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Avec le recul,
que penser de la décision du 15ème Sommet des BRICS d'un élargissement
n'incluant pas l'Algérie ?
Je me propose ici de « décoder » cette décision en faisant une lecture de la déclaration finale du Sommet. D'abord, rappelons-nous des échecs précédents : l'Algérie est un des rares pays au monde à n'avoir pas réussi son accession à l'OMC après plus de trois décennies d'attentisme. L'accord d'association avec l'UE est en déroute. Le projet de construction de l'UMA dans lequel l'Algérie s'est énormément investie n'a pas abouti, et en toute probabilité la zone de libre-échange africaine (dimension soulignée dans la déclaration du Sommet des BRICS) risque de nous rester inaccessible. D'une manière ou d'une autre, ces chemins ouvraient des fenêtres d'accès à la globalisation. Quels enseignements pourrait-on tirer de ces défis non relevés et du message du Sommet de ce G5 ? Le premier enseignement serait de se départir de la propension nationale à mettre la charrue avant les bœufs, par précipitation ou par effet d'annonce. Autrement dit, ne faudrait-il pas s'atteler à construire une économie ouverte et compétitive pour s'armer et entrer dans des négociations économiques et commerciales internationales. Pour cela, n'y aurait-il pas lieu aussi d'utiliser la pression grandissante de l'environnement international pour accélérer les transformations internes. Les archaïsmes de notre administration constituent une entrave au développement de notre pays et à ses ambitions au plan international. Deuxième enseignement, les pays membres des BRICS, tous membres de l'OMC, acteurs pragmatiques s'il en est dans la globalisation des échanges et de l'investissement, savent que notre pays n'a pas cessé d'envoyer des signaux négatifs de non insertion dans la globalisation. Or, la déclaration finale du Sommet de Johannesburg est de bout en bout, un langage d'acteurs de la globalisation ainsi qu'une matrice d'une « solidarité » d'intérêts. Tout en ne souhaitant pas directement faire contrepoids au Directoire du G7, ils se transforment de facto en une nouvelle « boussole stratégique » pour le monde hors Occident. Ce G5 est avant tout une coalition pragmatique « d'intérêts communs » respectueuses des différences et options de chacun. La déclaration finale du Sommet n'incorpore pas de discours moralisateur ni ne prétend exporter ou imposer des « valeurs communes » à géométrie variable telles que celles trop souvent énoncées par les États-Unis et l'Union européenne. De notre côté, si la croyance en ces « valeurs communes » a pu utilement alimenter, pendant un certain temps, le dialogue avec les partenaires occidentaux, la récurrence du double standard, qui a fini par les vider de leur pertinence, nous interpelle vers plus de pragmatisme pour positionner l'intérêt national au-dessus de principes bafoués par leurs propres géniteurs. Sur le terrain économique et financier, observons la réalité. Notre pays a découragé les investisseurs étrangers. Les rares entreprises indiennes et brésiliennes présentes en Algérie ont fini par plier bagage (les informations sur les relations avec l'Afrique du Sud, l'Inde et le Brésil sur les sites web du MAE et de nos ambassades à Brasilia, New Delhi et Pretoria sont périmées et ne permettent pas d'avoir un instantané sur ces relations). Dès lors, de quel poids aurait été le ticket d'entrée de l'Algérie comme acteur dans la globalisation alors que ce groupe a besoin d'alliés dans cette gigantesque bataille de redistribution des cartes, de rééquilibrage des influences et d'accès aux ressources ? Le groupe des BRICS n'est pas un producteur de simples déclarations diplomatiques sur un nouvel ordre mondial dans la lignée des années soixante-dix, quatre-vingt. Ses membres sont de grands et moyens négociants géopolitiques. Le groupe est porteur d'engagements éminemment prégnants ayant un profond impact sur l'intérêt national et l'économie nationale de chaque pays membre du groupe. L'Algérie devra donc entamer les ajustements systémiques nécessaires pour rentrer de plein pied dans la mêlée globale et ainsi intégrer le groupe en meilleure position de négociation. Par exemple, sur les questions spatiales, de l'économie digitale où le nucléaire cités dans la déclaration finale (le nucléaire est une filière qui a été démantelée chez nous), trois domaines au centre de l'attention des BRICS dans lesquels l'Algérie est un parent pauvre. Sans parler des enjeux autour du climat qui sont aussi cités. Il y a beaucoup à faire, rien qu'en ces domaines. Ces pays sont des «monstres » politiques et économiques, les constituants d'un pôle d'influence qui monte en puissance. Ils s'engagent, non sans risques, dans un nouveau « Grand Jeu ». Or, la configuration des échanges de l'Algérie, sur les plans diplomatique, économique et financier (notamment l'usage du dollar et de l'euro) est encore tournée vers le Nord, alors que l'une des pièces maîtresses du « Grand Jeu » est la sphère afro-asiatique. Par ailleurs, une donnée essentielle est à relever dans la déclaration finale du Sommet. Les BRICS ont mentionné les pays qui, de leur point de vue, présenteraient les meilleurs atouts (Afrique du Sud, Brésil, Inde) pour devenir membres d'un Conseil de sécurité élargi. En faisant pareille recommandation, ce groupe se positionne en prévision d'une négociation globale d'une réforme de l'ONU. Incidence collatérale : l'Algérie n'aura sans doute d'autres choix que de valider ce qui est proposé. Troisième enseignement : l'adhésion s'est également jouée sur la projection d'une image de marque d'un pays et la force de son lobbying, tant il est vrai que la parole diplomatique n'acquière sa réelle puissance que si elle est prolongée efficacement par quantité d'autres relais, notamment ceux qui se déroulent en coulisses, avant la levée du rideau. En cette affaire, on peut penser que la « logistique » nationale n'a pas dû suivre la décision politique de demande d'adhésion. En invitant l'Iran à intégrer le groupe, ce G5 reconnait non seulement son potentiel nucléaire mais aussi sa capacité de «nuisance», son endurance face aux pressions et sanctions de l'Occident, ainsi que ses aptitudes à influer sur un rapport de force dans sa région. Si l'Algérie n'a pas été en mesure d'influer significativement sur les événements en Libye (où l'Égypte et les Émirats Arabes Unis se sont invités à leur façon), dans quelle mesure pourrait-elle être un «allié» conséquent dans le «Grand Jeu» ? Particulièrement en Afrique où les BRICS s'engagent à «renforcer» leur coopération par «l'investissement, le commerce, le développement des infrastructures» alors que l'Algérie n'a pas d'intérêts économiques ou commerciaux lourds à faire prévaloir. Le choix des BRICS se fonde sur un ensemble de considérations géostratégiques et la prise en compte de la valeur ajoutée de chaque pays dans le contexte du «Grand Jeu». La déclaration du ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, mériterait, à cet égard, d'être « décodée». Dans ce contexte exigeant, il eût fallu, à mon sens, une représentation diplomatique pour dialoguer à haut niveau, donner le signal d'une entrée dans la globalisation par cette porte d'accès, et ainsi préparer l'avenir. En cette époque de mouvements des tectoniques géostratégiques, l'Algérie est acculée à faire le choix de son avenir : quelle place entend-elle conquérir sur l'échiquier des économies émergentes ? Le pouvoir de négociation repose plus que jamais sur le poids économique d'un pays. Il s'agit donc de rénover la maison pour se qualifier pour le grand jeu de réforme de la globalisation. Il se dit que les Chinois se piquent d'appliquer des stratégies du jeu de go, dans les affaires internationales, les Russes et les Iraniens, le jeu d'échecs et les Américains, le poker (le toujours gagnant hégémonique). L'enjeu national n'est rien d'autre qu'une meilleure préparation pour faire valoir ses cartes et ainsi faire partie de la grande équipe qui se bat pour un monde multipolaire. Le défi est de taille. *Ancien ambassadeur |
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