Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Macron et le rétablissement du service militaire qui ne sert à rien, coûte cher et abrutit

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Le président Macron va probablement se casser les dents, encore une fois, sur la réalité qui ne s'entend jamais avec les promesses électorales démagogiques. Le service militaire qui incorpore massivement une tranche d'âge de la population civile n'est plus compatible avec les armées modernes et leurs objectifs. Il avait été supprimé pour cette raison et Emmanuel Macron devra s'y faire, le service militaire est inutile, coûte cher et abrutit plutôt qu'il ne forme à quoi que ce soit.

Dans une publication récente, nous avons évoqué l'affaire du général de Villiers, chef d'état-major limogé, qui a mis à mal les effets positifs de la séquence d'intronisation du président Macron qui fut un véritable hommage aux armées. Cette fois-ci, la cause de l'embarras n'est pas encore survenue mais elle s'annonce car elle fut l'une des promesses électorales du Président. Dans l'euphorie des campagnes électorales se glisse toujours la démagogie d'une promesse que l'on sait pourtant irréalisable ou qui passera inévitablement à la trappe pour rejoindre le cimetière des promesses non tenues.

Emmanuel Macron, se voulant l'incarnation jupitérienne du général de Gaulle, avait promis de rétablir le service militaire qui serait une forme édulcorée du mythique passage des générations anciennes sous les drapeaux. Mais cette proposition ne verra probablement jamais le jour ou aboutira à un placebo qui ne sera ni plus ni moins une énième version des tentatives de donner l'impression d'un contact avec l'armée. Décidément, ce service militaire abrogé continue d'alimenter les fantasmes républicains de ceux qui ont la nostalgie du «c'était mieux avant».

Cette histoire du retour du service militaire est de même nature que celle que vit l'éducation nationale. Depuis les années soixante-dix, un puissant fantasme veut recréer les fameux «hussards de la république» que furent les instituteurs de la république de Jules Ferry. L'institution ne cesse d'accumuler réformes sur réformes pour faire semblant de perpétuer le mythe de «l'ascenseur républicain» que fut l'école. Celui-ci n'a d'ailleurs réellement existé que dans les vues de l'esprit car à cette époque, aujourd'hui glorifiée, une partie infiniment réduite de la population parvenait aux études supérieures.

Si l'institution de l'éducation nationale, comme celle de l'armée, restent fondamentales dans l'édifice républicain, la nostalgie ne peut être un instrument raisonnable et efficace des sociétés qui doivent aller de l'avant. Certes, il faut s'appuyer sur des socles qui représentent les valeurs républicaines sûres mais certainement pas lorsqu'ils sont fantasmés et qu'on recrée à posteriori une légende qui ne fut jamais la réalité.

La France devra pourtant définitivement faire le deuil d'une démarche qui ne sert plus à rien, coûterait ce que le pays ne peut plus financer, même pour un service d'opérette de quelques jours, et qui ne correspond plus aux demandes de la société, vraiment plus.

Mais rien à faire, le service militaire continue toujours à alimenter le fantasme des générations anciennes qui n'ont pas de mémoire ou pas d'honnêteté intellectuelle pour s'en souvenir dans la réalité de ce qu'il fut et non dans ce qu'ils s'obstinent à vouloir qu'il fût.

La guerre de papa,c'est fini !

Le service militaire, dans sa forme conventionnelle et historique, fut abrogé par le président Jacques Chirac en 1996 car il ne correspondait plus aux formats militaires contemporains. Ce fut un drame pour certaines villes de garnisons qui n'ont pas pleuré le service militaire pour ce qu'il représentait dans la mémoire collective mais pour les retombées financières considérables dont bénéficiaient les affaires locales.

Le président Chirac n'avait pas le choix car l'armée, aussi bien dans la défense du territoire que dans son engagement dans des opérations extérieures, avait d'autres exigences qui reléguaient le service militaire à une inutilité, dépensière, inutile et abrutissante.

Depuis la chute du mur de Berlin, la menace en Europe n'est plus la même et l'affrontement «bloc à bloc» n'est plus dans les préoccupations militaires. L'époque où les armées s'affrontaient en des monumentales boucheries de corps à corps, en blindés ou par l'artillerie avait déjà fait son temps après la Première Guerre mondiale et ce qu'il en restait de la seconde n'est plus valide.

L'armée s'est définitivement «professionnalisée», de par la nature des engagements militaires nouveaux qu'elle doit mener mais également de par la technicité qu'elle met en œuvre. L'armée française continue de recruter des jeunes, notamment par des campagnes de publicité et de contact dans les lycées, mais il n'est plus question de mobiliser une génération entière pour cela. La jeunesse a d'autres choses à faire que d'aller s'abrutir dans un exercice dont plus aucune personne ne demande le retour si ce n'est par ceux qui fantasment le passé.

Avec celle du Royaume-Uni, l'armée française est au premier rang européen et constitue une rare exception d'une possibilité de projection à l'extérieur sans compter la puissante défense nucléaire et conventionnelle de l'intérieur. Cette configuration ne peut plus se priver d'engagés hautement formés. Et s'il lui prenait l'idée saugrenue de recréer un contingent générationnel, à l'inutilité se rajouterait l'impossibilité financière.

Un coût exorbitant même pour uneversion d'opérette

Tout, absolument toutes les idées, ont été mises sur la table pour recréer un semblant de contact des jeunes citoyens avec l'armée. Toutes les tentatives ont mené à des versions identiques de «journées» consacrées à l'armée. Les jeunes y vont puisque c'est une obligation mais, en dehors de la possibilité d'une bonne rigolade entre camarades, ils s'en passeraient volontiers.

A la fin de la séance, ils obtiennent un joli certificat qu'ils présentent à l'entrée de l'université où qu'ils gardent dans un tiroir comme on garde toujours ce qui nous semble important au début puis totalement insignifiant avec l'âge, si ce n'est à retrouver un papier jauni qui rappelle les années passées, celles de la jeunesse.

Nous ne savons pas ce que va proposer réellement le président Emmanuel Macron mais on a bien compris qu'il ne souhaitait ni le maintien de ces journées «light» ni le retour au service militaire de l'époque passée. On comprend alors que c'est une version plus élaborée de ce qui se passe actuellement.

Mais même dans cette configuration allégée, la facture serait impossible à assumer par le budget national. Pour prendre en charge une classe d'âge entière, le coût serait exorbitant. Dans quelles structures les prendre en charge ? Il n'y plus de casernes à l'ancienne, elles ont été détruites, vendues ou ne sont plus en état d'accueillir des contingents.

Qui va les former ? Pour encadrer ces jeunes, il faudrait des effectifs importants d'engagés et de la compétence qui n'existe plus actuellement. Lorsqu'on s'imagine que le simple recrutement de professeurs supplémentaires entraîne une guerre budgétaire et un endettement croissant, comment payer ?

Et enfin, pour quoi faire ? Pour former un contingent, il faut bien plus que quelques jours. Déjà, à l'époque, la critique était la même, on peut alors s'imaginer de l'ampleur du désastre pour une si courte période. Non, tout cela n'est ni financièrement sérieux ni raisonnable du point de vue du sens et de l'efficacité.

La promesse de Macron finira dans les cartons et, au mieux, amusera un peu les médias par la création d'un nouveau «machin» qui sera très rapidement enterré et oublié. Rappelons-le, les jeunes ont autre chose à faire pour se former et construire leur avenir. Le but de la proposition n'est donc pas de l'ordre de la défense nationale mais de la gestion des mythes nationaux.

Un mythe lointain et faussé de l'intégration républicaine

Le service militaire est plus une nostalgie nationale, une madeleine de Proust de la société française, qu'une demande sérieuse et fondée du moment présent. Il représente un passé glorieux mais, surtout, une croyance en un socle républicain fondateur. Et, comme toujours, lorsque l'argument repose sur la seule et unique argumentation «c'était mieux avant», on est sûr de l'absurdité et du vide de la démonstration.

Certes, il est incontestable que le service militaire traditionnel a fortement contribué à forger une certaine idée de l'unité nationale. Il était censé être, avec l'institution de l'école, l'un des ciments les plus caractéristiques du brassage social. Mais, hélas, ce fut d'une manière très caricaturale, superficielle et donc éphémère. A une époque où les voyages étaient rares et réservés à certains privilégiés, où les transports et la législation sur les vacances n'étaient pas aussi développés, le service national donnait l'impression d'être le creuset de l'intégration. Il y avait également le sentiment de servir le pays et de sacrifier de long mois pour la patrie dans une France encore baignée du souvenir des deux grandes guerres.

Le service militaire représentait parfois une chance d'apprentissage professionnel non négligeable pour le retour à la vie civile. Et souvent, l'illettrisme y était repéré et, dans certains cas, la remédiation pédagogique encore possible. Et n'oublions pas non plus le passage du permis de conduire, les voyages ainsi que certains autres plaisirs que la vie civile ne pouvait offrir à beaucoup.

Mais tout cela est un mythe car dans tous les mythes, s'il y a du vrai, on dissimule toujours la face cachée de la carte postale, beaucoup moins réjouissante. Le Service national arrachait des jeunes à leur vie civile normale pour un exercice abrutissant dont la plupart ne retenaient que la vie «d'enterrement de garçon» avec les camarades de caserne.

Affirmer que le service militaire fut un creuset intégrateur et républicain de la société française est une insulte à notre intelligence. Il suffit de se pencher sur l'histoire, même très récente, de relire la littérature ou se plonger das la filmographie pour comprendre l'étendue de la supercherie.

Derrière l'image d'Épinal de la brave camaraderie dans les casernes, jamais une institution n'a été le lieu d'une si grande fracture sociale. Les officiers supérieurs ne se mélangeaient pas aux castes inférieures et en avaient un mépris à peine dissimulé. Quant à ces derniers, ils ne se privaient pas non plus de montrer l'animosité qu'ils avaient envers des recrues qui étaient souvent d'une situation bien plus envieuse, et ainsi de suite. L'armée française fut la parfaite reproduction des castes sociales en les renforçant par des codes et procédures qui n'avaient d'autres objectifs que d'humilier et de dominer.

Si nous demandions leur avis aux jeunes d'aujourd'hui, ils nous répondraient qu'ils ont une autre idée de la nation. En tout cas pas celle qui obligerait de passer plus d'un an avec un sous-officier, souvent bien moins instruit qu'eux, qui gesticule et vocifère à tout moment de la journée, les réveille à l'aube en hurlant, les feraient marcher dans la poussière et sous le soleil jusqu'aux saignements des pieds. Et si on essayait de les convaincre du contraire, ils nous fixeraient avec le regard de ceux qui font face aux illuminés ou aux faibles d'esprit.

Si je prends en considération mes propres étudiants qui ont l'âge de l'ancienne tranche d'incorporation après le sursis pour études, ils sont à des années lumière de ce que les générations précédentes ont vécu. Pourtant, je ressens profondément, même avec les critiques que tout vieux professeur rumine à l'égard d'une génération qu'il critique sans cesse, une capacité à prendre les armes pour défendre leur patrie et mourir pour elle s'il le fallait. Leur amour du pays n'a pas besoin d'artifices ni d'un cirque rituel qui donneraient l'illusion d'un attachement au pays alors qu'il leur est naturel.

Et puis, il y a le cas des doubles nationaux qui est révélateur. Demandez à un jeune, saint d'esprit, né en France et de double nationalité, s'il souhaite aller passer une journée de contact avec les militaires ou passer plus d'une année de sa vie dans un pays qu'il connaît à peine, dans des conditions qu'il n'ose même pas imaginer. Parlez-lui de l'amour de la patrie de ses parents, de son sens de l'honneur et de toutes ces choses-là et regardez l'expression de son visage. Il n'y a pas besoin d'études sociologiques poussées pour conclure.

En fait, il n'y a pas de mauvais patriotes mais seulement des époques qui le construisent différemment dans l'esprit des jeunes générations. Et, surtout, le patriotisme exige une adhésion à un projet qui ne peut être un mythe. La discipline idiote et le «sport obligatoire» en dehors des installations civiles normales, les jeunes n'en veulent plus, n'y croient plus et ont d'autres rêves. Ils ont pourtant la même fibre nationale, le même respect de la patrie que bien d'autres générations mais, eux, ont compris que l'imbécile soumission aveugle n'était plus de leur monde. Et ils ont raison car l'amour de son pays est à l'intérieur des esprits, pas en hurlant et par des gesticulations d'un autre monde.

En conclusion, se glisse rapidement une pensée sournoise de l'auteur. Imaginons que la jeunesse française soit aux prises avec une institution totalitaire comme elle le fut réellement à d'autres époques. Imaginons que cette même institution fasse trembler la population civile de par sa seule présence. Et enfin, imaginons qu'elle soit une organisation gigantesque de pillage de la richesse nationale et de corruptions diverses. On n'oserait même pas imaginer ce que deviendrait alors le mythe de l'intégration républicaine par le service militaire en France, déjà très entamé. Nous nous éloignerions du sujet en l'imaginant car cela ne se pourrait même pas dans les pires cauchemars de n'importe quelle société dans le monde.

C'est impossible, vraiment ?

*Enseignant