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Il
quitte le Caire en janvier 1954 pour l'Algérie, dans une 4CV conduite par un
Américain faisant un rallye d'endurance. Selon les sources de l'enquête, il
transportait des messages du Caire à des militants en Algérie. Qui est cet
Américain ? Cela reste une énigme. Cependant, le fait est avéré par deux photos
existantes prises le 30 janvier 1954 en Tripolitaine (Benghazi), l'une montrant
Kacem aux côtés de l'Américain et un troisième personnage, et une deuxième,
Kacem seul auprès de la 4CV dont le matricule est bien visible.
Il arrive à Oran à la mi-mars 1954. Jusqu'en octobre 1954, il visitera de nombreuses villes en Algérie. Selon le témoignage d'un vieux militant d'Oran, Mouloud Hassaine, vers fin octobre 1954 ont déjeuné chez lui Larbi Benmhidi et Kacem. Kacem est interpelé une première fois par la DST le 3 novembre. Relâché, il est interpelé une deuxième fois le 5 novembre et interrogé jusqu'au soir, puis libéré. Le 6 novembre, il est arrêté le matin. L'ordre de le faire arrêter par la DST serait venu de Paris. C'était la dernière fois que sa famille le voyait. Le 7 et 8 novembre, une cousine de Kacem, madame Fatma Zeddour Mohammed-Brahim, ayant des connaissances parmi les élus d'Oran, notamment ceux du PCA, entame des recherches, accompagnée par un avocat d'Oran, Maître Hazan, concluant à son absence de tout lieu de détention à Oran. (Témoignage recueilli par moi-même auprès de la dame). Le 9 novembre, son père et son frère Si Mohammed se rendant aux bureaux de la DST, sis à Sidi El Houari, apprendront qu'il a été transféré à Alger. Ils s'y rendront le 13 novembre. Au gouvernement général d'Alger, ils seront orientés vers les locaux de la DST à «Climat de France» (Bouzarea). Là, après une longue attente, ils sont reçus par un inspecteur qui leur annonce que Kacem s'était évadé la veille. Rentrés à Oran, ils déposent plainte pour «séquestration», sans aucune suite. Le 30 novembre, soit 17 jours après la prétendue évasion de Kacem, «l'Echo d'Alger», sous le titre «Découverte d'un cadavre à l'oued Hamiz», relate : «Le corps, entièrement en décomposition, se trouvait dans un sac de jute de fabrication française, ligoté avec une ficelle de pécheur. Il s'agit d'un Européen. Le Docteur Godart conclut à une mort par immersion? La brigade mobile, sur ordre du commissaire Tomi, s'est rendue sur place? Le corps a été enterré dans une fosse commune du cimetière européen de «Fort de l'eau». Le 13 juin 1955, «L'écho d'Alger» porte en gros titre à sa Une «Parcourant l'Algérie, la Métropole et l'Egypte, Zeddour Mohammed, étudiant, servait d'agent de liaison entre les chefs nationalistes d'Algérie. Le tribunal correctionnel d'Alger le condamne par défaut». Le journal développe «A la suite des attentats terroristes du 1er novembre dernier, l'enquête ouverte dans le cadre de la sûreté extérieure de l'Etat, menée par les services, la DST d'Oran appréhenda le 6 novembre 1954 l'étudiant Zeddour Mohammed-Braahim Kacem (31 ans) né à Oran, licencié en lettres arabes? voyage en Europe, remet des plis cachetés à Paris, puis se rend à Niort afin de rencontrer Messali? Au cours de la même année (1953), après un bref séjour en Algérie, retourne au Caire où il prenait contact avec Benbella? Le 12 Novembre, il s'est échappé des locaux de la police d'Alger. Il est condamné par défaut à 5 ans de prison et 150.000 Fr d'amende.». Pendant toute l'année 1955, pour accréditer la thèse de l'évasion, des rumeurs arrivent aux oreilles de la famille : Il a été vu au Maroc, au Caire, au maquis... Le 7 novembre 1955, dans la soirée, un jeune Algérien, à l'allure de policier, se présente au domicile familial et informe son frère Si Mohammed que Kacem ne s'était pas évadé, mais tué et son corps jeté à la mer. Il lui donnera rendez-vous pour le lendemain au café du «cercle militaire», au centre-ville. Si Mohammed se présente au rendez-vous et rencontre la personne de la veille, accompagnée de deux policiers européens. Ils lui relatent toute l'affaire de la disparition et lui recommandent de prendre attache avec l'avocat algérois, Maître Pierre Popie (assassiné le 25 janvier 1961 par l'OAS), mais d'abord avant, avec le commissaire Charles Seccaldi-Reynaud. Ce dernier reçoit Si Mohammed chez lui, à la Scala d'El Biar. ** Ceccaldi rapporte dans son livre «La guerre d'Algérie perdue» un témoignage accablant contre le commissaire Lonchamps de la DST et le patron de celui-ci, Pontal. C'est Loffredo, inspécteur de la DST, qui rapporte la scène directement à Seccaldi. «Voici ce que m'a déclaré Loffredo : «J'ai interrogé Kacem courtoisement. Il n'a pas parlé. Il n'y avait pas contre lui d'indices corroborant de l'accomplissement d'un acte criminel. Il n'y avait qu'un délit d'opinion. C'était un nationaliste actif. J'ai proposé à Pontal de le prendre en filature et qu'il soit en étroite surveillance. Il était un militant nationaliste important? Pontal refuse et le livre au commissaire Lonchamps en lui ordonnant de le faire parler? Lonchamps m'appelle pour réanimer Zeddour, lequel ne respire plus? Nous avons un cadavre dans les locaux de la DST. C'est encombrant. Pontal a décidé que le cadavre doit être jeté à la mer, c'est ce qui a été fait?» Loffredo me donne une photographie du cadavre rejeté par la mer. Je montre la photographie du cadavre au frère de Kacem, il affirme aussitôt : «C'est Kacem !»». En complément de ce témoignage, un autre rapporté par Sadek Sellam dans la préface du livre de Ceccaldi : «Loffredo, inspecteur de police à Alger, informe (pour des raisons qui lui sont propres) Vaujour du meurtre de Kacem. Il avait décidé que l'affaire ne serait pas ébruitée pour raison d'Etat». (Une bande sonore de cet entretien existerait). C'est Ceccaldi, selon son témoignage, qui inspire l'article paru dans «L'express» (cité plus haut). Ainsi nait l'affaire Zeddour qui aura un important retentissement en Algérie, en France et ailleurs, notamment au Moyen-Orient. L'une des conséquences est la démission de Germaine Tillon du Cabinet Soustelle. Représentée par Maitre Popie, la famille dépose deux plaintes, «identification du cadavre» et «contre X». Des dizaines de courriers sont adressés aux élus, aux ministres concernés et au Président du Conseil. Le 26 novembre 1955 (Réf 668/55), Jacques Soustelle répond «qu'il a prescrit le 23 novembre au procureur d'Alger l'ouverture d'une information judiciaire relative, en premier lieu, à l'identification du corps découvert à Fort de l'eau le 30 novembre 1954. Le 15 décembre 1955, le ministre de l'Intérieur, Maurice Bourges Maunoury adresse un courrier (Ref SN/CP) à Pierre Mendes-France l'informant avoir «tout spécialement signalé cette affaire à l'inspection générale de l'Administration. Bordon s'est aussitôt rendu à Alger pour procéder à une enquête.». Le 8 mai 1956, Charles Hernu, député de la Seine, exhibe la copie d'une lettre adressée à François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur, sur «l'affaire Zeddour». Réponse lapidaire de ce dernier : «Chaque Algérien est un fellaga en puissance». Interpelé une deuxième fois, Mitterrand, cette fois-ci ministre de la Justice, répond qu'un non-lieu à été prononcé. L'on rappelle pour mémoire que le Professeur Massignon, orientaliste au Collège de France, mettait en garde Mitterrand dès novembre 1954 contre la torture. Il répondra «Monsieur le Professeur, dans le passage de la pensée à l'action, il y a de l'impur.» (1). Le Professeur Massignon est délégué à la fin novembre 1955 par Guy Mollet, auprès du père de Kacem, qui le rencontrera au domicile, à Oran, de l'avocat Maitre Thiers, pour le convaincre, en vain, de retirer la plainte. Enfin, il est utile de citer un document qui confirme l'ensemble des témoignages. C'est un «blanc» (2) dans les archives du Président du Conseil, Edgar Faure. Ce «blanc» s'intitule «Affaire Oued Amiz». *** «Un jeune étudiant musulman a été arrêté par les services de la DST à Alger en novembre 1954? Une partie des services de la DST a exercé des sévices sur sa personne jusqu'à ce que mort s'ensuive. «Le commissaire L?. s'est rendu chez le directeur de la sûreté monsieur Vaujour pour lui demander s'il ne voyait pas d'inconvénient à ce que le scénario suivant soit monté : Le cadavre de l'étudiant a été enroulé de treillis de fer? jeté à la mer à l'embouchure de l'oued Hamiz? Les services de police déclarent que le cadavre de l'étudiant était celui d'un Européen et non d'un musulman, le cadavre d'un matelot nordique péri en mer?. Aujourd'hui, la famille a porté plainte. J'estime que des sanctions doivent être prises contre les fonctionnaires de ces services et en particulier contre le commissaire L?». (3) Fin 1956, «l'affaire Zeddour» est classée. Aucune preuve n'a été apportée par la Justice pour prouver qu'il s'agit bien du cadavre de Kacem et ce, du fait de l'impossibilité de pouvoir matériellement comparer les empreintes digitales du cadavre à celles de Kacem. Les fiches anthropométriques des dossiers de son passeport et de sa carte d'identité avaient disparu de la préfecture d'Oran. Il en est de même de sa fiche d'écrou de 1945, elle aussi disparue de la prison militaire d'Oran. A cet effet, un mémoire est rédigé par Maitre Bessener, avoué, assisté par maitre Delville du barreau d'Oran et Maitre Popie. «Au cour de l'instruction menée par le doyen des juges d'instruction d'Alger, un fait troublant est révélé : La disparition des différentes fiches anthropométriques des empreintes digitales.». La seule preuve restante est la reconnaissance spontanée, par Si Mohammed, de son frère Kacem sur la photographie du cadavre présentée par Ceccaldi. Si Mohammed ira au cimetière européen de Fort de l'eau. Le gardien lui indiquera la fosse commune tout en avouant avec certitude que le cadavre était celui d'un musulman, car circoncis. Non-lieu, affaire classée, ainsi, Si Kacem passera aux oubliettes. Il sera évoqué par l'appel de l'UGEMA le 19 mai 1956 : «Etudiants Algériens ! Après l'assassinat de notre frère Zeddour par la police française? Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres». Ou encore par Djamila Bouhired, lors de sa condamnation à mort le 17 juillet 1957 : «Vous me condamnez à mort comme vous avez tué mes frères Benmhidi, Boumendjel et Zeddour?». Après l'indépendance, son cas n'est jamais évoqué bien qu'à Oran, la place Karghenta, la maison de la culture, une cité universitaire et l'école des transmissions de l'ANP portent son nom. Si l'on connaît les conditions de sa mort, les auteurs de son assassinat et de la dissimulation de son corps, avec précision, l'on ne sait toujours pas comment les services de la DST sont arrivés jusqu'à lui ? L'engagement du Président Macron à l'ouverture des archives, et à leur accès par les familles, ouvre des perspectives nouvelles pour la réponse à la question que les Zeddour Mohammed-Brahim ne cessent de se poser depuis 64 ans après les faits. La réponse à cette question peut se trouver notamment dans les archives du bureau des services secrets français au Caire, pour la période de 1950 à 1954 et celles de l'ambassade de France ou encore dans les archives personnelles de monsieur Maurice Couve-Murville ambassadeur de France au Caire au moment des faits. ** Charles Ceccaldi-Raynaud est un jeune commissaire de police témoin de torture, d'exactions et d'assassinat, n'y adhère pas et les dénonce. Il ordonne la libération de 400 prisonniers du centre de Beni Messous où il tient tête à Aussares et Trinquier. En 1958, il échappe in-extremis à une arrestation de parachutiste et ainsi, à une mort certaine. (Voir son livre mémoire intitulé «La guerre perdue d'Algérie ? Ed Alf borne 2015). (1) L. Massignon : Opère Minora ?Dar El Maaref. Beyrouth 1963 (Cité par Sadek Sellam dans la préface du livre de Ceccaldi). (2) «Un blanc» Ainsi désigne-t-on dans l'administration une lettre non datée et non signée en raison de sa confidentialité. Dans ses information, si un tel document parvient jusqu'au Président du Conseil, c'est que ses assertions ont été verifiées ou que la personnalité de son auteur est une garantie de véracité. (3) Georgette Elgey «La république des illusions ou la vie secrète de la IVe république (Ed Fayard). |