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Aujourd'hui, plus que jamais, le maintien de la paix sociale en Algérie
est étroitement lié au cours du pétrole. En l'absence d'institutions solides
capables de faire face aux besoins les plus élémentaires des citoyens, la paix
sociale est menacée par la moindre défaillance de l'Etat social.
En ce qui concerne l'Algérie, le dernier exemple en date est le contre-choc pétrolier des années quatre-vingt, qui a eu un effet dévastateur sur la stabilité sociale. Il existe quatre piliers de l'Etat social: la protection sociale, le droit du travail, les services publics, et les politiques de soutien à l'activité et à l'emploi (Ramaux, 2006) Existe-t-il en Algérie un système de protection sociale ? Ou assistons-nous à seulement une opération « inefficace » de redistribution de la rente pétrolière ? Un système de protection sociale fiable suppose une intervention de l'Etat dans la sphère sociale avec un système cohérent de soutien aux revenus permettant un bon niveau de prestations. Cette question, un brin provocatrice, mérite d'être posée, d'autant plus que la situation financière confortable de l'Algérie semble, déjà, appartenir à une histoire révolue. La politique d'austérité, à peine voilée, du gouvernement va de plus en plus se manifester par une réduction des dépenses publiques et notamment une réduction du budget social. L'Etat algérien a assuré pendant des années le rôle d'employeur en dernier ressort. Il a également développé un système d'assistance sociale qui se manifeste, entre autres, par des prix subventionnés et des prêts bancaires à tout-va, défiant même la raison. Il est malheureusement évident que cela a été fait au détriment d'une réforme structurelle du système de protection sociale. Ce système est censé trouver ses propres moyens de financement afin de pérenniser les prestations. Le déséquilibre financier qui menace le système de protection sociale est d'abord structurel, mais aussi une résultante de la situation économique. Le système trouve ses recettes de financement dans les revenus de l'activité professionnelle. La fragilité de l'économie algérienne associée à l'instabilité des cours du pétrole, principale ressource du pays, rend le système de financement plus vulnérable au contexte économique national (marché du travail) et international (prix du pétrole). Le travail informel, le développement du travail atypique tel que le travail à domicile et la baisse de l'emploi salarié permanent, constituent également des éléments expliquant les difficultés financières du système de protection sociale. Depuis l'indépendance, aucune réforme ambitieuse n'a vu le jour. La commission nationale de réforme de la sécurité sociale, de 1975, n'a pas fait long feu. De plus, les mouvements corporatistes dans le pays n'ont pas incité le pouvoir en place à engager d'une manière sérieuse les réformes nécessaires. Un système algérien de protection sociale inapproprié Dans la structure du système, on est resté sur un système français. Ce dernier, ne prend pas en compte les spécificités de la société et de l'économie du pays. Les caractéristiques institutionnelles du système algérien de sécurité sociale nous incitent à le définir comme un système hétéroclite. Il est fondé sur une administration de l'Etat. Sur le fond, il est plus proche du système bismarckien, basé sur un système d'assurances sociales réservées aux seuls travailleurs. En ce qui concerne le mode de financement, le système est financé par les cotisations, contrairement au mode de financement par l'impôt préconisé par Beveridge. Ce qui rend le financement du système fragile du fait du nombre important de personnes non affiliées aux caisses nationales de sécurité sociale. L'amélioration du service public de santé est un élément primordial pour empêcher l'exclusion de la population vulnérable. Les niveaux de prestations restent insuffisants. L'universalité des prestations est loin de se concrétiser du fait que c'est le marché du travail qui ouvre l'accès à la quasi-totalité des prestations. Quant aux prestations en provenance du budget de l'Etat, elles sont insuffisantes et sporadiques et surtout elles posent un réel problème d'allocation des ressources. Le pilier de la sécurité sociale en Algérie est le droit à la santé pour tous. Ce principe a pour objectif de faciliter l'accès à la santé pour tous les citoyens, notamment la population la plus vulnérable. Cependant, ce principe ne signifie pas un système de santé équitable pour toute la population. L'accessibilité aux soins est disparate entre les catégories de la population. Faute de moyens, la population vulnérable ne peut accéder qu'à un minimum d'assistance médicale servie dans des hôpitaux publics souvent saturés ou dépourvus des moyens nécessaires pour répondre aux attentes des patients. Face aux lacunes des centres sanitaires publics, une partie de la population seulement peut accéder à des soins de qualité dans les centres sanitaires privés. Le coût des soins dans le système privé est trop élevé. Ce qui limite l'accès aux soins de qualité et renforce l'écart de vie entre les catégories de la population. L'accroissement du nombre d'assurés inactifs a accentué le déséquilibre du système, déjà affaibli par l'importance des dépenses de gestion administrative des caisses. En effet, la prise en charge par les caisses des prestations non contributives telles que les majorations de prestations accordées à quelques catégories de la population a eu un effet négatif sur la pérennité du système. A cela s'ajoute, depuis 1997, la dépense engendrée par l'instauration de la retraite sans condition d'âge qui est à la charge de la caisse de retraite. Un tour d'horizon de l'expérience européenne L'histoire de la protection sociale est marquée par les deux grandes figures que sont Beveridge et Bismarck. Le système bismarckien, lancé entre 1880 et 1890, est basé sur une logique d'assurance. L'ouverture aux prestations est conditionnée par des cotisations préalables suite à une activité professionnelle. A la différence de l'assurance privée, le système bismarckien repose sur des cotisations ou des assurances obligatoires et nationales gérées par les partenaires sociaux. Le système de Beveridge proposé en 1942 par le lord britannique Beveridge, affirme le droit de chacun à la sécurité sociale et la garantie d'un revenu minimal en cas de perte d'emploi (chômage, maladie, retraite). Ce système repose sur les principes de l'universalité, de l'uniformité et de l'unicité. Ce qui signifie respectivement une couverture sociale pour tous, une aide identique pour tous, et que tous les risques doivent être couverts par un système unique. Le développement de la protection sociale en Europe laisse apparaître plusieurs caractères communs : une forte présence de l'Etat dans la majorité des expériences sociales européennes et notamment dans les pays scandinaves, un rôle positif des mouvements de revendication sociale, un impact significatif des tendances et du climat politique sur les orientations sociales, un minimum de développement économique a toujours précédé le développement social, et l'importance de l'adaptabilité des systèmes de protection sociale. Le cas allemand montre que le développement de la protection sociale a été essentiel pour maintenir une certaine harmonie sociale. En effet, le développement de l'industrie s'est accompagné à la fois de la venue de grandes vagues d'ouvriers venants de toute l'Allemagne, et surtout du développement des mouvements massifs de contestation menés par les mouvements révolutionnaires notamment. Ces mouvements ont contraint les autorités allemandes de l'époque, selon l'expression de Abelshauser (1996), à désamorcer la bombe révolutionnaire par la mise en place de plus d'acquis sociaux. Les pays scandinaves quant à eux demeurent un exemple de l'intervention réussie de l'Etat dans la sphère sociale avec un système universel de protection sociale inspiré du système beveridgien. En effet, le modèle scandinave de protection sociale, sous l'effet d'une tendance sociale-démocrate, donne à l'Etat un rôle primordial dans le développement et le maintien du système de protection sociale. L'efficacité du rôle de l'Etat dans le cas scandinave peut être attribuée au caractère fortement organisationnel de ces sociétés. Dans les pays scandinaves, les associations professionnelles et les syndicats regroupent presque l'ensemble de la population qu'ils sont supposés couvrir. Non seulement l'Etat a encouragé ces mouvements associatifs mais il a réussi à tirer profit de ces derniers pour être en connexion permanente avec la société. Les tendances politiques ont également eu un impact non négligeable. L'exemple le plus éloquent est celui de l'Islande. Le faible score du parti social-démocrate dans les élections en Islande (15% des suffrages), a conduit ce pays à avoir une structure différente de leur Etat-providence en comparaison avec les autres pays scandinaves. De plus, les avancées remarquables en matière sociale ont été réalisées durant la période où la gauche islandaise a pris le pouvoir pour une courte période. Si on ne retient que les dépenses de la protection sociale, l'Islande apparaît très en retard par rapport aux autres pays scandinaves. Le climat politique qui a régné en Espagne n'a pas aidé à un développement social durant le début du siècle dernier, et les difficultés économiques des années soixante-dix n'ont pas aidé au bon déroulement des réformes sociales. En effet, du fait de la période de la dictature de Primo De Rivera et de l'absence d'une pression populaire, l'Espagne n'a connu aucune réforme importante en matière sociale. Il a fallu attendre la première république pour voir les premières réformes qui, malheureusement, ont été interrompues par la guerre civile de 1936. Le principe de l'universalité instauré par décret dans les années soixante-dix, par manque d'un processus de réforme, n'a jamais été concrétisé. De plus, les difficultés économiques des années soixante-dix ont pris de court les réformateurs espagnols. A partir de 1975, le taux de chômage a explosé en Espagne alors que le taux de couverture des chômeurs n'avoisinait que seulement les 36%. En revanche, contrairement à l'Espagne où le manque de stabilité politique et sociale a freiné le développement de la protection sociale, l'Italie a commencé à développer son système de protection sociale en période de fascisme. Durant cette période, le rôle de l'Etat dans la garantie des prestations sociales, en matière de santé notamment, a été plus marqué. Le régime fasciste avait une vision des politiques sociales axée sur la population productive. L'objectif était la garantie d'une main-d'œuvre disponible et disciplinée. Le mimétisme n'est pas la solution Les pays de l'Europe de l'Est demeurent un exemple marquant de l'importation inefficace des politiques sociales. Dans ces pays le système est resté longtemps marqué par le régime communiste qui donne aux entreprises un rôle primordial pour garantir des prestations sociales. La privatisation massive des entreprises après la chute du Mur de Berlin n'a pas permis de maintenir ce système social basé sur l'entreprise. Depuis cette date, une série de réformes sociales a été appliquée dans ces pays. Cependant, ces réformes ont été qualifiées d'extrêmes, pour preuve la baisse du nombre de bénéficiaires et des montants des prestations (Vaughan-Whitehead, 2003). Cette baisse est justifiée par des raisons de restrictions budgétaires. Les conséquences négatives de ce constat ont été accentuées par la libéralisation des prix et la baisse du salaire réel. Le cas de la Hongrie et de la République Tchèque sont plus significatifs : les réformes d'inspiration néolibérale en Hongrie ont conduit à l'élimination des allocations universelles, et à la réduction de l'offre des services sociaux, et cela de moins 40%. La part des transferts sociaux dans le produit intérieur brut est passée de 37,5% à 27%, et la part des allocations familiales dans le PIB est passée de 4 à 1% du PIB. De plus, 20% des familles sont devenues inéligibles du jour au lendemain. En République Tchèque, la situation n'est pas différente. Les prix ont été libéralisés d'une manière brutale et les dépenses de protection sociale sont passées de 33 à 24% du budget en un temps record, du fait du durcissement des règles d'éligibilité. Conclusion Le maintien de la paix sociale passe d'abord par une meilleure allocation des ressources. Les ressources publiques devraient être dirigées vers les plus démunis. La modernisation de la protection sociale devrait s'inscrire parmi les priorités absolues. Les politiques publiques d'insertion professionnelle des jeunes ont montré leurs limites. Le maintien de ce système représente une charge financière importante sur le budget. Le mot « réforme », qui a perdu de sa substance depuis plus d'une décennie, doit retrouver toute sa place dans une Algérie qui n'aura plus les moyens de maintenir le financement des pseudos projets non créateurs de richesse ; à défaut de quoi, il faut s'attendre à des lendemains qui déchantent. Bibliographie : HADJI, R, 2011, « La quantification du progrès social, application aux pays européens et approfondissement sur le cas de l'Algérie », Thèse de doctorat, Université Paris Nord /CEPN ABELSHAUSER, W., 1996, « Erhard ou Bismarck ? L'orientation de la politique sociale allemande à la lumière de la réforme de l'assurance sociale des années cinquante», in DRESS (2004). CNES, 2001, « Evolution des systèmes de protection sociale, perspectives, conditions et modalités permettant d'assurer leur équilibre financier », rapport du conseil national économique et social (CNES). Ramaux, C, 2006, « Emploi. Eloge de la stabilité. L'État social contre la flexicurité ». Éditions Mille et une nuits. VAUGHAN-WHITEHEAD D., 2003 « Protection sociale. Une peau de chagrin dans l'Europe élargie ?, Le courrier des Pays de l'Est * Docteur en économie, Consultant Industrie Pharmaceutique ?Paris |
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