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Paradoxalement, le thème de la
qualité est assez nouveau en Algérie, du moins comme axe de la modernisation de
l'Etat. Pourtant les pratiques abondent : de nombreux services publics de
terrain mettent en œuvre des procédures qualité, se font certifier et développent
des normes, sans que pour autant une politique générale ne se dégage ; dans le
même temps, d'autres pays se sont engagés très ouvertement dans des politiques
de qualité.
Or élaborer le sens est complexe, car il répond à des questions telles que : à quoi servons-nous ? Où apportons-nous un plus ? Quels choix devons-nous faire ? Ce n'est qu'à partir d'une vision stratégique, associée à une connaissance précise du travail concret des services publics, que des démarches managériales peuvent être enclenchées et être crédibles. Car si le sens n'est pas partagé par tous les agents, les incitations à la mise en œuvre des outils de modernisation seront faibles. S'il n'est pas dit clairement que c'est au fonctionnaire d'aider l'usager à résoudre son problème, et non à l'usager de se justifier et de produire de multiples documents, la qualité demeurera un vain mot. Le sens est constitutif. Certes, il ne faut pas en dire trop (certaines chartes des citoyens, à l'étranger, ont par trop critiqué les fonctionnaires, ce qui n'est pas une bonne incitation au changement) ; en revanche ne rien dire n'est pas non plus efficace. Or la situation de l'administration algérienne ne lui permet pas de développer des approches stratégiques. C'est-à-dire le fait d'avoir des services avec de vrais patrons dotés d'objectifs et ayant des leviers pour les mettre en œuvre - n'y est pas. Les « patrons » de l'administration sont chapeautés par des cabinets qui doublonnent leur travail. Les objectifs changent et à coup sûr à chaque changement de ministre. Les leviers, hormis la capacité d'économiser sur les frais de personnel, sont inexistants si on compare la situation à celle d'autres pays ; or quel manager voudra être tenu pour responsable de résultats quand il n'a pas les moyens de la mise en œuvre ? Les moyens étant ici entendus non au sens de ressources supplémentaires, mais de capacité d'action. Absorbée par les commandes, les urgences non hiérarchisées, l'inflation des lois et décrets, la croissance exponentielle du reporting, l'administration n'a plus guère le temps de gérer, d'innover et de faire. La qualité sera alors le privilège de ceux à qui il reste un peu de liberté d'action. Enfin, bien que cela relève généralement du non-dit, qualité rime dans les esprits avec coûts supplémentaires. Il se peut que ce soit vrai dans un premier temps : mettre en place des centres d'appels, par exemple, n'est pas neutre budgétairement, pas plus que faire connaître leurs droits aux usagers. Mais à terme ces coûts, et les études étrangères le montrent bien, se retournent toujours en économies, car les principaux gâchis d'argent viennent de processus mal organisés. C'est dans ces détails dont personne ne se préoccupe (Comment la communication est-elle organisée ? Combien y a-t-il de niveaux de contrôle ?) Que gisent les principales ressources de productivité. Plus fondamentalement, la qualité est un processus difficile à mettre en œuvre car elle rompt avec une tradition d'évitement tant au sein du service public qu'avec les usagers. Mettre les processus à plat, c'est se parler entre collègues, et entre collègues et agents. Dialoguer avec les usagers, c'est avoir le courage de leur expliquer que tout n'est pas possible, et que dans le cadre d'un budget donné des choix doivent être faits. C'est entrer directement dans les conflits et jeux d'intérêts, et apprendre à savoir les manier. Quelles que soient ces difficultés, une idée demeure : la qualité est consubstantielle au service public. La modernisation n'a pas de sens sans elle. Prenons la comptabilité : il est dit aujourd'hui que chacun doit connaître ses coûts ; mais de quels coûts parle-t-on, si l'on n'a pas défini le niveau et les critères des services que l'on rend ? L'important n'est-il pas de tenter de définir les prestations effectivement rendues aux citoyens ? Il n'y a donc pas d'effort de performance sans démarche qualité. Par ailleurs nombre de services rendus par les administrations sont impalpables, sur mesure, peu standardisables : qu'est-ce que la qualité d'un structure publique ? Dans ces cas-là, définir la qualité revient à préciser des processus de travail qui seront l'indication d'un bon ou d'un mauvais résultat. Les procédures qualité sont souvent un excellent moyen de s'approcher de l'évaluation des résultats. Il demeure toutefois deux questions qui doivent faire l'objet d'un choix clair. La question de la transparence : l'écoute des usagers met les choix publics en pleine lumière, et par là même les limites de l'action de l'administration, et les efforts que les usagers peuvent avoir à faire. C'est en cela que la qualité est le prélude à l'évaluation, car en se rapprochant du réel, elle met en évidence ses ombres et ses lumières. Et elle touche à des questions fondamentalement politiques : qu'est-ce que le service public peut faire ou doit faire et ne peut pas faire ? Quelle doit être la contribution des citoyens ? Deuxième question : peut-on continuer à fixer des objectifs sans savoir ce qui fonctionne ou non et pour qui ? La qualité fixe les normes a priori, l'évaluation permet d'en vérifier la pertinence. Or il n'est plus question d'évaluation dans les politiques officielles de modernisation. Management, qualité, coproduction avec les usagers, stratégies, choix, telles sont les nouvelles approches que le service public doit s'approprier et de s'y engager. L'approche par la « qualité de service » montre que la connaissance des attentes des usagers ne va pas de soi ; b) suppose un travail de pédagogie, à destination des citoyens, sur ce qui est possible et ce qui ne l'est pas ; c) permet de faire évoluer les services publics sans critiquer les personnels. Aussi, la qualité de service permet aux services publics de mieux appréhender la diversité de leurs usagers, de leurs attentes et de leurs contraintes. Il y a bien entendu des limites. En matière de service public, le client ne peut pas être roi et ce n'est pas à lui seul de définir les services rendus. D'abord parce que les usagers sont multiples et que leurs intérêts divergent souvent. Mais aussi parce que la recherche d'un intérêt général suppose de prendre en compte la soutenabilité financière, sociale ou environnementale des politiques publiques, au-delà des demandes immédiates des citoyens. Pour autant, il est possible et souhaitable de permettre aux usagers de participer à la prise de décision. A partir du moment où la nature du service a été définie par le gouvernement et le service public, son niveau peut être présenté, sous forme de plusieurs choix dans une sorte de « menu proposé », à la consultation des citoyens. Savoir s'il faut à quelle heure doivent passer les éboueurs et ce avec les élus ou avec les usagers. Ensuite, il faut instaurer un cadre de discussion qui amène les citoyens non plus simplement à réclamer un niveau maximal de service dans tous les domaines mais à raisonner en termes d'arbitrages. Cela suppose une prise de conscience du fait que les ressources publiques sont limitées, que l'intérêt public va au-delà de la satisfaction des besoins personnels et que la solidarité entre groupes sociaux est nécessaire. Les élus locaux doivent suivre cette voie, en présentant à des assemblées de citoyens un budget disponible et en leur demandant de trouver un accord pour faire un choix entre plusieurs solutions dans le cadre de démocratie participative. Enfin, une plus grande transparence de l'information de la part des responsables est essentielle. Promettre n'importe quoi équivaut ainsi à reconnaître les limites d'une politique publique qui ne sera pas suffisante pour réaliser une opération. Cette dimension de la qualité suppose donc un certain niveau de maturité démocratique, la conscience et la prise en compte de ce que le service public peut et ne peut pas faire, et à quel horizon temporel. Faute de quoi les usagers réclameront des objectifs de qualité à court terme. Pour les atteindre, les services auront alors tendance à proposer des objectifs peu ambitieux, en négligeant les problèmes les plus graves. D'autre part, des réformes propres à assurer la bonne mise en œuvre de la politique qualité doivent être adoptées : une plus grande liberté accordée aux responsables des services déconcentrés, de façon à permettre l'adaptation des stratégies de mise en œuvre aux circonstances locales ; les mécanismes indépendants d'audit et d'inspection ont doivent être renforcés ; enfin, les administrations doivent être encouragées à être plus transparentes sur leurs performances. Cette clarification des niveaux de responsabilité et la réduction du nombre d'objectifs par programme permettront de concentrer l'effort de qualité sur les priorités définies par le gouvernement. Par ailleurs, les indicateurs de qualité seront définis après une procédure de consultation élargie, ce qui a permettra une meilleure appropriation des objectifs par les personnels. Les objectifs de qualité doivent être hiérarchisés. Il est ainsi nécessaire de différencier des objectifs stratégiques, qui visent principalement l'efficacité du service, et des objectifs de « mise en tension » qui s'intéressent à la relation de service avec les usagers. |