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Le contre-choc
pétrolier intervenu à partir de 2014 a révélé une fois de plus la vulnérabilité
financière de l'économie nationale qui se trouve confrontée à un déficit
budgétaire croissant.
Le déficit budgétaire est la situation dans laquelle les recettes de l'Etat sont inférieures à ses dépenses au cours d'une année et la différence exprime un solde négatif. Lorsque les recettes sont supérieures aux dépenses, le solde est positif et on parle alors d'excédent budgétaire. Comment financer un déficit budgétaire ? La première possibilité consiste à agir sur les impôts directs ou indirects. Cette mesure est fortement contraignante car comme le soutient l'économiste Laffer «trop d'impôt tue l'impôt». Lorsque la pression fiscale augmente, elle décourage l'investissement et affecte le pouvoir d'achat des consommateurs. La seconde solution réside dans l'accroissement des ressources fiscales déterminé par l'augmentation de la production des biens et services. Cet objectif réalisable sur le moyen et le long terme est souhaitable mais il est conditionné par la création d'un environnement économique qui stimule la croissance économique. La troisième alternative consiste pour l'Etat à s'endetter en émettant des obligations auprès des agents économiques qui possèdent une capacité d'épargne. Cette technique a pour effet de mobiliser les encaisses monétaires qui échappent au système bancaire et constitue un financement non inflationniste puisque la quantité de monnaie en circulation demeure inchangée. Les emprunts obligataires participent à la promotion des marchés des capitaux et quand ils sont affectés aux dépenses d'investissement, ils créent de la richesse. La quatrième possibilité de financement du déficit budgétaire est le financement monétaire. C'est le recours à «la planche à billets» c'est-à-dire l'octroi de concours de la Banque centrale au Trésor public. Ce type de financement appelé également non conventionnel est porteur de graves déséquilibres sur le plan macro-économique si les ressources induites par cette technique sont destinées à financer des dépenses improductives. L'impact sur la croissance sera nul et il en résultera un surendettement de l'Etat, une aggravation du déficit budgétaire, une inflation élevée et une dépréciation du taux de change de la monnaie nationale etc. La cinquième solution consiste à gonfler artificiellement les recettes budgétaires d'origine pétrolière en manipulant le taux de change du dinar vis-à-vis du dollar et ses conséquences sont identiques à celles provoquées par un financement monétaire. Le déficit budgétaire s'est amplifié au cours des 15 dernières années mais il a été masqué par l'utilisation de l'épargne accumulée dans le fonds de régulation des recettes pétrolières dont le montant a dépassé le seuil des 5.000 milliards de dinars en 2012. L'utilisation des revenus pétroliers et gaziers pour financer la dépense publique dans le contexte d'une économie fondée sur une demande de biens largement tributaire des importations constitue une autre variante de la planche à billets et à ce titre il convient d'ouvrir un débat sur la gestion de la rente et de poser des règles relatives à sa diffusion dans l'économie nationale. En misant exclusivement sur l'argent du pétrole et du gaz, les gouvernants ont tué l'impôt, bloqué la promotion d'une intermédiation bancaire active et entravé le développement d'un marché boursier. Ils ont complètement perdu de vue la nécessité de diversifier les sources de financement et pour faire face au tarissement des revenus des hydrocarbures, ils ont déterré une pratique monétaire moyenâgeuse, la planche à billets comme palliatif à la crise financière. L'ancien Premier ministre a justifié ce choix pour rejeter la solution de l'endettement extérieur et aujourd'hui le pays est dans une impasse critique car il ne peut éviter ni la planche à billets, ni l'endettement extérieur. C'est quoi la planche à billets ? Au cours des siècles passés pour satisfaire des besoins de financement grandissants, les seigneurs et les monarques procédaient à des manipulations en augmentant la valeur monétaire ou valeur faciale de l'or par rapport à sa valeur réelle : c'est le seigneuriage monétaire. La démonétisation de l'or a fait émerger la monnaie papier et la monnaie scripturale. Ces innovations vont donner naissance à la planche à billets comme instrument de financement du déficit budgétaire à l'aide de la création monétaire par l'institut d'émission. Il convient de distinguer la fabrication des billets de la création monétaire. L'impression de billets est une opération technique, industrielle destinée à pourvoir aux besoins des agents économiques en argent liquide alors que la création de monnaie résulte de l'octroi de crédits par la Banque centrale au profit de l'Etat via le Trésor. La banque d'Algérie peut imprimer des billets en quantité illimitée mais tant qu'ils ne sont pas mis en circulation en contrepartie d'actifs, ils ne sont pas de la monnaie. Dans les économies contemporaines, le recours à la planche à billets est une pratique qui est soit interdite soit fortement règlementée. En Algérie cette interdiction a prévalu jusqu'à l'amendement de l'ordonnance relative à la monnaie et le crédit en 2017 qui autorise désormais la Banque centrale à financer l'Etat en achetant directement des titres émis par le Trésor pendant 5 ans. Sur les conditions d'emprunt le taux d'intérêt retenu est de 0,5% mais aucune information n'a été communiquée sur la durée de remboursement. Où va l'argent de la planche à billets ? Selon les auteurs de cet amendement, l'objectif est de couvrir les besoins de financement du Trésor, le financement de la dette publique interne et le financement du fonds national d'investissement. Tirant les enseignements de la grande dépression de 1929, l'économiste Keynes a montré que l'effort budgétaire de l'Etat est nécessaire pour relancer l'activité économique et reconnaît que la Banque centrale peut jouer un rôle actif en mettant à la disposition de l'économie ses propres ressources monétaires. Il démontre que l'investissement public crée un cercle vertueux dont l'enchaînement est le suivant : stimulation de la demande - augmentation de la production - augmentation des recettes budgétaires - désendettement. Ainsi lorsque l'Etat dépense, le produit intérieur brut enregistre un accroissement supérieur à cette dépense : c'est le mécanisme du multiplicateur budgétaire. Il est impensable qu'un tel processus puisse aboutir en Algérie à partir du moment où les crédits de la Banque centrale sont destinés à financer un déficit budgétaire fortement impacté par les dépenses de fonctionnement, à rembourser les dettes des entreprises à l'égard des banques et à soutenir la caisse nationale de retraite via le fonds national d'investissement. En d'autres termes, l'Etat emprunte pour rembourser des dettes qui ne créent pas de richesses. Le montant des concours de l'institut d'émission mis à la disposition du Trésor du 30 novembre 2017 au 31 mai 2019 atteint 6.556 milliards de dinars dont 5.945,5 milliards de dinars ont été utilisés fin septembre 2019 et il est certain que le solde sera consommé à la fin de l'année en cours. L'injection de cette importante quantité de monnaie dans une économie plongée dans une profonde récession produit des effets désastreux : baisse des recettes fiscales, inflation, appréciation du taux de change réel, déclin de la compétitivité des entreprises nationales et érosion des réserves de change. La planche à billets oblige la Banque centrale à limiter les crédits à l'économie pour freiner l'expansion monétaire et érige par conséquent un obstacle supplémentaire à l'investissement des entreprises, surtout à un moment où l'Etat baisse les dépenses d'équipement. Si l'endettement du Trésor auprès de la Banque d'Algérie ne crée pas de richesses et n'accroît pas les rentrées fiscales de l'Etat, la dette publique risque de devenir insoutenable. Elle représente 28% du PIB, c'est-à-dire la richesse produite en 2017 et selon le rapport de la Banque mondiale publié en octobre 2019 ce ratio s'élèverait à 66% en 2021. Le remboursement de cette dette sur plusieurs années affectera les générations futures qui vont hériter d'un lourd fardeau et seront privées de ressources pour le développement du pays. Avec un taux de croissance du PIB de 1,4% en 2018, une prévision de 1,3% fin 2019 et une projection de 0,8% en 2024 (source FMI et Banque mondiale), le pays court tout droit vers une crise économique et sociale aiguë. Le gouvernement peut-il se passer de la planche à billets ? Le projet de loi de finances 2020 prévoit un solde du Trésor de l'ordre de -2.010.6 milliards de dinars et pour assurer la couverture de ce besoin de financement il se contente d'énoncer une formule générale selon laquelle il sera fait appel aux «ressources internes ordinaires». Si le prix des hydrocarbures reste stable, la planche à billets sera irrémédiablement relancée en 2020. Comment arrêter la planche à billets ? Pour faire face au déficit budgétaire, la marge de manœuvre est très étroite et la seule alternative qui s'impose est la compression des dépenses. Les tenants du discours officiel expliquent l'accumulation des déficits budgétaires par le poids des salaires, la politique de soutien des prix des produits de première nécessité et autres transferts sociaux et aux pensions de retraites. Ces différents facteurs sont la cause principale d'une dépense publique qui a connu une croissance exponentielle et il découle fatalement de cette thèse que la solution au problème passe par le blocage des salaires, une réforme des retraites et la libéralisation partielle ou totale des prix des produits de base. En ciblant les travailleurs qui sont les créateurs de richesses et les couches sociales les plus défavorisées, cette argumentation manque de rigueur, jette le voile sur l'échec des politiques poursuivies à ce jour et révèle une inaptitude à mener un diagnostic objectif et systématique sur l'économie nationale. Les déficits budgétaires sont responsables d'une dette publique qui s'élève à 5.359 milliards de dinars en 2017 et 61,5% de ce montant représente la dette d'assainissement. Cet indicateur est une notion floue et un fourre-tout qui n'apporte pas un éclairage sur ses multiples déterminants. La dette d'assainissement porte entre autres sur le rachat des dettes des entreprises, des agriculteurs, la recapitalisation des banques publiques, les exonérations fiscales au profit des entreprises, la bonification des taux d'intérêt, le remboursement des dettes arrivées à échéance etc. Il est temps d'aborder ce sujet sans tabou et en toute objectivité car les opérations d'assainissement ont coûté des milliards de dollars et durent depuis près de 40 ans. Quel est l'intérêt de renflouer ce tonneau des Danaïdes en dehors de toute perspective de croissance et qui prive les Algériens de meilleures conditions de vie ? Sur la question des subventions, il y a lieu de faire la distinction entre celles qui protègent le pouvoir d'achat des ménages et celles qui profitent aux oligarchies régnantes. C'est une démarche inique que de chercher à faire supporter le poids de la dette publique à ceux qui contribuent le plus à l'effort de développement du pays. Les partisans de ce discours oublient qu'en 2018 la contribution des salariés au budget de l'Etat sous la forme de l'impôt sur le revenu global (IRG) est de 691,4 milliards de dinars alors que l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) est de 384,2 milliards de dinars (source : ministère des Finances). Paradoxalement pour les premiers c'est le blocage des salaires et pour les seconds, on distribue des cadeaux fiscaux et autres privilèges. Pourquoi ne pas aborder également toutes ces rémunérations distribuées sous forme de prébende aux affidés du pouvoir et dont la seule mission est d'œuvrer pour la stabilité et la reproduction d'un ordre politique décadent. Le recours à la planche à billets, cette règle inventée par des seigneurs au cours des siècles passés, est de nos jours l'expression de la soumission totale de l'autorité monétaire à un pouvoir politique pour financer l'économie de la prédation et perpétuer la domination de féodalités financières dans le seul but de continuer une politique d'accaparement des richesses et la dette d'assainissement est l'un des instruments de cette stratégie. Si la planche à billets est à nouveau sollicitée dans un environnement qui ne change pas, elle se transformera en une machine infernale dévastatrice qui mènera directement à un naufrage économique et social. Son arrêt est une exigence et l'issue à cette crise réside dans l'élaboration d'une stratégie qui installe l'économie sur le sentier d'une croissance réelle et soutenue et garantit un développement inclusif. *Economiste |