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Les élections législatives
fédérales du 21 octobre 2019 sont animées par 5 partis politiques fédéralistes
nationaux: le Parti libéral (PLC) du Premier ministre Justin Trudeau, le Parti
conservateur (PCC) d'Andrew Scheer, le Nouveau Parti
démocratique (NPD) de Jagmeet Singh, le Parti vert
d'Elizabeth May, et un nouveau-né, le Parti populaire du Canada de Maxime
Bernier, d'obédience libertarienne (pas confondre
avec libérale), ainsi qu'un parti indépendantiste fédéral mais implanté
exclusivement au Québec, le Bloc québécois (BQ) d'Yves-François Blanchet.
La vague rouge de 2015, qui avait propulsé Trudeau au pouvoir, semble s'essouffler, en raison de certaines erreurs d'appréciation, de jugements et de décisions (Trans-Mountain pipeline et SNC Lavalin, etc.) qui ont marqué le règne des libéraux. La perspective d'un gouvernement minoritaire (libéral ou conservateur) se renforce de plus en plus avec une probable coalition libérale/néo-démocrate. Les conservateurs sont condamnés à gagner majoritairement pour gouverner, car les autres partis (NPD ou le Parti vert) écartent toute possibilité d'alliance avec un parti qui prône l'austérité, les coupures dans les dépenses publiques et son peu d'enthousiasme pour les défis environnementaux, Les élections se suivent et se ressemblent, notamment à propos des enjeux de société. Une fois de plus, un enjeu provincial, purement québécois, focalise le débat des partis dans cette province, celui de la loi 21 sur la laïcité de l'Etat adoptée le 16 juin 2019. Le gouvernement provincial québécois de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault, auteur de cette loi, avait concrétisé une promesse électorale sur le port des signes religieux qui fut un déterminant de poids pour élire le parti de cet ancien ministre souverainiste qui a renié le séparatisme pour se convertir au nationalisme face au Canada anglais. Si les accointances de ce parti avec les idéaux de la droite populiste lui ont attiré les appuis et les félicitations de Marine Le Pen à propos de sa politique de réduction de l'immigration, elles ont, en revanche, suscité la méfiance des communautés culturelles et ethniques du Québec. Cette méfiance se trouva matérialisée par les dispositions répressives de la Loi sur la laïcité. Son article 6 interdit le port d'un signe religieux dans l'exercice de leurs fonctions à plusieurs catégories d'employés de l'Etat: policiers, gardiens de prison, procureurs de la Couronne, enseignants et directeurs d'école des niveaux primaire et secondaire du secteur public. Par contre, les employés en fonction actuellement seront exemptés, en raison du principe du droit acquis («Grandfather clause», traduit au Québec par «Clause grand-père»). La contestation de cette loi fut immédiate et deux recours judiciaires ont été introduits devant la Cour supérieure au niveau provincial. Le premier recours, visant à suspendre cette loi, a été déposé par une étudiante en éducation, avec le soutien du Conseil national des musulmans canadiens et de l'Association canadienne des libertés civiles. Le deuxième par trois enseignantes (une catholique et deux musulmanes), appuyées par la Coalition Inclusion Québec, organisation communautaire à l'avant-garde de lutte contre cette loi sur la laïcité. Les arguments des avocats de ces recours sont principalement, l'imprécision de la définition du mot signes religieux et le non-respect des principes de la liberté du culte et de l'égalité des sexes garantis par les deux chartes, québécoise et canadienne, des droits et libertés. La Charte québécoise des droits et libertés de la personne, dans son article 10, reconnaît que «toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le genre (...), l'orientation sexuelle, l'âge, la religion (...), la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, ou le handicap». La Charte canadienne des droits et libertés est un texte constitutionnel fondamental qui assure et protège les droits des citoyens canadiens contre les actions et les politiques du gouvernement fédéral et provinciaux et défend les valeurs de démocratie et de liberté. Aux yeux des Canadiens, la Charte est une protection contre les abus, une référence fondamentale pour les droits et une fierté nationale pour un Canada diversifié. L'appareil judiciaire veille au respect des dispositions de la Charte et invalide tout texte ou acte qui va à l'encontre de la lettre et de l'esprit de cette Charte. La Cour suprême est le dernier recours et rempart en la matière et la garante indéniable du respect des dispositions de cette Charte. Loi sur laïcité, enjeu au Québec Cette loi 21, qui est une loi provinciale applicable uniquement au Québec, est devenue un enjeu de la campagne électorale fédérale. Un enjeu provincial qui accapare le débat au Québec, éclipsant les autres enjeux économiques, environnementaux, de santé et des autochtones. Malgré la demande explicite et insistante du Premier ministre du Québec, adressée au début de campagne électorale aux chefs des partis fédéraux, de ne pas contester sa loi sur la laïcité; ces chefs étaient amenés à préciser leur position concernant cette loi et notamment s'ils allaient intervenir pour soutenir et accompagner l'action des contestateurs de cette loi devant la Cour suprême. C'est le talon d'Achille de tous les partis fédéralistes en course, à l'exception du Bloc Québécois, un parti séparatiste, qui appuie ouvertement et fortement cette loi. Les autres partis sont pris dans un dilemme: soutenir la contestation avec le risque de perte de voix au Québec, ou s'abstenir en s'exposant de s'aligner les communautés ethniques du Québec qui se sentiraient abandonnées, et par conséquent ils risqueraient de se discréditer auprès de cette clientèle et cette masse électorale globalement fédéraliste. Le plus vulnérable sur ce point est le Parti libéral et son chef Trudeau qui se positionne depuis toujours comme le champion du multiculturalisme canadien et le défenseur acharné de la diversité. Il était le premier à s'engager à intervenir pour contrer judiciairement cette loi québécoise sur la laïcité comme le promet également le NPD. D'ailleurs, son jeune et charismatique chef Jagmeet Singh, portant lui-même un signe religieux ostentatoire (un turban sikh), aurait pu être touché par l'interdiction d'accéder aux postes d'autorité s'il avait été un résident du Québec. Par contre, la position du Parti conservateur de la même famille idéologique que la CAQ, le parti au pouvoir au Québec, est plus nuancée: tout en se déclarant contre la législation québécoise, il s'est engagé, en revanche, à ne pas la contester pour des raisons électoralistes. Le poids du vote du Québec est vital pour s'assurer un éventuel gouvernement conservateur majoritaire. Peu importe les tergiversations des partis, la contestation de la loi sur la laïcité atterrira tôt ou tard à la Cour suprême qui jugera de sa constitutionnalité. L'apport d'un gouvernement fédéral serait un atout indéniable et un appui considérable pour les organismes contestateurs car il mettrait surtout au service de la cause ses avocats et ses moyens financiers. Laïcité française vs anglo-saxonne A la différence du Québec, le Rest of Canada (ROC), partie anglophone, ne dispose pas d'une telle loi et aucune restriction n'est tolérée concernant les signes religieux externes. Cette divergence entre les deux parties du pays, à propos du sens de la notion de laïcité, est la traduction de deux conceptions différentes: la laïcité française, à laquelle se réfère le gouvernement québécois, adopte une approche radicale, pour des raisons historiques liées à la Révolution de 1789, prônant une séparation totale de l'Etat avec l'Eglise. Par contre, la conception anglo-saxonne de l'Etat séculier «Secular State» fait de lui un arbitre neutre entre les différentes religions, mais cette neutralité s'applique qu'aux institutions étatiques et non pas à ses représentants ou employés. Ainsi, la laïcité se manifeste dans les actes et les politiques de l'Etat et non pas dans les accoutrements de ses représentants. C'est pourquoi, par exemple, la Gendarmerie royale canadienne ou les polices provinciales et municipalités anglophones ont intégré le turban sikh, la croix et le hijab musulman dans la tenue officielle de leurs agents. Ce qui est complément interdit par la législation (en cours de contestation) au Québec, conformément à la conception française de la laïcité. Cette conception est incompréhensible et «aberrante» pour les anglophones qui ne se retiennent pas pour qualifier cette loi québécoise de «raciste» et de »haineuse envers les minorités». Cette virulence dans les réactions est partagée par la classe politique anglophone: «un jour triste pour le Canada quand le racisme devient loi», s'indignait l'ancienne Première ministre néo-démocrate de l'Alberta; son successeur de droite marquait également son opposition à cette loi et le Premier ministre du Manitoba l'avait qualifiée de «dangereuse qui menace les libertés des Canadiens». L'histoire se répète Les signes religieux, notamment musulmans, prennent toujours involontairement le dessus des enjeux électoraux, principalement dans la province du Québec, importe peu que le scrutin soit provincial ou fédéral. Et ce débat de 2019 n'est pas inédit. En 2015, le niqab avait fait une irruption remarquée dans la campagne électorale canadienne, à la suite de la décision de la Cour d'appel du Canada, qui avait accordé à une femme de religion musulmane le droit de porter un niqab, sans se dévoiler le visage, lors d'une cérémonie d'assermentation pour acquérir la citoyenneté canadienne. Cette décision qui débouta, à l'époque, le gouvernement de droite sortant de Stephen Harper arriva en pleine campagne électorale fédérale et s'imposa comme un enjeu capital, notamment au Québec. Le chef conservateur l'exploita à l'usure pour mettre en difficulté les partis d'opposition qui soutenaient cette décision judiciaire comme le Parti libéral et notamment le Parti néo-démocrate qui était en position idéale pour prendre le pouvoir. Il sera le grand loser des élections en perdant 59 sièges de député sur les 103 qu'il détenait, permettant au parti de J. Trudeau de se faufiler de la 3e place à l'accès au pouvoir. En 2019, la loi sur la laïcité et son corollaire le port du hidjab dans le monde de l'éducation et la contestation judiciaire qui en découle, accaparent de nouveau l'espace politique et médiatique durant une élection. L'histoire semble se répéter. Et à chaque fois, le contexte fait provoquer un déferlement de propos enfiellés et islamophobes soutenus par des préjugés d'un autre âge. Cette campagne électorale a permis de mettre à nu le passé haineux d'au moins quatre candidats du Bloc québécois. Leurs propos agressifs dépeignaient les musulmans comme des «consanguins», des «malades mentaux», des «violents» et des «violeurs». Même le fantasme complotiste du grand remplacement, cher à Zemmour, est évoqué dans un style grotesque et sans intelligence, et qui fera renvoyer dans un «futur proche» les femmes québécoises à leurs fourneaux. L'admiration pour l'extrême droite raciste est partagée par deux candidates: l'une, pour la Meute, un groupuscule québécois d'extrême droite obsessionnellement anti-islam et l'autre, pour Marine Le Pen et ses positions anti-immigration et islamophobes. Signes religieux et constitutionnalité La loi sur la laïcité trouvera son dénouement dans les prochains mois. Plusieurs juristes et constitutionnalistes émettent des réserves sérieuses sur la constitutionnalité de cette loi qui risquerait de ne pas passer l'épreuve des tribunaux et notamment celle de la Cour suprême. Le gouvernement québécois a pris les devants pour se prémunir contre son éventuelle invalidation pour non-respect des dispositions de la Charte et cela en s'abritant derrière la clause de dérogation (appelée Clause nonobstant). En effet, la Charte canadienne des droits et liberté prévoit elle-même dans son article 33 la possibilité aux parlements fédéral et provinciaux de se soustraire provisoirement pendant cinq ans à certaines dispositions de la Charte. Cet article est rarement utilisé, car le coût politique risque d'être élevé pour le gouvernement qui s'en prévaut. De plus, en fixant la durée à cinq ans, le législateur a pris en considération la durée maximale du mandat de la Chambre des communes et des Assemblées législatives. De ce fait, le renouvellement de la clause dérogatoire se fera nécessairement après des élections. Ce qui donne, au nouveau gouvernement élu ou bien au gouvernement reconduit, l'opportunité d'évaluer la pertinence de reconduire cette clause dérogatoire ou de s'abstenir. Les opposants à cette loi sont en train de peaufiner leur stratégie pour contourner cette clause dérogatoire et d'innover en matière d'arguments constitutionnels et juridiques afin d'invalider cette loi en se basant sur l'empiètement sur un champ de compétence fédéral, sa non-conformité avec les accords internationaux, la jurisprudence, la discrimination envers les femmes et l'utilisation abusive de cette clause. * Enarque, politologue Ottawa, Canada |