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Papa, pourquoi je n'ai pas la bosse des maths ?

par Abdelhamid Benzerari

« Arithmétique ! algèbre ! géométrie ! trinité grandiose ! triangle lumineux ! Celui qui ne vous a connues est un Pas insensé ! » Lautréamont.

Peut-on parler de crise de l'enseignement des mathématiques ? Je répondrai par l'affirmative. En effet 30 à 40% d'élèves en fin de collège et du lycée ( cela dépend des établissements et des régions) n'ont pas le niveau suffisant en mathématiques. Comment l'expliquer? Les maths sont la deuxième matière enseignée au primaire. Or, 80% des enseignants sont issus de filières littéraires ou de sciences humaines. L'évolution de la série littéraire a aggravé le phénomène, puisque les sciences ont quasiment disparus en 2°AS et terminale. Certains maîtres n'ont donc pas fait de math depuis la 2°AS. Il faut se demander pourquoi on ne parvient pas à donner du sens à cet enseignement. Comment faire pour que (x+y)2=2x+2y+2xy n'apparaisse pas comme une manipulation arbitraire.

L'introduction de formules avec inconnues est nécessaire, mais c'est un saut difficile pour les élèves et un moment de décrochage si les règles de calcul ne sont pas associés à des réalités. Les enfants ont aussi besoin de comprendre à quoi servent les mathématiques, en quoi elles sont un atout pour l'intelligence critique, en quoi elles permettent de comprendre et d'agir sur le monde. Elles cherchent à former l'esprit logique et scientifique de l'enfant. Elles sont l'âme des sciences technologiques, des lois qui régissent la physique, la chimie, les sciences de la communication et de l'astronomie. «La mathématique est la reine des sciences !».

Dans l'évolution des sociétés modernes, la science et la technique jouent un rôle croissant. Les mathématiques, «poésie des sciences», langage universel, deviennent donc le cadre de toute connaissance scientifique et une discipline irremplaçable pour la formation de l'esprit.

«Il n'y a aucune incompatibilité entre l'exact et le poétique. Le nombre est dans l'art comme dans la science. L'algèbre est dans l'astronomie, et l'astronomie touche à la poésie; l'algèbre est dans la musique, et la musique touche à la poésie.

«L'esprit de l'homme a trois clefs qui ouvrent tout : le chiffre, la lettre, la note. Savoir, penser, rêver. Tout est là.» Victor Hugo.

FAUT-IL REVOIR LA FORMATION DES ENSEIGNANTS?

Que ce n'est pas ce qu'on enseigne qui mène à l'échec, mais plutôt la manière de l'enseigner.

Les enseignants ont besoin d'une formation théorique mais aussi d'une information pratique afin de savoir comment à partir de certaines manipulations on peut retrouver les notions mathématiques que l'on veut introduire. Partout l'opération manuelle précède l'opération arithmétique.    C'est sur des faits qu'il faut appuyer et, nous ajouterons, c'est à des faits qu'il faut appliquer les calculs, les idées. Pour que l'opération manuelle soit possible, le maître devra se préoccuper de doter chaque élève du matériel indispensable : objets (bûchettes, jetons de couleur, légumes secs?) images (personnages, fruits?)

Au cours préparatoire (comme à l'école maternelle), nous placerons entre les mains des enfants les objets précités qu'ils ont à grouper, séparer, combiner de diverses manières pour se rendre compte par les yeux et par la main de la signification réelle des calculs les plus simples. Et pour apprendre à abstraire à partir d'expériences réelles, le choix d'un matériel approprié s'impose en fonction d'une tragédie adaptée à la classe et au style d'enseignement du maître. Parmi les matériels utilisables, certains seront fournis aux élèves par l'école, d'autres pourront être conçus et construits par les élèves eux-mêmes.

L'enseignement du calcul dans l'enseignement primaire doit être concret, simple, progressif. Et il y a malheureusement un bon nombre de classes où l'on apprend des formules, des définitions, où l'on dicte un cours. Ne plus imposer les faits mathématiques à l'esprit, mais les faire comprendre par des moyens multiples appropriés au degré de développement des divers âges. L'intelligence est un système d'opérations. L'opération n'est pas autre chose qu'une action ; c'est une action réelle, mais intériorisée, devenue réversible.

FAUT-IL REDEFINIR LES PROGRAMMES ?

La mathématique est définitivement entrée dans une étape nouvelle de son histoire. La polémique entre les «anciennes» et les «nouvelles» est totalement dépassée. Mais cela ne veut pas dire que l'enseignement des mathématiques soit sans problèmes : problèmes qui se posent aux maîtres soucieux de remettre à jour leurs connaissances, problèmes plus complexes peut-être encore de l'échec grandissant qui affecte aussi bien les enfants que les enseignants.

Le travail d'équipe est indispensable, mais il demande la participation de quelqu'un de compétent qui permet d'élever le débat. Il faut aussi ajouter qu'il est impossible de faire un bon travail avec des classes de 40 élèves et plus.

Il y a aussi le drame des manuels qui imposent une progression trop rigoureuse et qui incitent à injecter des mathématiques en laissant les enfants passifs. Les élèves ne participent pas, ils approuvent. La plupart des bouquins sont beaucoup trop abstraits, des signes, des mots. Ce ne sont pas de tels documents qui incitent les maîtres à un véritable renouvellement. Les nouveaux manuels comportent pas assez de problèmes.

Pour la plupart de nos enseignants, le problème est la clef de voûte de l'enseignement des mathématiques. A l'école primaire, un problème se présente toujours sous la forme d'un énoncé qui expose une certaine situation et se termine par une question. Le premier travail de l'élève consiste à comprendre cet énoncé. L'effort est rude : il exige une lecture attentive, une connaissance suffisante de la langue courante, la possession d'un certain vocabulaire technique, une imagination capable de faire vivre mentalement la situation donnée, une intelligence susceptible d'assurer la compréhension de cette situation.

Pour juger d'un livre, il faut à la fois la compétence mathématique et la compétence psychopédagogique. Quand on n'a pas de formation mathématique, on choisit toujours des exercices dont la présentation est la plus proche du calcul traditionnel.

La rénovation de l'enseignement des maths dans le primaire est aussi dans la pratique du calcul mental. Il faut d'abord très différemment faire beaucoup de calcul mental, travailler sur les encadrements, les calculs approchés. « Calcul mental, calcul royal.» Alain.

Le calcul mental est une excellente école de discipline, de sang-froid, de concentration mentale et de précision. C'est le «vrai» calcul naturel intelligent, intuitif. C'est le calcul qui, au moyen d'intuitions successives, achemine vers la découverte des solutions de problèmes.

LES MATHEMATIQUES MODERNES

Le début des années 80, avec l'avènement de l'école fondamentale, a vu l'introduction des mathématiques modernes dans nos écoles. De nouveaux programmes, de nouveaux manuels de maths imprimés à la hâte avec des fautes inacceptables, de nouvelles instructions ont imposé aux enseignants et aux apprenants l'enseignement de la « mathématique». On leur a demandé, et pour la première fois, de communiquer à leurs élèves une science nouvelle et, pour parler crûment, « d'enseigner ce qu'ils ne savaient pas ».

Plus de 50% parmi eux ne comprenaient pas grand-chose aux mathématiques modernes et les besoins de formation furent mal anticipés et pas toujours satisfaits.

Les parents ne comprenaient rien à ce que leurs potaches étudiaient à l'école et étaient frustrés de ne pouvoir leur apporter aucun soutien.

Le réformateur avait pris soin, cours par cours, chapitre par chapitre, d'expliquer ce qu'ils désirait voir réaliser ; pour cela, des journées de formation ont été prodiguées aux enseignants pour les différents niveaux dans le souci majeur de donner aux élèves une formation mathématique véritable qui leur permette d'une manière adaptée à leur âge, à partir de l'observation et de l'analyse de situations qui leur sont familières, de dégager des concepts mathématiques, de les reconnaître et de les utiliser dans des situations variés, de s'assurer ainsi la maîtrise d'une pensée mathématique disponible et féconde. Mais malheureusement, des élèves du 1er et 2° palier du fondamental dans les années 80 et 90, avec les problèmes de formation des enseignants et les contenus des manuels, n'ont pas eu un enseignement mathématique de bon niveau. On leur a fait subir les cours. Ils étaient passifs ; ils ne manipulaient pas. Les leçons étaient, la plupart du temps, dictées aux enfants. Leurs acquisitions en la matière en a pris un coup. En cause, une formation de courte durée, désuète des instituteurs, livres non adaptés au niveau des élèves, trop de leçons abstraites.Quel objectif vise-t-on à travers l'enseignement des mathématiques modernes ?

TOUT D'ABORD LE CONTEXTE HISTORIQUE INTERNATIONAL.

En pleine guerre froide, le lancement de Spoutnik 1 par les Soviétiques provoqua un véritable traumatisme aux Etats-Unis, où il fût comparé par plusieurs journaux à une forme de Pearl Harbour technologique. Afin d'améliorer à grande échelle les compétitions scientifiques de la population et de rattraper les ingénieurs soviétiques réputés très bons mathématiciens, un ensemble de réformes de l'école américaine portant principalement sur le niveau primaire (grade school) fut décidé.

On l'appelle les New Math (littéralement les «maths nouvelles» ou «maths modernes» dans le monde francophone). Dès le début des années 60, cette nouvelle méthode de formation fut aussi adoptée par de nombreux pays d'Europe de l'Ouest (Royaume-Uni, France, Allemagne, Belgique?) avec des ajustements et spécificités propres à chaque pays. La mathématique n'est pas seulement moderne, elle est surtout quelque chose de plus que les classiques, elle n'a pas non plus les mêmes finalités. Tout aussi «utile», elle est mieux adaptée aux besoins de notre société qui a évolué.

Tout aussi «logique», elle propose des structures et présente des modèles de «scientificité». Tout aussi «culturelle», elle développe la libre création de vérité et de rationalité à l'esprit critique, elle lui apprend à abstraire et à raisonner rigoureusement. «L'essence des mathématiques, c'est la liberté», disait George Cantor. A l'école primaire, la théorie des ensembles et les bases de numération autres que la base 10 constituaient l'aspect le plus visible de la réforme. Le programme commençait par l'étude de la théorie naïve des ensembles en parallèle de l'arithmétique. Par exemple la base 2 essentielle en électronique et en informatique était présentée dès le CE1 ( 7 ans) aussi qu'une rapide introduction à la base 3. Une première initiation à la théorie naïve des ensembles était enseignée au moyen de diagrammes bigarrés également dès le CE1. On espérait ainsi développer la pensée logique et les facultés d'abstraction des élèves. En septembre 2003, le cycle fondamental ( primaire et collège) a vécu une réorganisation radicale. L'ordonnance de 1976 a été abrogée. Une réforme de l'enseignement des mathématiques a été lancée. De nouveaux manuels ont été imprimés. Mais il reste à les actualiser et alléger les programmes de cette réforme pour certains cours, les 3° et 4° année primaires notamment.

Pour conclure, il faut faire la chasse aux «mathématiques de perroquet». Il faut s'élever contre tout dressage faisant acquérir à nos enfants ce qu'il est convenu d'appeler les mécanismes de base.

Pour que l'enfant arrive à combiner des opérations, il faut qu'il ait agi, qu'il ait expérimenté, non pas seulement sur des dessins, mais sur du matériel réel. Là est le drame de notre système dans les premières années de l'école.