|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«À vieil homme nouvelle peine»
De nos jours, dans notre société moderne capitaliste, il ne fait pas bon de vieillir. Avec la dislocation des familles élargies où plusieurs générations cohabitaient sous le même toit, la majorité des personnes âgées, une fois à la retraite, est livrée à elle-même, sans soutien familial ni protection institutionnelle publique. Situation encore plus dramatique pour les retraités socialement isolés, les veufs. À cet âge marqué par la fragilité et la vulnérabilité, les personnes âgées souffrent d'innombrables handicaps. Elles doivent affronter souvent l'apparition de multiples maladies invalidantes. Sans compter les soucis permanents d'argent dus à une pension de retraite dérisoire, rognée de surcroît par l'inflation. Ainsi, outre la solitude très répandue à cet âge de mise à la retraite, les problèmes de santé récurrents, le retraité est affligé de difficultés financières du fait de sa maigre retraite. Ironie du sort, un demi-siècle de sacrifice au travail pour achever sa vie comme une machine-outil usagée mise à la fourrière, sans considération à sa participation laborieuse à la construction et au développement de la société. De fait, faute de pouvoir se prendre en charge par manque d'autonomie, totalement isolées par absence de liens familiaux rompus parfois depuis des années, de nombreuses personnes âgées échouent dans ces mouroirs appelés maison de retraite. Phénomène nouveau : partout dans le monde, depuis seulement quelques décennies, le nombre de résidents en maison de retraite ne cesse d'augmenter. Dans le même temps, les effectifs des personnels des services gériatriques sont en constante diminution. Pareillement, les moyens alloués par les pouvoirs publics pour la prise en charge des résidents retraités sont en forte réduction, sacrifiés sur l'autel des restrictions budgétaires. Dans certains établissements de retraite, le manque de personnel est criant, et l'absence de soins déchirant. Au sein de certaines maisons de retraite, le déficit des effectifs est la cause principale de l'abandon des résidents. Livrés à eux-mêmes, condamnés à demeurer au lit, sans soins, sans douche, sans activités, les pensionnaires finissent par sombrer dans l'atonie, la dépression, voire la démence. (Aux États-Unis, en dépit de leur interdiction en raison du risque de décès, les maisons de retraite administrent régulièrement des antipsychotiques aux résidents atteints de démence pour contrôler leur comportement. Le recours aux antipsychotiques, «camisole chimique», employés pour faciliter le travail du personnel ou mieux contrôler les résidents, est assimilé par les organisations de droits des humains à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.) Certains, faute d'hygiène, contractent de multiples pathologies. D'autres, par absence de communication aussi bien avec les autres résidents qu'avec le personnel inexistant, périssent prématurément du fait de ce mutisme funèbre vécu au quotidien. En raison de la rupture de relations parentales, certaines personnes âgées isolées au plan familial sont plus exposées aux négligences infligées par le personnel. Leur isolement permet aux responsables d'établissement de réduire plus aisément les moyens et les effectifs affectés à leur intention, de raréfier l'encadrement médical, sans encourir le risque de protestation de la part de la famille du résident, par ailleurs indifférente. De fait, nombre des pensionnaires sont abandonnés. Victimes de maltraitances, ils subissent des pressions et des menaces de la part du personnel, pour les dissuader de se plaindre. De manière illustrative, pour ce qui est de la France, on compte 16,5 millions de retraités, sur une population évaluée à 67 millions. La pension de retraite moyenne est de 1288 euros. Or, le coût d'une place en maison de retraite est estimé à presque 2000 euros par mois (certains établissements facturent 6000 à 8000 par mois). Aussi, l'accession à un établissement de retraite est hors des moyens financiers de la majorité des retraités. De nombreux retraités sont contraints de vendre leur maison pour couvrir les frais onéreux de leur hébergement en maison de retraite. Certains établissements de retraite exigent la modique somme de 2500 euros par mois pour pouvoir prétendre séjourner dans leur mouroir. Toujours en France, tandis que plus de 3,3 millions de seniors souffrent de dépendance, seulement 1,2 million de ces personnes dépendantes bénéficient de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA), principale aide sociale permettant de recourir aux services d'une professionnelle. En réalité, l'exemple de la France s'applique à tous les pays occidentaux séniles et décadents. Paradoxalement, en dépit de leurs tarifs exorbitants, les maisons de retraite demeurent néanmoins saturées. Et pour cause. Nonobstant le vieillissement accéléré de la population permis grâce à l'allongement de l'espérance de vie, les constructions d'établissements de retraite brillent par leur rareté. Le problème de la raréfaction des établissements de retraite va s'aggraver. En effet, dans les pays développés, tandis que le nombre de personnes âgées de plus 85 ans devrait quadrupler autour des années 2050, aucun programme relatif au financement de la perte d'autonomie et des maisons de retraite n'a été inscrit dans les budgets prévisionnels des États. Cela s'intègre dans la logique de la politique des réductions drastiques des budgets sociaux, en général, et hospitaliers et médico-sociaux, en particulier. Le désengagement des pouvoirs publics des politiques sociales concerne également les établissements de retraite, abandonnés au secteur privé, qui tire de substantiels bénéfices de l'exploitation lucrative des maisons de retraite. À l'instar du groupe Orpea qui exploite près de 117 000 lits dans 1156 établissements, essentiellement en Europe, dont plus de 49.200 lits (586 établissements) en France et près de 47.000 lits (418 établissements) dans neuf pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Pologne, République Tchèque, Suisse) et en Chine. De manière générale, ces dernières années, dans de nombreux pays, les témoignages sur la maltraitance des pensionnaires de maisons de retraite sont régulièrement rapportés par les médias. Beaucoup de faits divers scandaleux défrayent la chronique. En Algérie, le dernier scandale de maltraitances infligées aux pensionnaires concernait une maison de retraite établie à Batna. Sur une vidéo [1] amplement diffusée (mi-janvier 2019) sur les réseaux sociaux algériens, on voyait des personnes âgées livrées à elles-mêmes dans des conditions déplorables. Certaines allongées à même le sol, frappées d'hébétude et de prostration, d'autres à demi-inconscientes immobilisées dans leur fauteuil roulant, d'autres déambulant nonchalamment avec une silhouette à l'hygiène douteuse. Tout cela dans des contextes sans aucune assistance professionnelle. Et un cadre résidentiel à la vétusté et l'insalubrité répugnantes. Ces images insoutenables de maltraitance avaient entraîné le limogeage des responsables de l'établissement, et la poursuite en justice de l'ensemble du personnel. Au reste, le problème des sévices infligés aux personnes âgées est tellement dramatique qu'une Journée mondiale contre la maltraitance des personnes âgées a été instituée par l'ONU en 2007. Cette journée organisée le 15 juin a pour dessein de sensibiliser l'opinion publique au sort des personnes âgées victimes de maltraitance. Selon la définition proposée par les instances officielles internationales, la maltraitance des personnes âgées « se caractérise par tout acte de négligence ou omission commis par une personne, s'il porte atteinte à la vie, à l'intégrité corporelle ou psychique, à la liberté d'une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à la sécurité financière. » La maltraitance des personnes âgées recouvre de multiples formes de souffrance et de mauvais traitements aux yeux de la loi. Elle s'étend à tous les types de violences et de négligences, associés ou non. Les différentes formes de maltraitance des personnes âgées peuvent être des violences : physiques : coups, blessures, contraintes physiques; morales et psychologiques : injures, violation de la vie privée, chantage, privation d'affection ou de visites; médicamenteuses : excès de neuroleptiques, absence de traitement adapté; financières : vol, extorsion, héritage forcé; les négligences actives (enfermement?) ou passives (absence d'aide à l'alimentation?) ; les violations des droits civiques : atteintes aux libertés et droits fondamentaux des personnes. Ainsi, de nos jours, le troisième âge est la période de tous les dangers. Jamais dans l'histoire les personnes âgées n'ont été traitées avec tant d'inhumanité. Jamais les personnes âgées n'ont été autant exposées à autant d'insécurité. Isolées socialement, carencées affectivement, négligées familialement, fragilisées financièrement, diminuées physiquement, amoindries psychologiquement, elles deviennent des proies faciles. Souvent, en période de crise économique, elles sont les premières victimes des mesures antisociales. Certaines sont contraintes de reprendre le travail pour pouvoir survivre. D'autres tombent dans une extrême pauvreté, ou deviennent SDF. Ironie du sort, plus grave encore, en Asie, aujourd'hui, pour survivre, certains retraités recourent à des expédients ingénieux illégaux. Ainsi, dernière invention dans l'un des pays les plus riches au monde, le Japon, de plus en plus de retraités choisissent la prison pour fuir la misère. À la liberté dans la misère, de nombreux retraités japonais préfèrent la sécurité alimentaire et médicale dans la prison. Un retraité japonais l'a expliqué avec ses mots dans un article du Monde publié le 14 janvier 2019. «En prison, il a chaud, il est nourri et s'il est malade, on s'occupe de lui? Comme il est récidiviste, il en a pris pour deux ans? Un jour il faudra peut-être que je fasse comme lui», raconte-t-il à propos de l'un de ses amis. Pour accéder à cette maison de retraite de substitution, certains retraités se métamorphosent en hors-la-loi par la commission de certains larcins afin d'achever leur vie au chaud dans une cellule. Selon le journal le Monde, 21,1 % des personnes arrêtées en 2017 avaient plus de 65 ans. En l'an 2000, cette tranche d'âge ne représentait que 5,8% de la population carcérale. Les retraités qui se retrouvent en détention ont souvent volé de la nourriture ou de quoi améliorer l'ordinaire. Ces détenus âgés représentent «de nouvelles charges pour l'administration pénitentiaire», d'autant plus qu'ils «entendent mal et tardent à exécuter les ordres ; certains sont incontinents, d'autres ont des problèmes de mobilité et il faut parfois les aider à se nourrir et à se laver». De la France à l'Algérie, du Japon aux États-Unis, la société excrémentielle capitaliste a transformé les personnes âgées en déjections, réduites à survivre misérablement, à mourir à petit feu sous le regard indifférent de la majorité des hommes et femmes insensibles au malheur de ces aînés de l'humanité. Quand le respect dû aux vieillards bat en retraite, c'est la mort de l'humanité qui approche. «Sois serviable envers les vieux : quand tu le seras, à ton tour, on te servira.» Proverbe kurde 1- https://www.youtube.com/watch?v=4kztXdsHeKc |