Il fait agréablement chaud, ce mois de novembre. Trop ?

Ce n'est pas pour me vanter, mais il fait joliment chaud, aujourd'hui ! Bon, la formule d'autosatisfaction n'est pas de moi mais d'Eugène Labiche?

Mais tout de même, on ressent une certaine fierté, même une grande satisfaction de soi-même à constater que ce novembre est doux comme un mois d'avril. Et pourtant, comme disent les proverbes français, " Novembre est malsain, il fait tousser les saints ", ou " A saint Séverin (27 novembre), chauffe tes reins " ! On en est à ne pas croire les chiffres du thermomètre : 29° à St Jean-de-Luz, 27,8° à Biarritz le 8 novembre ! On se baignait sur ces plages de l'Atlantique ! 26,7° à Bordeaux, 24,7° à Clermont Ferrand, en Auvergne ! 24° à Colmar en Alsace?

Du pas vu depuis longtemps : certains records ont été battus même là où les relevés sont très anciens : à Nancy depuis 1927, à Clermont-Ferrand depuis 1923, à Bordeaux depuis 1920, à Paris depuis 1873 ! Depuis la construction des premières stations météo, à la fin du XIXe siècle, la France n'a jamais connu ça.

L'explication ? Une histoire comme toujours compliqué d'anticyclone : la persistance d'un flux d'air tropical qui nous vient d'Afrique du Nord, plus précisément du Maroc et qui a réussi à traverser le Méditerranée et à remonter jusqu'en France. Il doit donc faire une sacré bonne température en Algérie actuellement?

Mais à en croire les bulletins météo, L'Europe n'est pas le seul continent concerné par cette vague de douceur. Vendredi dernier aux Etats-Unis, New York a aussi battu son record de chaleur pour un 6 novembre. En début d'après-midi, 23,8 degrés ont été relevés à l'aéroport de La Guardia. Comme chez nous, c'est 10 degrés de plus que la température moyenne d'un début novembre.

Tout cela alimente évidemment l'ensemble des conversations de mes concitoyens. Et tout le monde dit, d'un air convaincu et pénétré et sur un ton légèrement euphorique, strictement la même chose " Il fait beau, hein ! ", avec des variations peu imaginatives " il fait chaud, hein ! ", " doux ", " sympa ", " exceptionnel "? Evidemment, tout le monde a oublié le mauvais temps passé. Tiens, l'été 2014, particulièrement maussade a été le plus humide depuis 50 ans. Oublié !

LE BONHEUR EST DANS LE CHAUD

Si la météo est le sujet favori d'un début de conversation, c'est que le sujet a de nombreux avantages. Tout d'abord, il concerne tout le monde. Et fait plus rare, tout le monde possède à peu près le même niveau de connaissances, à quelques dixièmes de degrés près concernant la température. Et les gens dans ce genre difficile, sont particulièrement attentifs aux informations nouvelles qui circulent. Les bulletins météo font évidemment les plus forts taux d'audience à la télé et ça continue maintenant sur le portable : la Chaîne Météo est en été, la seconde application mobile utilisée. Mieux, la météo s'intègre de plus en plus dans les journaux télé eux-mêmes, devenant de fait le 1er sujet d'actualité. Et ca passionne vraiment le téléspectateur, davantage que les autres sujets dramatiques et ennuyeux du reste de l'actu : " "C'est un échange de proximité. D'autant que nous leur apportons une info qu'ils peuvent facilement vérifier -ce qui n'est pas le cas d'une crise au Proche-Orient, par exemple", explique ainsi Louis Bodin, l'un des présentateurs stars de la météo. Il se trompe un peu : sur la carte du Moyen-Orient, c'est toujours Tempête?

Evidemment, tout le monde s'auto-félicite de l'exceptionnelle douceur du temps. " Depuis 2000, nous battons des records de chaleur", explique Frédéric Decker, météorologue, dont il ne faut pas, selon lui, occulter les conséquences positives, comme l'augmentation des rendements agricoles, " jusqu'au sud du Groenland où les potagers ont réapparu ". L'histoire nous apprend pourtant que les périodes chaudes ont permis de grandes choses pour l'humanité. " Du temps des Romains, il faisait plus chaud qu'aujourd'hui. L'empire romain a pu s'étendre sur une grande partie de l'Europe et vivre dans un confort optimal, poursuit-il, Idem pendant " l'optimum médiéval " en France et en Europe, entre 800 et 1300, période riche, faste et confortable du fait là encore d'excellents rendements agricoles. " Le brutal tournant autour de l'an 1300, refroidissement et précipitations extrêmes, passant de graves sécheresses à trop de pluie, ont affaibli l'Europe et indirectement apporté la peste noire qui tua un tiers de la population européenne entre 1347 et 1352. D'autant que cette période froide, "le petit âge glaciaire", s'est éternisé jusqu'au XIXe siècle, provoquant famines, pauvreté et plus ou moins directement des faits historiques, tels que la Révolution française. Bref, l'être humain est plus adapté au chaud qu'au froid " conclut le météorologue.

Oui, mais? dans nos sacro-saintes et euphoriques discussions quotidiennes sur la météo, après nous être mutuellement félicité de la douceur exceptionnelle de la température, il y a toujours l'un de nos comparses qui avec une mine soucieuse, avance d'une voix un peu hésitante, " et si le thermomètre continuait à monter ? ", évoquant le risque du mal absolu : le réchauffement climatique !! Et là, plus personne ne rigole? Bon, il est vrai que dans une étude de l'association internationale Win, le " baromètre mondial de la confiance en l'avenir ", les Français sont en queue de peloton en termes d'optimisme pour 2015, 64èmes sur 65pays. Les derniers sont les Italiens.

Du climat en tous cas, les grands de ce monde vont également beaucoup en tchatcher d'ici la fin de l'année, avec bien sûr en apogée, la grand-messe de la COP 21 qui se tient à Paris du 30 novembre et qui réunira pratiquement tous les pays du monde. La 21ème COP ? Ca veut dire 21ème " Conférences of the parties ", en d'autres termes, les pays qui participent : l'ONU s'est dotée en 1992, à l'occasion du sommet de la Terre de Rio de Janeiro, d'un cadre d'action de lutte contre le réchauffement climatique : la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques). C'est notamment lors de ces COP que les États signataires peuvent entériner des accords sur la réduction des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, avec des objectifs pas souvent communs et surtout très différenciés jusqu'à présent.

Mais faut-il attendre la COP 21 pour parler ensemble du sujet ? La réunion du G20 (la réunion des 20 principaux pays et ceux de l'UE) se tient justement, les 15 et 16 novembre à Antalya, en Turquie. " Nous ne devons pas attendre Paris : nous devons préparer Paris, il y a la pré-COP21 (...) il y a aussi la réunion du G20, à Antalya, en Turquie où se trouveront dans la même enceinte les principaux acteurs", a déclaré François Hollande en ouvrant le 4 novembre, une table ronde à Séoul, en Corée? sur le climat et la croissance verte.

G20 - COP 21 : CLIMAT INCERTAIN

C'est vrai qu'il y aura du beau monde pour parler météo à Antalya, charmante cité balnéaire de la riviera turque : Obama, le président chinois Xi Jinping, la plupart des chefs d'état européens, et le roi d'Arabie saoudite : Salmane Ben Abdel Aziz, accompagné d'un millier de proches et d'intimes a loué le très luxueux Mardan Palace Hotel, pour la modeste somme de 18 millions de dollars.

Lors de leur rencontre, les dirigeants du G20 confirmeront certainement un consensus qui se construit petit à petit mais il y a également les sujets qui fâchent, notamment les mesures concrètes. Coté accord, sur les 195 pays participants à la COP21, 155 représentant environ 87% des émissions mondiales de GES ont déposé à ce jour auprès de l'Onu leurs engagements, ce qui est salué comme un " premier pas très significatif " par le document français de préparation. Mais ces engagements ne mettent cependant pas encore la planète sur la trajectoire d'un réchauffement limité à 2°C mais plutôt entre 2,7% et 3%, selon les estimations, ce qui rend d'autant plus nécessaire un mécanisme de révision périodique, auquel la Chine s'est ralliée cette semaine.

En matière de financements, les pays industrialisés ont promis de dégager 100 milliards de dollars de fonds publics et privés par an d'ici 2020. " Nous essaierons d'avancer sur le principe d'une augmentation des financements pour le climat au-delà de 2020 ", a déclaré Laurent Fabius, l'ordonnateur de la future rencontre. Doivent cependant être réglées les questions relatives à la contribution des pays émergents, plus pauvres, au calendrier de versement et à l'affectation des fonds. Aujourd'hui doté de 10,2 milliards de dollars, le Fonds Vert, une des composantes de l'aide internationale, a annoncé vendredi qu'il avait d'ores et déjà approuvé huit projets pour un montant total de 168 millions de dollars.

Pour fignoler la préparation de la COP 21, plus de 60 ministres se retrouvent à partir du 15 au17 novembre à Paris, pour tenter de dégager la voie d'un compromis sur une trentaine de questions en suspens dans les négociations sur la lutte contre le réchauffement climatique. On ne sait pas encore si l'on va agir mais en attendant, on parle beaucoup.

Il est vrai que dans l'attente de la réunion COP 21à Paris, l'une des plus grandes conférences internationale jamais convoquées, les rapports pessimistes s'accumulent. Les rejets de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, CO2 et méthane, ont atteint un record en 2014, a annoncé lundi 9 novembre, l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Sans parler du protoxyde d'azote qui détruit la couche d'ozone. La veille, pour la Banque mondiale, cent millions de personnes pourraient basculer dans l'extrême pauvreté dans les quinze prochaines années si aucune mesure n'est prise pour freiner le changement climatique. En Inde, les chocs agricoles et la prolifération plus rapide des maladies résultant des dérèglements climatiques pourrait dans ce seul pays, faire basculer 45 millions de personnes sous le seuil de l'extrême pauvreté (moins de 1,90 dollar par jour). Le réchauffement climatique va entraîner une montée des océans de plusieurs mètres, avec des conséquences dramatiques, selon des chercheurs de l'institut de recherche américain Climate Central. Shanghai, Bombay ou Hong Kong sont menacées d'être englouties sous les eaux. Et ce, même si le monde parvient à limiter la hausse des températures à 2°C, selon leur rapport publié dimanche 8 novembre.

SECHERESSE ET CYCLONES

Selon l'Institut national français de la recherche agronomique (INRA), la région Afrique du Nord - Moyen-Orient (ANMO) qui est déjà considérée comme un " point chaud " climatique connait une dépendance céréalière parmi les plus élevées au monde. Elle importe déjà 40% de ses besoins alimentaires. Ce chiffre pourrait dépasser les 50% à l'horizon 2050 " si les effets du changement climatique ne sont pas contenus " :

" Dans une région complexe au plan géopolitique, les importations agricoles et les politiques alimentaires pèsent dans le budget des états et atteignent leurs limites en matière de lutte contre la pauvreté ", note l'étude, l'évolution dans la région ANMO est un " miroir grossissant des défis alimentaires mondiaux et le baromètre des compétitions auxquelles participent les grands acteurs agricoles de la planète ". Les chiffres sont éloquents : la dépendance alimentaire s'est multipliée par quatre en 50 ans alors que la population s'est multipliée par 3,5, avec un régime alimentaire qui s'est " occidentalisé ".

L'un des principaux obstacles aux négociations à venir tient au fait que l'on demande aux pays en voie de développement de renoncer à une partie de leur croissance pour limiter les gabegies environnementales faites précédemment par les pays riches et qui leur auront permis d'assoir leur domination sur la planète. L'autre difficulté est que l'on ne trouvera de solution mondiale à l'avalanche probable de cyclones et de vagues de sécheresse que dans un dialogue honnête, transparent et équitable entre toutes les parties. Ce qui n'est pas exactement dans la tradition historique des grandes conférences internationales?