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Cet article tente
de rendre compte des conditions dans lesquelles est apparue l'entreprise
moderne. Il y est aussi question de cerner, de notre point de vue, les facteurs
qui ont permis son développement et la perpétuation à cette importante entité
économique et qui en ont fait une vraie institution au sein des sociétés
industrielles. Le but est de contribuer, un tant soit peu, à mieux connaître la
nature de ce «phénomène organisationnel» dont notre économie et notre société
ont plus que besoin.
1er partie L'entreprise, et l'entreprise industrielle en particulier, est considérée comme l'un des plus importants agents socio-économiques dans les sociétés industrielles modernes. En outre, l'apparition et l'évolution de cette entité sont tellement liées à celles du mode capitaliste lui-même qu'il est difficile voire impossible de dissocier ces deux phénomènes. Et malgré les nombreuses critiques dont fait l'objet cette institution en tant que forme d'organisation du travail et de la production, il est difficile de nier le rôle crucial qu'elle joue dans la vie économique et sociale de toutes les sociétés industrielles contemporaines. C'est par son biais et en son sein que sont conçus et fabriqués les différents biens dont a plus ou moins besoin l'homme moderne pour, non seulement survivre, mais aussi se soigner, étudier, se cultiver, voyager, se divertir, etc. L'entreprise est tellement importante dans le monde moderne que l'efficacité du système économique tout entier dépend de l'efficacité de ce qui se passe au sein de cette entité. (C. Thudéroz :11). L'importance de l'entreprise est également liée au fait qu'elle est l'une des plus importantes entités, peut-être même la plus importante, capables de pourvoir des postes d'emploi productifs dans tous les domaines et pour toutes les catégories. Elle est, comme on le dit souvent, la «ruche» essentielle où se crée la richesse économique dans la société moderne en plus du fait qu'elle constitue déjà depuis longtemps la source de développement technologique qui ne cesse de bouleverser la vie quotidienne. Bref, l'entreprise est l'outil principal de ce que J. Stiglitz appelle l' «économie réelle». Dans cette contribution, nous essayerons de montrer ce qu'est une entreprise à travers son apparition, son développement et sa pérennité. Autrement dit, nous allons essayer de répondre, même brièvement, à des questions se rapportant à l'histoire et la nature de cette véritable institution. Car, nous estimons que c'est en répondant à de telles questions, que nous pourrons mieux connaître l'entreprise, cerner sa nature et à partir de là, à mieux appréhender les conditions de sa création, de son succès et surtout de sa perpétuation. Pour mieux connaître donc ce qu'est l'entreprise, nous avons estimé qu'il serait avantageux de ne pas se contenter des brèves définitions contenues généralement dans les manuels scolaires d'économie et de gestion. Habituellement, l'entreprise est y présentée par exemple comme : «une unité de production basée sur le travail collectif exercé par un groupe d'employés dotés d'un ensemble de moyens physiques et financiers» ; ou bien «une unité de production de produits et de services destinés à l'échange commercial, à travers l'utilisation d'un ensemble de moyens de production consistant en des matières premières, du capital et du travail» ; ou encore comme «toute unité jouissant d'une autonomie de décision et produisant des produits ou des services dans le but de les revendre sur le marché.» En effet ce que nous retenons de ces quelques définitions, certes ??claires'' et rendant un service réel à tous ceux qui veulent se faire rapidement une idée concise sur cette entité, c'est qu'elles ne répondent pas vraiment au besoin de se faire une idée plus complète et moins superficielle sur la nature de cette institution sociale et économique dans toute sa complexité. Autrement dit, ce genre de définition, comme le fait remarquer Ph. Bernoux, est loin d'être en mesure de nous aider à appréhender les fondements sur lesquels repose cette entité, ni les causes de son apparition et encore moins celles qui contribuent à sa pérennité. (Ph. Bernoux :104). C'est pour cette raison donc, et dans le but de mieux saisir la nature de cette organisation, que nous avons choisi d'aller ici un peu plus loin que ces brèves définitions. Ainsi, nous allons d'abord tenter de remonter aux conditions historiques qui ont marqué l'émergence de cette nouvelle forme d'organisation du travail et déterminer les principaux facteurs qui ont contribué non seulement à son apparition mais aussi à sa continuité et son installation dans le temps et dans l'espace qui est le sien. Nous essayerons par la même occasion d'en montrer les principales caractéristiques, c'est-à-dire celles qui ont fait et qui font toujours son identité propre et la distinguent des autres formes d'organisation et font d'elle une entité économique et sociale pas comme les autres. L'APPARITION DE L'ENTREPRISE Comme on l'a déjà dit, l'entreprise est considérée comme une des institutions fondamentale des sociétés industrielles modernes. Toutefois, cela ne veut pas dire que son apparition, notamment sous ses premières formes, n'a eu lieu qu'avec l'avènement de la société industrielle proprement dite, c'est-à-dire celle où l'activité industrielle est devenue la principale activité économique par rapport aux autres activités : agricole et artisanale notamment. En effet, ce que nous apprend l'étude de l'histoire de l'entreprise, c'est que l'émergence de cette organisation est liée à l'apparition des pratiques capitalistes en Europe au sein même du système ??féodalo-artisanal''. Beaucoup affirment à ce sujet que déjà avant la révolution industrielle qu'a connue l'Angleterre au 19ème siècle et les pays de l'Europe de l'ouest, les États -Unis et le Japon, par la suite, l'émergence de l'entreprise, sous ses premières formes, remontent en fait au 17ème voire au 16ème siècle. Et c'est dans ce sens que Denis Segrestin affirme que même si l'origine de l'entreprise ne remonte pas aux débuts de l'histoire de l'humanité, il ne faut pas croire pour autant que l'entreprise n'est apparue que lors des grands bouleversements qu'a connus l'Europe durant le 19ème siècle. En effet, souligne ce sociologue, l'apparition de celle-ci a bien précédé le mouvement de «mécanisation» qu'a connu le capitalisme à partir de la révolution industrielle (D. Segrestin :5). C'est ce que pense aussi Max Weber. Ce dernier affirme que les premières formes de l'entreprise sont en fait apparues à un moment historique crucial, vers le 16ème ou 17ème siècle, où un des membres de la classe bourgeoise s'est dirigé vers la campagne et a procédé à la sélection d'un groupe d'artisans de textile travaillant jusque-là éparpillés, pour leur propre compte et le plus souvent chez eux, et a réussi de les convaincre à travailler à son profit. En contrepartie, il s'était engagé à leur fournir tout ce dont ils auraient besoin en matières premières et de leur acheter la production à condition que celle-ci se fasse conformément à sa propre demande. C'est à partir de là, prétend Weber, que le travail indépendant qu'exerçaient les artisans et les paysans a commencé à se faire plus rare et que sont apparues les premières formes d'«entreprise capitaliste moderne» annonçant par la même occasion le début de la fin de la vie calme qui a dominé tout au long de l'ère artisanale (M. Weber :69-70). Et ce qui différencie le système artisanal du système capitaliste, souligne encore une fois D. Segrestin, c'est que, durant le premier, l'activité agricole et artisanale a toujours été une partie intégrante de la vie domestique dont les limites étaient définies par la satisfaction des besoins de reproduction de la famille du paysan et de l'artisan. Autrement dit, l'activité économique était «enchâssée», selon la formule de Polanyi, dans les relations sociales et plus particulièrement les relations de parenté. Toute cette activité productive se faisait selon des procédés traditionnels hérités de père en fils. Procédés où l'on ne trouverait presqu'aucune tentative d'innovation ni dans les méthodes d'exploitation ni dans les produits. Weber remarque également que la production dans l'entreprise, contrairement à ce qu'elle était auparavant, a été soumise à un ensemble de règles tout à fait nouvelles, comme la réduction des coûts, l'abaissement des prix, l'accroissement des ventes, etc. C'est ce qui concrétise, selon Weber toujours, la «rationalité» qui caractérise l' «esprit capitaliste» (Weber :70). Dans le même ordre d'idées à peu près, l'économiste allemand Werner Sombart pense que cet «esprit» est le résultat du grand changement qui s'est opéré en Europe occidental durant le Moyen-Age et notamment durant le douzième siècle. Un siècle qui a été marqué, selon lui, par l'apparition du désir de faire fortune non plus sous forme de métaux précieux, comme il a été auparavant, mais sous forme monétaire. Sombart remarque que ce que l'on appelle «esprit capitaliste» est en fait le croisement de deux types de dispositions : l'«esprit d'entreprise» d'une part et l'«esprit bourgeois» de l'autre (W. Sombart :15-31). C'est d'ailleurs pour cette raison que cet auteur pense que croire que le simple désir de la propriété aurait suffi à l'apparition du capitalisme est vraiment absurde. Cette apparition n'a été possible que lorsque ce désir a rencontré un ensemble de nouvelles dispositions et valeurs telles que la réflexion rationnelle, l'amour de l'organisation, le travail méthodique, etc., qui sont apparues au sein des classes bourgeoises sous l'influence de la pensée gréco-romaine que plusieurs membres de cette classe ont redécouvertes notamment dans les grandes villes portuaires de l'Italie médiévale (W. Sombart :38). Son compatriote Weber est allé dans le même sens en considérant qu'il est erroné de croire que le capitalisme est le résultat du seul désir de la propriété et du gain personnel. Car, note-t-il, ce désir n'a pas été absent dans beaucoup d'autres sociétés sans que cela n'ait conduit à l'apparition de ce mode tel qu'il a été le cas en Europe occidentale. La raison, affirme-t-il encore, est qu'en Europe ces instincts ont été soumis à ce qu'il appelle «la modération rationnelle» et ont été liés non pas à ce qu'il a considéré comme voies «non rationnelles» comme la guerre, le pillage, la magie qui dominaient jusque-là mais au «travail» en général et plus particulièrement au travail au sein de l'entreprise (M. Weber :14). Par ailleurs, si la découverte du Nouveau Monde, le colonialisme, l'exploitation des ressources naturelles des colonies ont joué un rôle essentiel dans le développement de l'entreprise et de la société industrielle, d'autres facteurs ont également contribué à cette prospérité. Ainsi, il ne faut pas perdre de vue que le mouvement qui a conduit à l'instauration des nouvelles valeurs et pratiques encourageant le travail et la production industrielle, la discipline, l'exploitation rationnelle, l'organisation rigoureuse du travail, la concurrence, a été encadrées, encouragé et soutenu par les nouvelles institutions administratives, juridiques, culturelles et bien sûr politiques qui ont été progressivement instituées sous l'impulsion des nouvelles couches moyennes de la société européenne. Cela s'est concrétisé, poursuit Weber, par l'apparition de l'État moderne qui s'est appuyé sur les règles juridiques rationnelles désormais sous forme écrite au lieu et place des institutions de l'ère artisanale du Moyen- Age où la tradition et la coutume jouaient un rôle primordial (M. Weber :14). Et même si les institutions du nouvel État, dit Sombart, ont parfois joué un rôle négatif dans l'évolution économique et industrielle dans certaines sociétés, il ne faut pas quand même oublier que son rôle a été important dans l'édification et le renforcement des valeurs capitalistes (W. Sombart :92) et ce, comme le rappelle Harry Braverman, depuis les débuts du capitalisme, même si ce rôle s'est énormément étendu et pris des formes plus complexes, selon lui, avec le «capitalisme monopoliste» c'est-à-dire celui des grandes entreprises (H. Braverman : 233). Beaucoup d'autres auteurs pensent aussi que l'entreprise n'aurait jamais pu réaliser les succès économiques et techniques qui sont les siens au sein de la société industrielle si l'économique ne s'y est pas autonomisé par rapport aux autres aspects de la vie sociale. Car à l'époque traditionnelle, le lien entre l'activité productive, l'échange, etc. et les autres aspects de la vie était très étroit. C'est cette séparation qui aurait conduit, comme le notait Raymond Aron, à ouvrir la voie à la rationalisation dans l'entreprise et à l'apparition du caractère «extensif» de l'économie capitaliste (R. Aron :18). FACTEURS DE PERPETUATION Grosso modo, on peut dire que l'émergence de l'entreprise industrielle moderne a pris la forme d'un long processus historique. Processus qui reste toujours en cours. Le point de départ semble avoir été le résultat d'une jonction de plusieurs facteurs à la fois psychologiques, culturels, sociologiques, économiques et aussi politiques. Cela va du désir d'accumuler les richesse et l'imposition de l'activité du travail comme la voie essentielle pour y parvenir, jusqu'aux expéditions colonialistes et l'exploitation des ressources naturelles des territoires occupés, en passant par l'apparition et l'institutionnalisation des pratiques de l'organisation rationnelle de la production, de l'épargne, de l'investissement, etc. Et la question que l'on peut poser maintenant est la suivante : quels sont les principaux facteurs qui ont conduit à la réussite de cette nouvelle entité comme forme dominante de la production? Autrement dit, pourquoi l'entreprise est-elle parvenue à s'installer durablement dans le temps et qu'est-ce qui la différencie par rapport aux autres formes d'organisation connues jusque-là et notamment la production artisanale ? Si on se réfère aux études qui ont été consacrées à l'histoire de l'entreprise et à sa nature, on peut dire, à notre avis, que parmi les plus importants facteurs qui ont conduit à la réussite de de cette nouvelles forme d'organisation et qui pourraient constituer en même temps ses principaux traits caractéristiques, on ne peut oublier ceux-ci : l' «efficacité» économique et financière, la rationalité et la discipline de l'organisation du travail, la comptabilité pointilleuse, l'innovation continue, la séparation entre la propriété et la gestion et enfin ce que nous pourrons appeler la reconnaissance partagée de l'importance économique et sociale de cette entité par les différents acteurs qui la font vivre et de la spécificité et de la complémentarité des rôles de ceux-ci. Qu'entend-t-on par cela ? A suivre... * Université d'Annaba |
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