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La recherche scientifique en Algérie, classement des universités; parlons-en...

par Mohamed Mezghiche*

Le classement des universités

A chaque rentrée universitaire et aussi à l'occasion de chaque publication des classements des universités dans le monde par le groupe «Shangai» ou le ?Times Higher Education?, l'opinion publique nationale s'interroge, à juste titre, sur les performances de nos universités. Cet intérêt est légitime quand on sait que la majorité des familles algériennes est prête à tous les sacrifices pour donner à leur enfants la chance de s'instruire, d'échapper à la misère et de mieux vivre. Dans la mémoire collective du peuple algérien, l'ignorance, le manque d'instruction et l'absence de connaissances sont un handicap, légué par la période coloniale, qui freine l'édification d'une société prospère. Aujourd'hui, après cinquante ans d'indépendance, les Algériens constatent avec dépits que l'école et plus généralement l'université sem- blent déconnectés des réalités de la société et semblent n'avoir aucune prise sur leurs préoccupations. Ils n'ignorent pas que, plusieurs pays d'Europe, d'Asie, d'Amérique latine, grâce au savoir et à la maîtrise de la technologie occupent une place privilégiée dans l'économie mondiale.

Ils constatent aussi que certains pays comme la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil et d'autres encore émergent aujourd'hui pour avoir su mettre en place une politique adéquate de développement accompagnée d'institutions dotées de moyens colossaux pour piloter, définir, contrôler et exploiter les résultats de la recherche scientifique. Ils s'interrogent donc légitimement sur ce retard pris par notre pays à s'engager dans cette voie de développement où la recherche scientifique et la maîtrise technologique seraient ses principaux piliers. Pour dégager certains éléments de réponse pour ces questions nous avons estimé nécessaire de jeter un regard à travers l'organisation de la recherche scientifique depuis l'indépendance et tenter de comprendre quelles étaient les différentes politiques et les moyens mis en œuvre pour leurs concrétisations.

Organisations et politiques de la recherche scientifique (1972-2014).

Dans l'esprit de la réforme de l'enseignement supérieur de 1972, deux institutions, l'organisme de la recherche scientifique (ONRS) et le conseil national de la recherche (CNR), avaient été créés. C'est là le point de départ pour l'organisation de la recherche scientifique en Algérie qui devait répondre aux problèmes socio-économiques de l'époque. L'ONRS était le principal organisme chargé d'exécuter les programmes de recherche et le CNR avait pour mission de définir les orientations de la recherche et d'élaborer le plan national de la recherche. L'ONRS fut dissous en 1982 entraînant, avec lui, la dissolution de la majorité des centres de recherche qu'il administrait. Cette même année a connu la création du commissariat aux énergies nouvelles (CEN) qui était sous la tutelle de la présidence. Ses différentes missions étaient :

1. Prendre en charge les énergies nouvelles : nucléaire, solaire ?

2.Développer des mécanismes pour la maîtrise des technologies avancées: micro-électronique, informatique, biotechnologie ?

A son tour, le CEN fut dissous en 1986 et remplacé par le haut conseil de la recherche (HCR). Ce dernier a été placé sous la tutelle du Premier ministre. Le HCR qui avait la même mission que le CEN ne s'est distingué par aucune activité particulière en direction du développement de la recherche scientifique durant toute la période 1988-1998. Il est vrai aussi que cette période a été marqué par une crise profonde caractérisée par une insécurité totale et des actes terroristes. On peut déjà observer que toute la période 1982-1998 a été marquée par une instabilité des institutions d'orientation et de la gestion de la recherche scientifique. Elle révèle surtout une absence de politiques claires et le manque de stratégie à moyen et long terme pour le développement de la recherche scientifique. L'abandon au début des années 80 de la politique d'industrialisation des années 70, a marqué le choix des pouvoirs publics en matière d'orientation dans la stratégie de développement. L'orientation libérale de l'économie caractérisé par le désinvestissement reléguait le secteur de la recherche scientifique parmi les secteurs non prioritaires. Les ressources engrangées par l'exportation des hydrocarbures suffisaient aux besoins de consommation de la société. Tous les acquis, durant la période d'industrialisation, en matière d'organisation et aussi d'expérience pour intégrer les moyens modernes produits de la recherche scientifique au service du développement, ont été perdus. Depuis, la première tentative, pour remédier à cette carence dans la gestion et le financement de la recherche, a été d'abord de créer en 2002 une direction de la recherche rattachée au ministère de l'Enseignement supérieuret de faire voter une loi programme et orientation de la recherche scientifique par l'Assemblée populaire nationale (A.P.N). Cette loi 98-11 quinquennale (2002-2008) réaffirme que la recherche scientifique et le développement technologique sont des priorités nationales. Dans le cadre de cette même loi 590 laboratoires de recherche ont été agréés dans les différentes universités et établissements d'enseignement supérieur. Par la promulgation de cette loi les responsables en charge du secteur de la recherche voulaient pérenniser le financement de l'activité de recherche scientifique dont l'orientation et les dépenses sont discutées à l'A.P.N. Il est vrai que la loi 98-11 prend en compte sérieusement l'aspect financier de la R.S même si le budget alloué restait encore très insuffisant.

Dans l'esprit de ceux en charge du développement de la recherche scientifique, la création des nombreux laboratoires dans les universités allait automatiquement donner un souffle nouveau à l'université algérienne qui va améliorer ses capacités à former les compétences de demain. L'erreur, nous semble-t-il, a été de considérer que le manque du financement des activités de recherche scientifique était le facteur prédominant qui l'empêchait de prendre son essor. Nous pensons que d'autre facteurs de blocage plus importants inhérents aux choix économiques élaborés par les différents gouvernements qui se sont succédés depuis le début des années 80 ont contribué à marginaliser totalement le rôle du savoir dans le développement économique de la société. Par la même occasion ces choix politiques pour une économie libérale tournant le dos à l'investissement productif ont eu pour conséquence une gestion catastrophique des ressources humaines dont la perte reste difficilement récupérable. Sur quelles thématiques, dans de telles situations, la recherche scientifique s'est-elle organisée ?

Les projets de recherche scientifique à l'université

En l'absence d'une recherche-développement dont les problématiques devraient être liés à l'activité industrielle en quête d'amélioration incessante de ses processus de fabrication et de sa capacité d'innover pour baisser ses coûts de production et augmenter ses profits par la maîtrise technologique, les projets de recherche ont pris une orientation purement académique. En somme, la recherche scientifique en Algérie s'est organisée autour de l'objectif de la « recherche-formation ». Dans la majorité des cas, les projets de recherche retenus et financés traitent des thématiques liées à la préparation de thèses de doctorat qui sont souvent des problématiques, fruits d'une collaboration avec des laboratoires étrangers et dont les résultats seront exploités aux profits de ces derniers. L'activité de recherche est perçue par le chercheur algérien comme un moyen pour améliorer sa formation et par lamême occasion gérer sa carrière professionnelle.

Elle est nullement considérée comme une contribution au développement économique de son pays. Et ceci est en dehors de sa volonté. Une autre caractéristique de cette gestion est qu'elle laisse une grande liberté à l'initiative du chercheur à définir sa propre thématique. C'est, comme si on laissait la liberté à chaque musicien dans un orchestre de jouer sa composition préférée et s'attendre que la synthèse soit une œuvre musicale. Ceci ne se produira jamais. Sans l'intervention du chef d'orchestre pour indiquer à chacun quelle notes jouer, l'orchestre des musiciens ne produiront pas d'œuvres musicales.

Aussi longtemps que des projets d'envergure, capables de fédérer plusieurs équipes, ne sont pas mis en place, la recherche scientifique se réduira une simple activité sans aucune portée sociale ou économique.

Problématique du développement de la recherche scientifique

Les classements des universités ne peuvent être considérées, pour nos universités comme des indicateurs sur lesquels on pourrait s'appuyer pour mettre des politiques adéquates de développement. Même si toute évaluation est une bonne chose en soit, il ne faut pas perdre de vue que ces classements obéissent à des critères qui visent des objectifs propres à ceux qui les ont définis. Le classement de Shangai a été lancé par le gouvernement chinois en 2003 pour comparer les universités chinoises avec les meilleures universités mondiales. Jean-Charles Billaut, dans un article sur le classement des universités de Shangai souligne ceci : « Au cours des années 1990, la question de la rénovation du système d'enseignement supérieur en Chine est devenue une question importante. Ceci n'est pas surprenant, compte tenu de la situation politique de la Chine et de l'augmentation de sa puissance économique. L'objectif annoncé des auteurs du classement est de bâtir un outil permettant de comprendre et d'analyser l'écart existant entre les universités chinoises et les universités dites de - classe mondiale -, avec le souci très légitime de réduire cet écart ». Comment peut-on alors évaluer les universités algériennes ? Cette question n'aura aucun sens si au préalable nous n'avons pas définis des critères qui répondent à nos propres objectifs. Nous devons d'abord définir clairement les missions de l'université et l'impact attendu de l'activité de la recherche scientifique sur le développement économique national pour pouvoir cerner ses faiblesses et ses points forts dans la réalisation de sa feuille de route. Mais sans stratégie de développement et un plan d'investissement dans les secteurs industriels productifs comment une telle politique d'évaluation saurait-elle possible ? Alors faut-il laisser l'université algérienne fonctionner pour elle même? Faut-il parler de développement de la recherche scientifique quant celle-ci est totalement déconnectée des réalités nationales ? Ces questions de bon sens n'ont pas en réalité de sens ! Toute société humaine a besoin du savoir et ne peut concevoir son développement socio-économique sans l'apport de la science. Les vraies questions sont comment opérer la transition d'une société de rente vers une société du savoir? Et quelles sont, donc, les étapes à franchir pour atteindre un tel objectif? Le système rentier improductif semble pour le moment le principal obstacle pour cette transition. La nécessité de le dépasser reste la priorité des priorités. Le passage vers une société basée sur le travail productif sera l'élément structurant pour nouvelle vision sur les problèmes de la société et sur les solutions à mettre en œuvre.

Les secteurs comme l'agriculture, l'énergie, la pétrochimie, les industries légères et la défense nationale auront grand besoin des progrès scientifiques pour se développer et permettre au pays d'émerger. L'université algérienne sera, en ce moment-là, dans l'obligation de répondre à la demande de la société.

*Universitaire.