La capitale française tente de retrouver un rythme de vie normal après les attaques revendiquées par l’organisation terroriste Daech. Les Parisiens choqués, abasourdis voire complètement désemparés, vendredi 13 novembre, commencent à reprendre confiance et tentent de reprendre en main leur vie, une semaine après le massacre perpétré au cœur de la République française.
Bougies allumées, bouquets de fleurs et photos des victimes déposés au pied de la stèle érigée sur la place de la République dans la capitale française près du «Bataclan» où a eu lieu le massacre de 90 personnes qui assistaient à un concert de Rock. Paris est meurtri par les derniers attentats qui ont fait des centaines de morts et de blessés. Depuis les attaques qui ont ciblé des civils dans cette grande métropole, les Parisiens et tous les Français d’ailleurs, pansent leurs blessures et tentent de retrouver une vie normale.
Dans les 10ème et 11ème arrondissements (rue Bichat, de la fontaine-au-Roi, rue de Charonne, au Bataclan et boulevard Voltaire) ainsi qu’à Saint-Denis près du stade de France, on retrouve peu à peu un rythme de vie quasi normal, même si le souvenir de la tragédie reste intact. La dernière descente policière dans le quartier populaire de Saint-Denis, à forte concentration d’émigrés, a ravivé les peurs d’autant plus que les autorités françaises affirment qu’une femme kamikaze s’est fait exploser à la vue du RAID (police spéciale française).
Les sirènes de la police, ici à Paris, retentissent de jour comme de nuit. On a l’impression que ni les services de sécurité, ni les sapeurs-pompiers ne dorment depuis vendredi 13 novembre dernier. Le ballet des ambulances, des fourgons cellulaires et des véhicules de la police est parfois incessant.
Même si dans les différents arrondissements de Paris, la présence policière n’est pas «ostentatoire» -à l’exception des arrondissements touchés par les attentats terroristes- il n’en demeure cependant pas moins que dans les lieux à grande affluence, à l’image des aéroports et des stations de métro, la sécurité est très renforcée.
A l’aéroport Charles De Gaulle, à titre d’exemple, en sus des policiers en tenue ou en civil, ce sont des soldats qui veillent au grain. Les militaires vêtus de treillis et de bérets rouges patrouillent et scrutent, des armes automatiques entre les mains. Paradoxalement, cela ne rassure pas. On a l’impression d’être dans une zone de guerre. Le sentiment d’insécurité est encore plus fort dans les stations de métro où d’autres soldats, le visage défait, le regard scintillant, font le va-et-vient, en particulier mercredi dernier lors de l’assaut donné par la police à Saint-Denis.
Les fausses alertes à la bombe dans les stations de métro tendent à devenir légion. La dernière en date a eu lieu à la station «gare de Lyon». Un colis suspect découvert jeudi dernier dans cette principale station reliant avec tout Paris, a provoqué une véritable panique. La station a été fermée et les voyageurs, déroutés, ont été contraints d’être évacués rapidement.
Il faut savoir que quelques vigiles, devant les escalators et l’entrée des stations de métro, fouillent parfois des sacs de femmes ou des sacs à dos des voyageurs. La «fouille» est purement symbolique car au moment où ces agents de la RATP, peu nombreux, regardent à l’intérieur d’un sac, des centaines de personnes passent devant eux, les bagages à la main.
En fait et pour être honnête, l’état d’urgence décidé par le président français, François Hollande, n’est pas aussi «contraignant» que l’on puisse l’imaginer depuis l’étranger, en Algérie notamment. Il n’y a pas de barrages sur les routes ou les autoroutes. Il n’y a pas de descentes musclées dans les rues. Des vérifications sont opérées ici et là mais on est très loin du scénario que nous avions vécu en Algérie dans les années 1990. Mais une chose est cependant certaine, la peur se lit clairement sur le visage de certaines personnes, vraisemblablement encore traumatisées par les derniers événements.
Depuis les attentats à Paris, la circulation des personnes à travers le métropolitain (métro) a toutefois fortement diminué attestent des compatriotes algériens que nous avons rencontrés au 12ème arrondissement notamment, à quelques encablures, à vol d’oiseau, des lieux des attentats qui ont endeuillé de nombreuses familles, en France et à l’étranger.
Un phénomène paradoxal tend à se développer depuis vendredi dernier. Certains Français redoutent la présence des musulmans, reconnus à leur teint ; et les musulmans, peut importe leur origine, redoutent une réaction violente de certains extrémistes français, issus de l’extrême droite notamment, qui s’en prennent aux personnes de confession musulmane, les invitant, parfois avec brutalité, à quitter la France.
Il faut savoir également que la presse de l’hexagone, dans sa quasi-totalité, continue de revenir sur l’événement en suivant, pas à pas, le déroulement de l’enquête sur les attentats.
Les médias français, en rabâchant continuellement le fil des événements, ont contribué à l’accentuation du sentiment de peur aussi bien des Français d’origine que des Maghrébins qui portent pourtant la nationalité française.
LES PARISIENS SOLIDAIRES DES MUSULMANS
«Beaucoup d’émotion et de la colère» telle était la réponse d’Isabelle quand nous l’avions interrogée sur les attentats de Paris.
Isabelle, la cinquantaine environ, rencontrée à Bercy village dans le 12ème arrondissement de Paris, affirme qu’elle est touchée profondément par cet assassinat en masse de personnes innocentes, mortes gratuitement, et qu’elle était en colère car les terroristes circulaient librement entre la France et la Syrie.
«Je suis en colère contre le gouvernement au même titre que contre ces gens qui ont perpétré l’attentat», dira la dame qui paraissait sereine en dépit de ce qui venait de se passer.
Pour elle, «il y a forcément de grosses failles pour que ces gens parviennent à circuler entre la France et la Syrie sans attirer l’attention des autorités».
Interrogée sur cet amalgame que certains extrémistes veulent entretenir pour ce qui est de l’islam et des terroristes islamistes, Isabelle est catégorique et affirme qu’en tant que française et comme la plupart de ses compatriotes, elle n’est pas du tout dans cet état d’esprit.
«L’objectif principal des terroristes est de provoquer une césure entre les Français et la communauté musulmane, et moi dans ma tête cette amalgame n’existe pas parce que je connais beaucoup de musulmans et il n’y a jamais eu d’animosité entre nous».
Notre deuxième témoin est une jeune fille de 20 ans qui travaille dans une cafétéria, rue du progrès, cour Saint-Emilion. Nous apprendrons à la fin de notre entretien, que la jeune fille, une Française de souche, s’est convertie à l’Islam depuis des années alors qu’aucun signe de son apparence n’indiquait son appartenance à la religion musulmane.
Elle s’appelle Julie et elle est très décontractée. Elle condamne les attentats et dénonce énergiquement cet amalgame qui commence à faire, selon elle, son chemin dans certains milieux d’extrême droite et même de la droite française, qui veulent absolument, selon toute vraisemblance, tirer un profit politique et électoral de la détresse des Parisiens et des Français.
«Moi personnellement, je n’ai pas peur de sortir. Je prends le métro et je viens travailler tous les jours. Je me suis convertie à l’Islam depuis des années et je peux vous affirmer que les gens qui ont commis les attentats ne sont pas musulmans», dit-elle.
Est-ce qu’elle se sent en sécurité après ce qui s’est passé ?
Julie est plutôt optimiste et affirme tout de go que la police française fait un travail remarquable.
Imad est un Algérien établi en France depuis 4 années. Il habite Villejuif, près de la porte d’Italie dans la région Parisienne.
Ce jeune de 24 ans qui a quitté son village à Sidi-Aïch dans la wilaya de Béjaïa, est venu rejoindre son frère à Paris dans l’espoir de jours meilleurs.
Depuis deux ans, il a réussi à décrocher un emploi en qualité d’agent de maintenance dans un hôtel.
Il affirme pour sa part que depuis les attentats, il est constamment dévisagé par les Français.
«Je me sens persécuté de vue», tente-t-il d’expliquer en soulignant qu’il a peur de la multiplication des actes xénophobes et islamophobes.
Le jeune homme avoue cependant qu’il existe des quartiers entiers à Paris qui ont été «ghettoïsés» par des bandes d’islamistes radicaux qui y font le beau et le mauvais temps.
«Certaines filles habitant ce quartier sont contraintes par l’insulte et l’invective à porter le foulard malgré elles», témoigne- t-il encore avec amertume.
Est-ce que l’état d’urgence décrété par le gouvernement français est contraignant pour les musulmans de France ?
Imad, le sourire en coin, dira : «Nous, les Algériens, l’état d’urgence on connaît déjà».
Najah est une Française d’origine algérienne qui travaille à la Fnac à Paris.
La jeune fille dont les parents sont originaires de Sidi Bel Abbès, est franchement très pessimiste. Elle me demande même si je n’aurais pas peur de venir à Paris en ces temps tumultueux.
«Il ne faut plus venir en France», lance-t-elle, l’air grave.
«Moi, je pense sérieusement quitter la France après ce qui s’est passé vendredi 13», dira Najah qui habite dans les Hauts-de-seine, le département qui jouxte le 15ème arrondissement, à côté de Paris.
Elle affirme que les temps sont durs pour tous les musulmans de France.
«Ma cousine qui porte le foulard a été passée à tabac par un groupe de jeunes quand il y a eu les attentats contre Charlie Hebdo en janvier dernier. La situation est encore plus grave aujourd’hui», dira-t-elle encore non sans ajouter «que plus on avance, plus il y aura du racisme violent en France».
François, un jeune français de 24 ans ne partage pas cependant cet avis. Rencontré près de la place de la République où règne une ambiance lourde et solennelle depuis les attaques terroristes, ce photographe amateur affirme qu’il y a toujours de l’espoir malgré tout ce qui s’est passé à Paris. Le jeune Français, qui n’a pas essayé de cacher son amertume, avertit toutefois qu’il a peur de voir une montée des actes islamophobes comme c’était le cas en janvier dernier après l’attaque du journal satirique «Charlie Hebdo».
A ce sujet, il y a lieu de souligner qu’une demi-douzaine d’attaques contre des musulmans en France ont été recensés au lendemain des événements du 13 novembre, selon le centre de lutte contre l’islamophobie. En janvier dernier, par contre, quelque 176 actes contre des musulmans étaient recensés par le même observatoire de lutte contre l’islamophobie.
Durant une journée entière, nous avons sillonné certains quartiers des 10ème, 11ème et 12ème arrondissements de Paris qui sont en quelque sorte l’épicentre des attentats meurtriers qui ont fait 130 morts et plus de 300 blessés.
De nombreux Français et Algériens établis à Paris refusent de faire la moindre déclaration. Certains nous demandent même de l’argent pour témoigner de ce qu’ils ont vu et vécu alors que d’autres, visiblement anxieux et tétanisés, ne s’arrêtent même pas quand vous les interpellez.
A Paris, ou du moins dans les arrondissements que nous avons visités, la majorité des Français restent très corrects vis-à-vis des étrangers, les musulmans en particulier. Des vidéos circulent cependant sur le Net, montrant des scènes racistes dont sont victimes des musulmans, ce qui rappelle un peu ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec les noirs américains du temps de Martin Luther King.
Une vidéo montrant une vielle femme vraisemblablement française dans le métro s’en prendre violement à une dame portant le foulard en lui criant à la figure de changer de compartiment, a choqué plus d’un.
Mais cela reste un acte isolé, puisque nous avons appris ici à Paris, qu’à travers tout le territoire, ce sont les Français qui sont les premiers à prendre la défense des musulmans quand ces derniers sont «emmerdés» par des «extrémistes» de l’extrême droite.
Avec l’annonce, jeudi dernier, de la mort du cerveau présumé des attentats (Abaaoud Abdelhamid) du 13 novembre, la tension est tombée d’un cran dans tout Paris. La ville des lumières retrouve un peu de sa gaité et les Parisiens préparent même les fêtes de Noël, en témoignent les décors festifs mis en place à travers plusieurs places parisiennes.