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Des
familles entières souvent avec femmes et enfants, des mères célibataires, des
mineurs en détresse?ont pour unique refuge les trottoirs de la ville. Elles
sont livrées à l'enfer de la rue et à la morsure du froid. Expulsions, ruptures
familiales, misères? les causes qui ont mené ces malheureux à la rue sont
nombreuses.
La plupart de ces laissés-pour-compte viennent des autres wilayas limitrophes ou lointaines. Oran, qui s'est forgée la réputation d'une ville accueillante, tolérante où tout est possible et où l'on peut avoir un nouveau départ lorsque l'on a tout perdu ailleurs, attire de plus en plus de sans-abris. Certains viennent pour fuir leurs familles, d'autres pour subsister de petits boulots ou tout simplement faire la manche. Mais le «rêve» oranais vire parfois à la galère. Plus vulnérable que les hommes, les femmes et les enfants de la rue sont des proies faciles pour les agresseurs de tout bord et les clochards endurcis. Viols, violences physiques aggravées?aucun malheur n'est épargné dans la jungle de la rue à ces «proies». Le jour se lève dans la brume matinale sur le quartier commercial de M'dina J'idida. Les nuits sont glaciales en ce début novembre. Une femme sans-abri est assise sur un carton à quelques mètres d'un barrage fixe de police près de la maison de redressement. Bras repliés sur le buste, jambes tendues et protégées par une couverture sale, la tête couverte d'une écharpe sombre, le visage pâle et ridé, le corps maigre et éprouvé par les longues nuits froides passées dans la rue, cette jeune femme contemple avec un regard vide la vie qui passe. Les yeux profondément enfoncés, le visage inexpressif et une extrême torpeur? elle est un spectre qui hante cette rue fréquentée. Les passants pressés détournent le regard. Ils se sont habitués au spectacle de la misère. A quelques mètres d'ici c'est toute une famille de sans-abris qui s'est installée sur le trottoir. Des couvertures crasseuses sont étendues sur une corde entre deux arbres sans doute pour se protéger des regards indiscrets. Un petit garçon est assis sur un matelas de fortune. Il regarde attentivement les passants, non qu'il est intéressé par les va-et-vient incessants et ininterrompus, mais il espère croiser dans la foule le regard d'une âme charitable. «Donnez-moi un peu d'argent âmi !», lance avec une voix suppliante le bambin. Ses parents sont recroquevillés sur un bout de carton. Ils dorment profondément sous une couverture. L'effervescence de cette rue commerciale n'arrive pas à les soustraire de leur léthargie. Le petit mendiant veille sur sa petite sœur bien emmitouflée sous des couches de vêtements. L'enfant endurci par la rue semblait conscient de la situation précaire de sa famille. On lisait dans ses yeux un sentiment de profonde tristesse qu'un sourire éphémère n'arrivait pas à masquer. Sa petite sœur était par contre joyeuse. Elle profitait pleinement de l'insouciance de l'enfance en jouant avec les couvertures. Le plus atroce dans cette scène est l'indifférence des gens qui se sont accommodés à cette misère. La situation humanitaire et sociale des familles, des femmes et des enfants de la rue est effroyable. La société a le devoir et la responsabilité de secourir ces sans-abris de gré ou de force, mais presque personne ne se préoccupe de la détresse de ces malheureux. Le SAMU social qui essaye avec les moyens du bord de soustraire les plus vulnérables des griffes de la rue est dépassé et impuissant faute d'un financement suffisant de son budget ordinaire. Le SAMU social de la deuxième plus grande ville du pays n'est en réalité qu'un dortoir provisoire de 25 lits pour les hébergements d'urgence de 72 heures. Cette ancienne bâtisse vétuste qui accueillait jadis la pouponnière de la ville est dépourvue de presque tout. Devant la porte du SAMU social, un vieux chauffeur s'ingénie à entretenir un Karsan J 9 en état de délabrement. C'est le seul véhicule pour le recueil des sans-abris à Oran. Pour les employés du SAMU social, chaque jour à son lot de misère. Le nombre des sans-abris va crescendo et les moyens alloués par les pouvoirs publics ne suffisent plus. C'est le SAMU social qui doit être secouru ! Badra, Malika, Abassia?des femmes qui ont tout perdu dans la rue Quand on est une femme en errance, survivre dans la rue est un combat de chaque instant. Ces «proies potentielles» doivent se tenir sans cesse sur leurs gardes pour ne pas subir un harcèlement, une agression ou pire, un viol collectif. Abassia âgée à peine de 38 ans est dans la rue depuis 2011. Elle est tristement célèbre auprès des services de police et des employés du SAMU social à Oran. Cette femme est une proie trop facile pour les rapaces de la rue. En sept ans de rue, cette sans-abri originaire d'une wilaya limitrophe a fait quatre accouchements. Elle passe aujourd'hui ses nuits sur le trottoir en face de la Sûreté wilaya. La présence policière semble la rassurer surtout la nuit où elle risque de faire de mauvaises rencontres. Mais quand on est une femme dans la rue, faire preuve de beaucoup de prudence ne suffit pas toujours. Les quatre premières années de Abassia -il s'agit d'un nom d'emprunt- dans la rue ont été les plus éprouvantes. Ces quatre accouchements ont eu lieu entre 2011 et 2014, mais depuis, elle est plus prudente et évite les recoins dangereux de la ville. Abassia n'est pas un cas isolé, d'autres femmes sans-abri sont victimes de temps à autre de ces agressions sexuelles. Ces affaires atterrissent exceptionnellement devant les tribunaux. Les victimes portent rarement plainte contre leurs agresseurs. Cette tragédie humaine se déroule dans l'indifférence générale de la société. Les femmes sans-abri, qui ont perdu confiance dans la société, se présentent exceptionnellement dans un commissariat pour porter plainte. On se rappelle des sans-abris à l'avènement de la saison hivernale quand il fait froid dehors, mais pour ces marginaux de la société, ce n'est pas le froid qui tue mais les regards des autres. Une femme sans-abri qui subit un viol n'est pas perçue comme une victime mais comme une «proie consentante». Abassia n'est pas un cas social extrême car il y a pire dans les rues d'Oran. Malika a tout perdu dans la rue : santé, jambes, bras et le désir de vivre. La rue, la maladie et l'alcool ont ravagé toute sa vie. Cette vétérane de la rue a consumé sa jeunesse et sa santé sur les trottoirs. Une addiction à l'alcool et un diabète non pris en charge a ravagé sa vie. Agée seulement de 56 ans, elle a été amputée d'une jambe puis d'une autre et enfin des deux bras. Il ne reste désormais de Malika que le buste et une profonde amertume. Handicapée à 100%, Malika vit aujourd'hui à Dar Errahma. Elle compte les jours en attendant sa délivrance. La mort ne fait plus peur à cette suppliciée. Badra, sa compagne d'infortune, a eu un parcours presque similaire. Cette femme, qui est originaire d'un petit bourg à l'ouest de la wilaya situé sur les abords de la route nationale RN 2 souffre de troubles psychiatriques, était exploitée par l'un de ses proches dans la mendicité. Une enquête menée par le SAMU social avait révélé que l'un de ses proches profitait de sa détresse. La vie dans la rue a laissé des séquelles sur le corps de Badra. Après avoir été amputée de ses deux bras, la malheureuse a continué de vivre sous le joug de son oppresseur. Il avait fallu une réquisition du procureur de la République pour autoriser son internement à l'hôpital psychiatrique de Sidi-Chahmi. Malika, Badra, Abassia et les autres femmes anonymes sont les victimes d'une société individualiste où les inégalités se creusent tous les jours. Une société gavée par les faits divers les plus ahurissants, colportés à longueur de journée par certains médias, et qui ne fait plus confiance à un inconnu. Porteurs le jour, sans-abris la nuit Sur les trottoirs de la ville, il n'y a pas que les exclus de la société, mais selon des enquêtes menées par le SAMU social, nombre de sans-abris sont des travailleurs pauvres qui vivent au jour le jour de petits travaux pénibles et mal payés. Ces visages de la précarité exercent le jour comme porteurs chez les grossistes de Sananès (Sidi El Hasni), Maraval, rue Soufi Zoubida et la nuit tombée ils dorment sur les trottoirs de la ville près de la Garnison à M'dina J'dida. La journée commence pour ces forçats de la «Khobza» à 5h00 du matin. Un petit café express pour se réchauffer et direction Sananès où des semi-remorques et des camions Sonacome attendent d'être déchargés de leur cargaison. Ils travaillent à la tâche sans couverture sociale ni sanitaire. Pour eux tous les jours sont ouvrables et ouvrés. Pas de repos, pas de congé, pas de jours fériés. «Il existe trois catégories de sans-abris. Il y a bien sûr les SDF en rupture familiale, les malades mentaux et les faux SDF qui viennent pour travailler à Oran mais préfèrent économiser les frais de l'hébergement. Ces travailleurs sans domicile viennent généralement des wilayas limitrophes : Sidi Bel Abbès, Mostaganem, Relizane, Aïn Temouchent et même Tiaret. Ils refusent d'être hébergés à Dar Er Rahma car elle se trouve à Misserghine, loin des quartiers commerciaux de la ville. Ils préfèrent dormir sur le trottoir à M'dina J'dida pour être les premiers à décharger les camions qui arrivent à Oran», affirme Fedala Mohand-Ameziane, directeur de l'Action Sociale de la wilaya d'Oran. Le chef service SAMU social précise, de son côté, que la majorité des sans-abris de la ville sont des hommes actifs qui viennent chercher du travail à Oran. Ils subsistent de petits boulots précaires et sans qualification : porteurs, manœuvrés, etc. «Il y a aussi le phénomène des jeunes en errance ou les touristes vagabonds. Ces jeunes viennent en particulier durant la saison estivale pour passer plusieurs semaines à Oran et ses localités balnéaires. Le jour, ils sillonnent les plages et les rues de la ville et la nuit ils dorment à la belle étoile. On peut notamment les voir à Aïn El-Turck où ils choisissent la grande place publique pour passer la nuit», précise le premier responsable du SAMU social. La rue est un univers à part où des destins tordus se croisent, s'éloignent et se heurtent d'une manière tragique et absurde. Le nombre des sans-abris progresse sur nos trottoirs à cause de la désocialisation, des difficultés financières des ménages, de la cherté des loyers?mais les pouvoirs publics tardent à réagir. Les conséquences sociales et sanitaires de cette inertie sont pourtant dramatiques. Personne n'est à l'abri d'un écart, d'un méfait ou d'une mésaventure. Les sans-abris sont nos frères, nos sœurs, nos mères, nos pères qui ont besoin de nous dans ces moments difficiles, alors il faut peut-être arrêter de détourner le regard. Ces sans-abris ne sont que le reflet de notre société. L'autre est notre miroir. Le miroir de tout ce qui est enfoui au plus profond de nous-mêmes : l'égoïsme, l'insensibilité, l'apathie et? l'inhumanité. |
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