mais il doit être au service de la société et non s'ériger en terrorisme bureaucratique qui enfante la corruption renvoyant au poids de la sphère informelle qui contrôle plus de 45/50% de la superficie économique et selon des données contradictoires officielles entre 33% et 45% de la masse monétaire en circulation, avec une intermédiation financière informelle réduisant la politique financière de l'Etat. Dans ce cadre, l'intégration de la sphère informelle selon une vision cohérente, loin de toute vision bureaucratique autoritaire, doit aller de pair avec une participation plus citoyenne de la société civile et devant favoriser la légitimité de tout Etat du fait qu'elle permettra à la fois de diminuer le poids de la corruption à travers les réseaux diffus et le paiement des impôts directs qui constituent le signe évident d'une plus grande citoyenneté, l'élément fondamental qui caractérise le fonctionnement de l'Etat de droit étant la confiance. On peut émettre l'hypothèse que c'est l'Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner. La corruption est également favorisée par les produits subventionnés, la distorsion, de la cotation du dinar par rapport aux pays voisions, le trafic aux frontières lié à la cotation du dinar sur le marché parallèle. La procédure est simple : je vous achète 1 euro, vous me facturer 1,10 ou 1,20 euro et on partage, et comme la différence avec le marché parallèle est de 50%, il y a encore une rente au niveau du marché intérieur, où souvent le prix final s'aligne pour les produits importés sur le marché parallèle excepté les produits subventionnés. Cela pose la problématique de la réforme bancaire, lieu de distribution de la rente, qui doit toucher la nature du système et pas seulement la rapidité de l'intermédiation financière par la numérisation (aspect purement technique), qui, paradoxalement, pourrait faciliter des détournements plus rapidement si l'on ne s'attaque pas à la racine du mal. 3. Un autre facteur important, un système d'information transparent et fiable est une condition fondamentale de tout contrôle. La crise mondiale actuelle a bien montré l'urgence de l'intervention des Etats du fait que les mécanismes de marché seuls ne garantissent pas la transparence et le développement. Du fait que toute société est caractérisée par les imperfections des marchés, hypothèse de marchés totalement concurrentiels étant la tendance idéale, l'intervention de l'Etat régulateur s'avère stratégique afin de mettre à la disposition des opérateurs préoccupés par leur gestion quotidienne, de l'information afin de minimiser les risques, donc les coûts de transaction, au moyen d'observatoires au niveau macroéconomique, parallèlement à une politique monétaire, fiscale, douanière, claire, permettant des prévisions sur le moyen et le long terme. Pour l'Algérie, la non-maîtrise des données tant nationales qu'internationales, la faiblesse de la codification existante, la rente ayant pendant des années comblé les déficits au nom d'une paix sociale fictive, la marginalisation des compétences, tout cela engendré fondamentalement par la nature du système bureaucratique, expliquent l'effondrement du système d'information à tous les niveaux, où parfois des responsables sont informés par la presse ignorant le fonctionnement de leur secteur. Or, une erreur de politique économique peut se chiffrer en pertes pour la nation de plusieurs centaines, voire des milliards de dollars. Il existe des liens complexes entre le façonnement des comptes au niveau des entreprises et l'environnement et lorsqu'on invoque la mauvaise gestion, il y a lieu de bien cerner l'ensemble des causes internes et externes du résultat brut d'exploitation. D'autant plus que les opérateurs publics durant cette phase où la bureaucratie est omniprésente subissent des injonctions qui échappent à leurs propres initiatives dont les différentes formes d'organisations depuis l'indépendance politique traduisent les rapports de force au niveau du pouvoir pour la gestion des capitaux marchands de l'Etat. D'où l'importance d'un système d'information transparent pour apprécier objectivement les performances. Car l'expérience montre souvent des amortissements exagérés par rapport aux normes internationales pour des unités comparables, le gonflement de la masse salariale qui éponge la valeur ajoutée, l'absence d'organigrammes précis des postes de travail par rapport au processus initial, gonflement démesuré des frais de siège qui constitue un transfert de valeur en dehors de l'entreprise avec prédominance des postes administratifs, comptabilités à prix courants de peu de signification ne tenant pas compte du processus inflationniste. Et comme au niveau macroéconomique la production est production de marchandises par des marchandises, nous sommes dans le brouillard pour tester les performances individuelles surtout en l'absence de comptes de surplus physico-financiers à prix constants qui peuvent aider à suppléer à ces déficiences comme je l'avais suggéré à la Présidence de l'époque en tant que haut magistrat, premier conseiller et directeur général à la Cour des comptes entre 1980/1983. Aussi, il s'agit de bien spécifier les facteurs internes à l'entreprise des facteurs externes. Au niveau interne, car beaucoup de gestionnaires rejettent la responsabilité sur les contraintes d'environnement en soulignant l'importance des créances impayées, force de travail inadaptée, blocage bancaire, infrastructures (logement, santé, routes) mais oublient d'organiser leurs entreprises. Combien d'entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer leur efficience loin de l'ancienne culture mue par l'unique dépense monétaire. Combien d'entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels entre les objectifs et les réalisations, ces opérations budgétisées étant la base du plan de financement, sans compter la faiblesse des différents travaux comptables de base. Par ailleurs, l'absence d'observatoire de l'évolution des cours boursiers permet des prix à l'achat exorbitants en devises pour ne pas parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières du compte d'exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton, etc., sont cotés journellement à la Bourse. La compréhension des mécanismes boursiers, des trois monnaies clefs, l'évolution du dollar, du yen et de l'euro et le yuan chinois dans les années à venir a des incidences sur le niveau des réserves de change. 4. L'efficacité du contrôle doit s'insérer dans le cadre d'une vision stratégique. Les mécanismes de contrôle en économie de marché doivent définir clairement le droit de propriété et la nature du rôle de l'Etat pour favoriser le contrôle. Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoigne de l'impasse du contrôle institutionnel en dehors d'un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus, alors que l'objectif est une totale transparence pour crédibiliser toute décision. Qui est propriétaire ? Car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu'elle ait été responsable. Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe. Un directeur général d'entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large -véritable pouvoir de décision- de son entreprise ? Qui est propriétaire de l'ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C'est toute la problématique du passage de l'Etat propriétaire gestionnaire à l'Etat régulateur ou stratège que n'ont résolu jusqu'à présent à travers les différentes organisations de 1965 à 2021, grandes sociétés nationales 1965/1979, leurs restructurations de 1980/1987, les fonds de participations vers les années 1990, les holdings 1995/1999, puis entre 2000/2020, les sociétés de participation de l'Etat SGP et récemment au retour à la tutelle ministérielle. Ces évolutions s'expliquent par les interférences entre le politique et l'économique dans le cadre de la gestion des capitaux marchands de l'Etat, y compris le système financier public enjeu de pouvoir. Nous pouvons distinguer six (6) cercles de décision. Le premier cercle est celui par lequel transitent toutes les décisions sans exception, présidence de la République et son staff et toutes les institutions qui lui sont rattachées dont la Défense, le ministère des Affaires étrangères, des institutions comme le Conseil de sécurité; le second cercle le Chef du gouvernement ou le Premier ministre avec son staff; le troisième cercle les ministères de souveraineté et de l'économie, le ministre de l'Intérieur, de la Justice, des Finances, de l'Energie; de l'investissement; le quatrième cercle est l'ensemble des organisations politiques (émanation du Parlement) juridictionnel (Conseil constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour des comptes, Conseil économique et social, Conseil de la concurrence, Conseil national de l'Energie, en plus les conseils culturels et religieux); le cinquième cercle est composé des administrations sectorielles centrales et locales; le sixième cercle de la décision est celui des syndicalistes, organisations professionnelles ou patronales, associations, entreprises publiques et privées; le sixième cercle peut être représenté par l'extérieur du fait des accords internationaux de l'Algérie notamment avec l'ONU, le FMI, la Banque mondiale et d'autres institutions internationales (zone de libre-échange avec l'UE, le monde arabe, l'Afrique, OMC). Pour les différents cercles énumérés, l'on peut modéliser sous forme d'un schéma matriciel pour déterminer les interactions complexes des différents acteurs, pour des décisions opérationnelles. En résumé, les pratiques sociales contredisent souvent les discours si louables soient-ils. Comme l'a mis en relief l'économiste de renommée mondiale, John Maynard Keynes, un des plus grands économistes du XXe siècle : «Il vaut mieux que l'homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens». Comme je le rappelais dans une interview donnée au grand quotidien financier les Echos ? Paris, le 07 août 2008 : «Le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux au frein à l'investissement porteur en Algérie. La lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de la bonne gouvernance et de la rationalisation de l'Etat dans ses choix en tant qu'identité de la représentation collective». *Docteur - Professeur des universités, expert international, haut magistrat (premier conseiller) et Directeur général des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983 |
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