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«...Un brigand agresse
sauvagement, à coups de couteau, un passant pour lui dérober son portefeuille.
Terrassée et gisant dans son sang, la victime supplie son agresseur de lui
envoyer des secours. Ce dernier ramène deux charlatans de ses amis. Le premier médecin
libéral, docteur du FMI, refuse de croire à l'agression et diagnostique une
simple faiblesse. Un bonne saignée remettra le patient
d'aplomb. Le second médecin socialiste et fonctionnaire, admet l'agression mais
maintient le diagnostic de malaise et recommande vitamines et exercices. Tandis
qu'ils se disputent ainsi, la victime achève de perdre son sang sous les
quolibets de l'agresseur... » (1)
La coexistence de la misère et de l'abondance devient, chaque jour, plus intolérante et l'on assiste à des pressions de plus en plus fortes à des revendications visant à une redistribution plus égalitaire des revenus. Des populations se sentant abandonnées à elles mêmes, n'ont plus aucun intérêt à l'Etat. Le pouvoir ne leur apparaît plus crédible, il ne satisfait pas à leurs besoins. La promesse d'un développement égalitaire pour tous n'a pas été tenue parce que les ressources du pays ont été dilapidées dans des projets grandioses sans impact sur la création d'emplois productifs durables et sur le développement de l'économie. La richesse distribuée ne craint pas de se montrer au grand jour tandis que les inégalités sociales s'accroissent. La corruption et la mauvaise gestion des ressources conduisent la majorité de la population à un appauvrissement certain. La richesse facile semble être le chemin assuré vers l'échec des politiques menées à l'abri des baïonnettes. A la faveur d'une embellie financière inespérée, un président de la République « élu » (2) fait le pari de relancer la croissance économique du pays par la dépense publique, sans analyse préalable et sans vision stratégique, tout en sachant qu'en cas d'échec, c'est le peuple algérien qui en sera affecté (3). Ce pari s'est traduit, dans les faits, par l'injection de mille milliards de dollars cash soit plus de deux cent mille milliards de dinars algériens, l'équivalent de la reconstruction de l'économie européenne après la Seconde Guerre mondiale, en vingt ans de règne absolu, au vu et au su de tout le monde, sans exception, y compris le peuple algérien. Il n'est pas victime, il est complice. Avec le plan de relance décidé par le gouvernement, le pays a connu son printemps des grands travaux d'infrastructure. Il a vécu au rythme des vastes chantiers routiers, autoroutiers, ferroviaires, portuaires, aéroportuaires, immobiliers et hydrauliques. C'est l'essor du BTPH. L'abeille est entrée dans le masque du BTPH. La recherche effrénée du gain facile a pris le dessus sur les exigences professionnelles dans un domaine aussi délicat que le secteur du BTPH. La quantité a été privilégiée à la qualité, le lancement précipité des travaux à la maturité suffisante des projets, l'appel à l'extérieur sur la mobilisation interne, la fourniture importée sur la fourniture des produits locaux. La couverture des déficits programmés par la fréquence des avenants au contrat principal. L'activité du BTPH a été dopée par l'augmentation des dépenses d'équipements de l'Etat, sans contrôle ni à priori ni à postériori. Ces programmes constituent des plans de charge supplémentaires sans commune mesure avec leurs moyens matériels, organisationnels et humains. Evidement quand la demande publique est supérieure à l'offre locale les prix augmentent artificiellement faisant bénéficier aux entreprises privées ou publiques une rente de situation masquant les défaillances et les perversions de gestion. C'est la manne pétrolière et gazière qui a permis le paiement « cash » des grands travaux routiers, autoroutiers, ferroviaires, hydrauliques, habitat ; etc. Bousculant l'orthodoxie budgétaire admise (amortissement sur une trentaine d'années des infrastructures de base et leur financement par des emprunts à long terme dont les coûts et les délais sont contrôlés par les organismes bailleurs de fonds et non par les gouvernements bénéficiaires de ces fonds), livrés en fin de parcours avec des coûts, des délais, et une qualité en-deçà des normes communément admises avec un impact sur la société et sur l'économie insignifiant pour ne pas dire nul (faible croissance économique, taux élevé de chômage, inflation galopante, hausse vertigineuse des importations, dépendance accrue vis-à-vis de l'extérieur et la liste est longue...) Cette intégration à l'économie mondiale, sans analyse préalable et sans stratégie réfléchie, a poussé l'ensemble de l'économie nationale à l'importation et l'agriculture en particulier à être incapable de reproduire la force de travail de l'homme en Algérie. Un argent qui tue, qui achète, qui corrompt, qui pourrit qui détruit y compris les consciences (4). Si l'on avait rêvé un jour de prendre à l'Occident la science et la technique en gardant son âme, il semble que l'on est en train de perdre son âme sans réussir à maîtriser cette science et cette technique. Malheureusement, les discours ont peu d'effet puisqu'on a pris l'habitude de consommer sans produire, de dépenser sans compter, de gérer sans rendre compte, de gouverner sans la participation pleine et entière des larges couches de la population. Le boom pétrolier qu'a connu l'Algérie illustre parfaitement la cohabitation entre la permanence d'une misère morale endémique et l'existence de ressources financières abondantes. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l'infini le système mis en place Dès qu'il y a une baisse de prix, le régime se met à vaciller et à paniquer. Un système gouverné par des élites passées et dépassées. Un système opaque, injuste et improductif qui n'a de compte à rendre à personne même pas à lui-même. Un système que les élites n'arrivent pas à le maintenir en érection malgré tous les efforts d'imagination déployés. Un système conçu à l'ombre de la guerre de Libération et mis en pratique par les hommes sortis de l'ombre pour faire de l'ombre au développement et à la démocratie. Un système qui a l'art et la manière de faire marcher les chiens debout et les hommes à quatre pattes. Evidemment, quand les chiens s'attablent autour d'un méchoui, les hommes n'ont même pas droit aux os. Un chien reste un chien même avec une queue en or. Mais au fait, ce méchoui : est-ce de l'agneau ou ... du marcassin ? Qu'importe, dirons certains, l'essentiel est « faites nous vivre aujourd'hui et jetez- nous dans l'enfer demain » et la réponse ne s'est pas fait attendre, c'est d'injecter massivement et à forte dose de l'argent facile à travers des réseaux occultes et mouvants gangrénant l'ensemble du corps social, même dans ses compartiments les plus reculés. Peut-il en être autrement ? Evidemment non, personne n'a intérêt à mordre la main qui le nourrit même si elle est pourrie ? C'est pourquoi, la main qui « donne !!! » est toujours supérieure à celle qui reçoit, c'est donc elle qui dirige. C'est l'ère de la démesure et le début de la démence. La rente pétrolière et gazière empêche quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d'âge, la diversification de l'économie et la renaissance d'une culture ancestrale qu'elle soit ethnique ou religieuse. Elle freine tout processus de développement ou de démocratisation du pays. L'argent du pétrole et du gaz donne l'illusion aux hommes que le pouvoir est « éternel » et qu'il peut se transmettre de père en fils. Les régimes arabes déclinants sont rongés par le désir sanglant d'une transmission héréditaire du pouvoir (Syrie, Egypte, Libye, etc.) à l'instar des monarchies arabes du Golfe (Arabie Saoudite, les Emirats, etc.). Les démocraties occidentales (Etats Unis, Union européenne,) s'accommodent parfaitement de la présence symbolique des régimes politiques arabes sur la scène internationale car il y va de leurs intérêts. Il s'agit de pérenniser les trônes au détriment des républiques. Les régimes arabes sont pris en tenaille entre un Etat Monde dominé par l'argent et un Monde sans Etats régi par la morale. Faut-il se rabaisser pour ramasser l'argent ou élever son âme pour atteindre l'éternité ? Sur le plan politique, les pétromonarchies arabes sont les meilleurs protecteurs et les plus fidèles alliés des intérêts occidentaux en perte de vitesse face à la montée en puissance des pays émergents (Chine, Indes, Brésil, Afrique du Sud). La corruption des mœurs, c'est-à-dire le pouvoir qu'une élite dirigeante s'acquiert sur un peuple au moyen de sa corruption morale ne peut être que d'inspiration satanique. Il y a, semble-t-il, une relation inversement proportionnelle entre le niveau de prix du brut et le niveau de liberté des peuples. La fin des Etats Nations annonce-t-elle la naissance de l'Etat Monde ou le début d'un Monde sans Etat ? Ce troisième millénaire sera-t-il marqué par la domination de la spiritualité sur la temporalité ? Un monde de fraternité et de solidarité ou un monde de destruction massive des populations ? L'humanité entre dans une phase la plus inattendue de son histoire où l'homme méprise le bien et encourage le mal (5). Que de questions mais peu de réponses pour une société sans élite ou une élite sans dignité, vieillissante vivant sur son passé glorieux et ignorant les enjeux du futur, en mal de reconnaissance sociale, imprégnée d'une culture apparente et de bas étage, nourrie au biberon « pétrolier » et non au sein maternel, qu'elle soit d'inspiration occidentale ou orientale, qu'elle soit au pouvoir ou dans l'opposition, les deux sont déconnectées des besoins réels de leur société, agissent le plus souvent comme sous traitants des pouvoirs en place, en s'inspirant des théories venues d'ailleurs, notamment de l'Occident qui veut que le monde arabe soit à son image et en même temps qui lui soit profitable. La religion nous centre sur nos devoirs, la démocratie sur nos droits. Sans le pétrole et le gaz, l'Algérie sera-t-elle un tombeau à ciel ouvert, sous un soleil de plomb ? Le pays survivra-t-il à un éventuel sevrage pétrolier ou gazier ? La recherche et l'exploitation du gaz de schiste va-t-elle forcer le destin ? Un destin qui échappe à la volonté des hommes Notes : (1) Serge LATOUCHE, Faut-il refuser le développement ? Editions Presses Universitaires de France, Paris, Février 1986, p.183 (2) Le Président A. Bouteflika déclarait à la veille de son élection : « si je ne suis pas élu par un vote massif, je retournerai chez moi, si le peuple algérien se complait dans sa médiocrité, je ne suis pas obligé de faire son bonheur malgré lui ». (3) Quand tu as le pouvoir, tu as l'argent, et quand tu as l'argent, tu gardes le pouvoir. A partir de là rien ne change. Tout le reste n'est que subterfuges et duperies pour amuser la galerie. (4) Dans un pays chômé et payé où l'argent facile coule à flots, l'économie cède les commandes au politique, le politique à l'incurie, et l'incurie à l'écurie qui conduit vers l'abattoir (5) «les plus grands ennemis de la vérité, ce ne sont las nos mensonges mais nos certitudes» Nietzsche |
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