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La réaction des Algériens
au contenu du livre scolaire et des livres sur son histoire séculaire est,
malgré les dérapages et violence du verbe, révélatrice du niveau de conscience
nationale et du désir de bâtir un avenir commun apaisé et ambitieux.
Les polémiques et débats relatifs à l'identité algérienne, au contenu des manuels scolaires, le rôle de l'école, place de la femme dans la société et autres sujets de société qui inondent la scène médiatique et politique du pays sont, en dépit de l'effervescence qui les caractérise, un indicateur sociologique et culturel, d'une société en mouvement, au sens historique du terme. Peu importe le ton des interventions et la qualité des intervenants, qu'ils soient politiques, intellectuels, étudiants, jeunes, vieux, employés, ouvriers ou citoyens lambda. Les Algériens et Algériennes de toutes classes et conditions sociales s'interrogent, débattent, confrontent leurs avis et opinions dans les cafés, les journaux, les associations, dans la rue, via les médias et réseaux sociaux et jusqu'entre membres de la même famille. Comme si, tout à coup, le peuple a pris conscience de sa condition de corps social vivant le même présent et condamné à organiser son avenir commun. Sur quelles bases et pour quel avenir? L'Algérie questionne son passé jusqu'aux plus lointain qu'elle se souvienne pour comprendre d'où elle vient, où elle en est et où elle va. Cela donne, immanquablement, des débats passionnés et passionnants, contradictoires, voire violents dans la formulation et la répétition. Malgré les dérapages verbaux, les messages répétés ciblant telle ou telle institution ou personnalité publique, il faut voir dans cette atmosphère, à priori tendue, stressante et anxiogène, le prix à payer pour se libérer, définitivement, de l'amnésie historique dans laquelle a été plongé le pays, depuis l'indépendance et la léthargie soporifique qui a décimé tout esprit critique, toute idée de liberté de penser et d'être, tout espoir d'un engagement pour un avenir radieux pour tous les Algériens. Et ce n'est pas un hasard que l'Ecole soit au centre de ce débat national. L'Ecole, définie à juste titre par Louis Althusser comme appareil idéologique de l'Etat ( AIE), a toujours était l'enjeu des luttes sociales et politiques et l'outil de contrôle du détenteur du pouvoir. L'épisode de la localisation d'Israël en lieu et place de la Palestine, sur une carte géographique d'un manuel scolaire est révélatrice de la portée politique et idéologique du rôle de l'Ecole et de l'extrême sensibilité des Algériens à leur réputation de défenseurs des causes justes. La levée de boucliers sur cette question n'est pas tant l'adresse d'Israël sur la carte puisque elle s'y trouve de fait, mais la « disparition » de la Palestine de la carte. En cela, la colère des parents et élèves est plus que légitime. La réaction a été, aussi, immédiate que « stupéfaite » face à cette autre absurdité, l'étude qui affirme, on ne sait par quel mystère, que quatre-vingt pour cent de la population algérienne est de « lignée » ou d'origine arabe. Ainsi, le corps social national fait la différence entre sa part d'identité linguistique arabe qu'il assimile et revendique, fièrement et son identité « entière » qu'il considère faite de multiples sédiments historiques dont celui commun de son origine et culture ancestrales berbère ou amazigh, reconnu et inscrit dans la Constitution nationale. L'Algérien n'est pas comme le veut la caricature si obtus, sectaire, régionaliste, exclusive dans une identité fantasmée. L'Algérien sait et sent que son histoire séculaire est loin d'être dépoussiérée, que des zones d'ombre demeurent et qu'elle est un enjeu politique soumis à bien de manipulations et contre-vérités. Du coup, sa réaction est immédiate lorsque la provocation touche à ce qu'il a de plus sacré: son identité qu'il sait faite de strates culturelles et de brassages ethniques multiples qui se sont grevés sur sa lointaine et première identité berbère qu'il revendique avec légitimité et fierté mais dont il n'en fait pas une identité exclusive. Il faut voir, dans la revendication de l'identité berbère, plus le désir de ne pas voir disparaître ce segment identitaire de l'Algérie qu'une volonté de rejet des autres composantes de l'identité nationale dont celle, évidemment arabe. Hormis la minorité des radicaux et extrémistes, tant berbères qu'arabes qui attisent un communautarisme primaire, la majorité des Algériens vivent, avec harmonie et dans l'apaisement, leur identité algérienne, sans aucun complexe ni violence. La réaction à l'étude faisant de l'origine de l'Algérien un « arabe à 80 % » exprime non seulement la conscience de son « historicité » mais surtout celle, aussi, de construire une destinée commune. Autrement dit, il lui faut revendiquer et préserver la totalité de son histoire sociale, culturelle, ethnique et politique, pour pouvoir satisfaire son désir de vivre un présent apaisé et bâtir un avenir commun. Feu Mostéfa Lacheraf avait dans ses livres ?Histoire, culture et société' - 1986- et ?Algérie Nation et société' - 1965- avancé que plus de 80 % de la population algérienne est d'origine berbère, c'est-à- dire l'exact contraire de l'étude publié par le nouveau manuel qui fait polémique. A l'époque, le passage du livre de Lachraf sur la composante ethnique du pays n'a pas, hormis dans les cercles fermés intellectuels, soulevé une polémique nationale. Et pour cause, la parti unique du FLN et la police politique veillaient au grain. Le hasard a fait que Mostéfa Lachraf a été aussi ministre de l'Education national ( 1977). On sait comment il fût marginalisé, exclu loin dans les oubliettes. Le système politique d'alors ne pouvait s'accommoder avec un esprit aussi érudit, vif et passionné pour son pays. Il disparut en 2007, dans la discrétion et le « silence » de ce pays qu'il a tant aimé et défendu. Aujourd'hui, dans le fracas du débat sur son présent et sur les nombreuses interrogations sur son avenir, l'Algérie subit des soubresauts et des tressaillements dans son mode d'expression avec, souvent, une violence verbale parce qu'elle veut en finir avec le martyre de sa mémoire et de son histoire. Elle veut assumer pleinement son identité plurielle et en faire une richesse, un moyen d'unification, de grandeur et de développement. En un mot une conscience nationale pour bâtir son Etat nation moderne, libre et démocratique. Pas de panique, donc, devant la mobilisation des Algériens tant pour leur Ecole que pour la géographe du monde. |
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