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« Pour régner, pour gouverner,
il faut plaire au peuple. Lui mentir si nécessaire. Mais dire ce que les gens
ont envie d'entendre. Le faire est secondaire. On calme la colère, les
déceptions, par encore plus de démagogie. Puis vient le moment de tourner, de
laisser sa place au parti d'en face, une fois que le peuple en a marre
d'entendre trop de mensonges » Frédérich Jézégou
C'est le pétrole qui préside aux destinées du pays depuis sa découverte par les Français en 1956 jusqu'à son épuisement par les Algériens dans un avenir jugé très proche soit 2030 selon les prévisions officielles. « Les hommes ne sont que des cerises sur le gâteau. L'Algérie a un gros ventre et une petite tête Le gros ventre est la poche saharienne, la petite tête est la bande côtière qui donne sur la Méditerranée. « L'homme commence par être un tube digestif, ensuite un sexe, parfois un cerveau ». L'islam a hissé l'être sur un piédestal, la rente énergétique l'a réduit à un tube digestif puant et corrosif. L'Algérie a arraché son indépendance par l'emploi de la ruse, elle a raté son développement par manque d'intelligence. Le pétrole était présent dans le prolongement de la lutte de libération nationale, dans les négociations menées avec la puissance coloniale et dans l'édification de l'Etat algérien naissant. Il va être ce « pot de miel » de l'Etat algérien indépendant qui sera disputé à l'intérieur du pays par les clans rivaux et sera convoité à l'extérieur par les puissances étrangères dominantes pour qui « l'Algérie n'est qu'un drapeau planté sur un puits de pétrole ». Le pétrole permet d'affirmer sa légitimité sur la scène internationale et d'imposer son dictat à la population sur le plan interne. Il permet une longévité plus grande à la tête de l'exécutif. Le pétrole est l'inspirateur et le fondateur du régime politique et du système économique de l'Algérie contemporaine. Il est à l'origine de l'orientation socialiste (parti unique, gratuité des soins, école obligatoire, usines clés ou produits en mains) dans les années 70. Il sera le promoteur du « programme anti-pénurie » (équipements électroménagers destinés aux ménages, allocations touristiques pour tous les Algériens) au cours des années 80. Il sera le détonateur de la guerre fratricide dans les années 90 (émeutes en 1988, décennie rouge qui a fait des milliers de morts et de disparus, paix retrouvée après dix ans de guerre civile - une pluie diluvienne de dollars s'est abattue sur l'Algérie ensanglantée nettoyant toute trace de sang sur son passage). A la faveur d'une embellie financière, des milliers de logements seront importés de Chine et implantés sur des terres à vocation agricole sans équipements collectifs d'accompagnement. Il sera enfin un acteur de démocratisation et de banalisation de la corruption dans le but d'asseoir un pouvoir hégémonique sur le long terme (multiplication et étouffement de nombreux scandales et de détournements de fonds publics). Il est l'architecte de la construction d'une économie illusoire et le bâtisseur des institutions factices C'est grâce à lui que le pays fonctionne. C'est un stabilisateur du régime politique, un inhibiteur de la jeunesse, un serviteur capricieux de la paix sociale. Il est responsable de la décadence morale de la société et masque l'indigence de l'économie. L'Algérie vit de la rente, au rythme du marché pétrolier et gazier. Lorsque le cours du brut grimpe, c'est la fête, la grande zerda : le régime festive, l'armée s'équipe, la société s'endort, le monde accourt, les frontières s'ouvrent. Dès que le prix baisse, c'est la guerre, la grande «fitna » : le régime déprime, l'Etat se fissure, le peuple se réveille, les étrangers s'en vont, le pays se ferme. C'est la panique à bord, le sauve-qui-peut, la fin approche. « Tout le monde se plaint du manque d'argent, personne ne se plaint du manque d'intelligence ». Pourtant, c'est l'intelligence qui crée la richesse et non l'inverse. Soixante ans d'indépendance n'ont pas doté le pays d'une bourgeoisie entrepreneuriale et d'une classe ouvrière laborieuse. Du berceau à la tombe, l'Algérien est pris en charge par le pétrole qui lui assure sa sécurité et sa nourriture. « Dormez, dormez braves gens, le pétrole veille sur votre sommeil et le peuple y répond en poursuivant son sommeil jusqu'à ce que mort s'ensuive ». « La vérité est comme une femme : nue, elle nous fait peur, elle révèle notre impuissance ; habillée, elle nous rassure, elle cache nos défauts ». Nous fuyons la vérité et nous nous refugions dans le mensonge. Nous avons les gouvernants que nous méritons. Ils sont notre reflet, nous sommes leur produit. « On nous traite comme nous voulons être traités ; nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe ». La pensée est de Blaise Pascal. On dit ce que l'on ne fait pas et on fait ce que l'on ne dit pas. « Quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes sous forme d'un clou ». Nous n'apportons pas de solutions à nos problèmes, nous en créons d'autres. « Tout clou qui dépasse interpelle le marteau ». Nous nous entêtons à reproduire à l'infini les schémas de pensée qui ont fait la preuve de leur inefficacité. Albert Einstein nous a pourtant appris qu' « un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu'il a été créé ». Nous refaisons à l'infini les mêmes erreurs. Alors, à quoi bon la lumière du soleil si on garde les yeux fermés ? Le pétrole nous enivre, le gaz nous pollue, l'argent facile nous aveugle. C'est un argent sale. Un argent qui tue, qui corrompt, qui pourrit, qui détruit y compris les consciences. L'actualité donne l'image d'un pouvoir qui veut briser le miroir afin d'exorciser les démons qui l'habitent devenus encombrants car l'empêchant de prendre de la hauteur et de la distance par rapport aux évènements et aux hommes. On nous apprend que le coût de production du pétrole ne dépasse pas à Hassi Messaoud les cinq dollars le baril, que son prix de vente qui est de 14 dollars atteindra les cinquante dollars d'ici fin juillet 2020 et que nos réserves pétrolières couvrent 26 ans de production. « Tout va bien, Madame la Marquise ». Le nouveau ministre de l'Energie vient de nous confirmer le recours au pétrole et au gaz de schiste en cas de besoin. L'option d'exploiter le gaz de schiste gagne du terrain parmi les gestionnaires occultant les enjeux géopolitiques et environnementaux. Du pétrole, toujours du pétrole, rien que le pétrole. L'Algérie peut dormir sur ses lauriers. Le pétrole veille sur son sommeil, sa sécurité et sa stabilité. L'Algérie ne vit pas sur terre, elle est sur un nuage. Elle est à l'abri de la tourmente planétaire qui se profile. Le pétrole nous enivre, le gaz nous pollue, l'argent facile nous aveugle. Les années fric du règne de Bouteflika sont devant nous. Il suffit de fermer les yeux. Le prix du brut grimpe, les coffres se remplissent, tout coffre a une serrure, toute serrure a une clé, l'argent devient roi, les années fric blanchissent les années noires. La femme investit l'espace public et l'homme s'enferme dans l'espace privé. Il se cache derrière les écrans. La femme envahit la fonction publique, l'homme quitte le travail, fuit la politique, commente le match. « Nous sommes les meilleurs, nous marquons des buts avec notre langue, nous applaudissons avec nos pieds, nous réfléchissons avec notre ventre ». La politique, un spectacle gratuit de mauvais goût destiné à des enfants attardés n'intéresse plus personne. Qui dit mieux ou plutôt qui fait mieux ? L'Algérie est dans une salle d'attente. La femme est montée en grade, son mari bat en retraite. L'argent remplace le phallus au lit, castre l'homme et avilit la femme. L'autorité et la responsabilité forment un couple séparé. Elles font chambre à part. Celui qui décide n'est pas responsable et celui qui est responsable ne décide pas. Les jeunes couples se forment et se déforment à la vitesse de la lumière. L'argent facile va et vient et fait des enfants. Nous nous couchons à deux et nous nous retrouvons à trois, quatre puis à cinq. Des milliers de logements seront importés de Chine. Gouverner, c'est prévoir. Avec le confinement, ils seront accompagnés de maternités équipées de tous les équipements sanitaires. Après le Covid-19 ce sera le baby-boom. Qui assumera la responsabilité ? Evidemment personne. Les enfants n'ont pas demandé à venir au monde. Ils sont à leurs corps défendant livrés à eux-mêmes. Nous sommes en pleine pandémie, les Algériens sont confinés chez eux de 17 heures à 07 heures du matin, douze longues heures. L'oisiveté est mère de tous les vices « Dormez, dormez braves gens, le pétrole veille sur votre sommeil. Mais surtout, restez chez vous, dehors l'ange de la mort circule, il n'épargne personne ». Le coronavirus est dans la rue, dans les magasins, dans les mosquées, dans les administrations, dans les casernes. Il est partout et personne ne le voit. Il ferme les frontières, ouvre les morgues, les statistiques l'attendent. Le palmarès revient comme toujours aux Etats-Unis talonnée de près par l'Europe. Il ralentit l'activité économique, fait chuter le cours du pétrole, enflamme les prix des denrées alimentaires, bouscule les habitudes, crée une psychose, ébranle les Etats les plus puissants. Il défie l'ordre et crée le désordre. « Quand l'ordre est injustice, le désordre est déjà un commencement de justice » nous signale Romain Roland. Lorsqu'un certain type de stratégie de pouvoir s'identifie à une équipe dirigeante, il est peut-être nécessaire de changer d'équipes pour parvenir à adapter le discours ; car le verbe peut servir de refuge à l'impuissance d'agir. Il y a une grande différence entre les hommes politiques et les hommes d'Etat, les uns pensent à la prochaine élection, les autres aux futures générations. S'il est possible que des dirigeants intelligents reconnaissent leurs erreurs et soient disposés à les corriger, il est également possible qu'un peuple qui s'est libéré du joug colonial accepte de se dire des vérités et décide dans sa grande majorité d'amorcer des changements indispensables à sa survie dans un monde sans état d'âme qui ne laisse aucune place aux nations faibles. La famine sera le critère déterminant de sélection des peuples à la survie. Si l'on veut réaliser la possibilité de l'Algérie de rompre avec le syndrome autoritaire et de mettre fin à la maladie des hydrocarbures, une analyse en profondeur des rapports entre les élites et le peuple est indispensable. Rares sont les dirigeants qui disent la vérité parce que faire de la politique c'est mentir. Et le grand mensonge est la rente pétrolière et gazière. Qui va abandonner la douceur de vie de la vallée pour emprunter les chemins tortueux de la montagne ? Pourtant la sagesse se trouve au sommet de la montagne et la richesse dans le sous-sol saharien (la nappe de l'Albien est la plus grande réserve d'eau douce au monde se trouve en Algérie, mais qui s'en soucie ?). Le pétrole enivre le politique, le politique épuise le pétrole. Vivant exclusivement de la rente, l'Etat peut se permettre de ne pas développer une production propre en dehors des hydrocarbures et rien ne l'empêche d'établir des relations clientélistes avec les acteurs économiques et sociaux qui se sont multipliés au fil du temps et des sommes amassées. Partant du principe sacro-saint que tout problème politique, économique ou social a une solution budgétaire. Comme le budget est constitué essentiellement de recettes fiscales pétrolières, l'Etat jouit d'une grande autonomie par rapport à la population puisqu'il est capable de fonctionner et de renforcer ses services sans recourir à l'impôt ordinaire. L'essentiel du jeu économique et sociopolitique consiste donc à capturer une part toujours plus importante de cette rente et à déterminer les groupes qui vont en bénéficier. Il donne à l'Etat les moyens d'une redistribution clientéliste. Il affranchit l'Etat de toute dépendance fiscale vis-à-vis de la population et permet à l'élite dirigeante de se dispenser de tout besoin de légitimation populaire. Elle dispose des capacités de retournement extraordinaire étouffant toute velléité de contestation de la société. Il sera le moteur de la corruption dans les affaires et le carburant des violences sociales. « Ce sont les mouches qui vont vers le pot de miel et non le pot de miel qui se déplace vers les mouches ». « Qui va scier la branche sur laquelle il est assis ». Ni l'arbre ni la scie ne sont responsables de sa chute toujours recommencée. « Une chute sans fin dans une nuit sans fin. Voilà l'enfer » dira Victor Hugo *Docteur |
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