|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Dr
Herman Deparice-Okomba a assisté à la première
réunion du groupe de travail' Afrique de l'Ouest' du Forum Mondial de Lutte
contre le Terrorisme(GCTF) qui a pris fin, hier, à Alger. Il est le directeur
général du CPRMV, depuis 2015 (année de la création du Centre par la ville de
Montréal). Le CPRMV est, nous dit-il, «le premier organisme indépendant, à but
non lucratif, ayant comme objectif la prévention des phénomènes de
radicalisation, menant à la violence, ainsi que l'accompagnement des personnes
touchées par cette réalité.» Dans cette interview, il en précise entre autres,
les dimensions et fait savoir qu'il est possible de prévenir la radicalisation,
en observant « le Baromètre des comportements», un instrument créé par le
Centre.
Le Quotidien d'Oran: La création, en 2015, du Centre que vous dirigez est une première au Canada. Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour prévenir d'un fléau qui pourtant, gangrène le monde entier, depuis de longues années ? Herman Depatrice-Okomba: Le Canada a, bien évidemment, été touché par le terrorisme et l'extrémisme violent avant 2015. Avant le 11 septembre, le Canada avait le triste record du nombre le plus élevé de morts dans un attentat terroriste (l'attentat d'extrémistes sikhs contre le vol Air India en 1985). Le Canada a, par ailleurs, connu des attaques terroristes en 2014 à St-Jean-Sur-Richelieu et Ottawa. En réalité, le Canada a développé, après le 11 septembre 2001, plusieurs stratégies et moyens de lutte contre le terrorisme que ce soit par l'intermédiaire de la loi ou de nouveaux moyens d'action, au sein des services de police et de renseignements. Ce qu'il manquait toutefois, c'était une approche préventive. Jusqu'à très récemment, l'ensemble des États (notamment les États occidentaux) étaient dans un mode «réactif» face aux phénomènes de radicalisation menant à la violence. On ne visait qu'à faire de l'antiterrorisme pur et simple sans se préoccuper de prévenir le phénomène en amont. C'est cela que le CPRMV apporte de nouveau. Nous avons choisi d'aborder la problématique de la radicalisation menant à la violence dans une perspective préventive pour s'assurer de lutter contre le phénomène non plus seulement avec les outils traditionnels que sont la police et les services de renseignement, mais également avec les outils inédits que sont l'éducation et la prévention. C'est pour cela que le CPRMV est une organisation inédite, non seulement pour le Canada, mais à l'échelle de l'Amérique du Nord. Q.O.: Les longues années durant lesquelles l'Algérie a vécu sous les affres du terrorisme ne vous ont-elles pas permis d'apporter les éclairages nécessaires pour faire vite en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation ? H.D.O: L'Algérie a su panser ses plaies et se projeter vers l'avenir en tentant de développer des stratégies de prévention et de lutte contre la radicalisation afin de ne jamais revenir aux excès de la décennie noire. À cet égard, l'Algérie a su mettre de l'avant et tester des solutions innovantes qui peuvent être d'intérêt pour le Canada. C'est, notamment, le cas sur la mobilisation des leaders religieux (en particulier les imams) dans la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme violent. Dans ce domaine, l'Algérie a mis en place plusieurs programmes (notamment en ce qui a trait à la formation des imams) qui sont, sans doute d'intérêt pour un contexte comme celui du Canada Q.O.: Vous avez examiné, pendant plus de dix ans, les dossiers sociaux pour le compte de la police. Avez-vous alors procédé à un classement des facteurs prédisposant au radicalisme et au terrorisme violent ? Pourriez-vous nous en donner les plus importants ? H.D.O: En matière de radicalisation menant à la violence, on peut dire que tout parcours de radicalisation a pour terreau des vulnérabilités. Ces vulnérabilités sont des facteurs prédisposant à la radicalisation, bien qu'ils ne le soient pas systématiquement. Ces vulnérabilités sont multiples et varient d'un parcours de radicalisation à l'autre, mais l'on peut notamment, mentionner : la précarité sociale (chômage, absence de perspective professionnelle ou scolaire?), l'isolement social (peu de liens familiaux ou amicaux), le malaise identitaire (le fait de chercher une identité ou de ne pas être en mesure de bien vivre son identité religieuse, ethnique ou politique), la rigidité cognitive (l'impossibilité de voir les nuances et surtout la tendance à voir le monde en noir et blanc) ou encore le sentiment de stigmatisation (la perception d'être stigmatisé pour ce que l'on est). Tous ces facteurs sont des vulnérabilités qui vont, à la fois, permettre à la radicalisation de s'installer, mais également aux agents de radicalisation de manipuler les individus les plus vulnérables. En bref, c'est souvent une combinaison de ces facteurs qui conduit à la radicalisation des individus et non un seul facteur en lui-même. Q.O.: Comment et à quoi reconnaissez-vous un individu en voie d'être radicalisé ? Quelles mesures entreprend le centre pour aider ceux qui le sont ? H.D.O: Il n'y a pas de profil type d'individu radicalisé. Dès lors, il faut observer les comportements de rupture. Un individu qui se radicalise, c'est un individu en rupture avec ses proches, son environnement et plus largement la société. Il faut, donc, tenter de percevoir ces comportements de rupture dans les croyances et dans le discours d'un individu pour mieux saisir si ce dernier est en train de se radicaliser. Pour cela, le CPRMV a créé un outil «Le baromètre des comportements» qui permet d'identifier un certain nombre de comportements de rupture pouvant être associés à la radicalisation. Il ne s'agit pas d'une check-list, mais bien d'un outil de sensibilisation pour aider tout un chacun à mieux connaître les comportements pouvant être associés à la radicalisation menant à la violence. Face à un individu radicalisé, il convient de mettre en place un filet de protection autour de ce dernier. La première chose à faire, c'est ne pas confronter la personne. Toute attitude de confrontation pourrait encourager l'individu radicalisé à se replier sur lui et à être encore plus extrémiste dans ses croyances. Il convient donc d'adopter une attitude ouverte, bienveillante et de dialogue avec cette personne pour mieux connaître sa situation et les besoins qui existent et auxquels la radicalisation vient parfois répondre. Une fois la situation évaluée, il faut tenter de mettre en place les ressources nécessaires autour de cette personne. Des ressources qui peuvent être, aussi bien, psychosociales que communautaires ou d'ordre professionnel ou scolaire. Q.O.: Votre centre se penche, entre autres, sur « les incidents haineux ». Y aurait-il une différence entre incident haineux et acte raciste ? H.D.O: Un acte motivé par la haine est un geste qui est motivé par un préjudice. Autrement dit, des stéréotypes ou une vision haineuse d'un individu, en raison de ses caractéristiques identitaires. Un acte motivé par la haine peut être raciste, mais aussi sexiste. Un acte motivé par la haine peut l'être par la haine des origines ethniques, de l'appartenance religieuse, de l'orientation sexuelle ou encore même du genre d'un individu. On attaque ou on persécute l'individu pour ce qu'il est. C'est ça un acte motivé par la haine. Après, on parlera d'un « incident haineux » lorsque les faits ne sont pas suffisants pour être qualifiés de «criminels». Insulter quelqu'un dans la rue en raison de son origine ethnique, de sa religion, de son sexe, de son orientation sexuelle ou autre, c'est un incident haineux car c'est un geste motivé par la haine, mais pas suffisamment grave pour être considéré comme un «crime haineux». À l'inverse, lorsqu'un geste haineux est suffisamment grave (comme par exemple agresser physiquement quelqu'un pour ce qu'il est), dans ce cas, on parlera de «crime haineux». Dans les deux cas, il est important de souligner que les crimes comme les incidents haineux sont des manifestations de haine au sein de notre société qui impactent, non seulement, les victimes directes, mais plus encore les communautés dont font parties ces victimes. Q.O.: Pour prévenir la radicalisation, « l'Algérie recommande une action en amont par la mise en place de programmes adaptés aux spécificités locales et nationales, couvrant tous les secteurs et impliquant tous les acteurs, » a dit son chef de la diplomatie. Jugez-vous la recommandation conforme à ce que vous entreprenez à Montréal ? Faut-il, selon vous, agir par des programmes différents d'une communauté sociale à une autre ? H.D.O: Il est, effectivement, essentiel que la prévention de la radicalisation menant à la violence et les programmes s'adaptent aux spécificités locales. En effet, si la radicalisation menant à la violence est un phénomène global, ses racines sont, bien souvent, en fonction des réalités locales. Par ailleurs, les acteurs locaux sont les mieux équipés pour être en mesure de connaître leur communauté et leur contexte. Ils sont les plus à même d'être acceptés comme des acteurs de la prévention et d'intervention, mais également en mesure de s'assurer que les solutions correspondent bien à la réalité locale (cette dernière n'est pas toujours la même, il faut donc respecter les particularismes locaux). - Politologue, Dr Herman Deparice-Okomba, (Ph. D.) est un spécialiste reconnu en matière de relations interculturelles, de radicalisation, de terrorisme, de discrimination et de police communautaire. Avant sa nomination en 2015 au CPRMV, il a été responsable, pendant dix ans, des dossiers sociaux au Service de police de la Ville de Montréal (profilage racial et social, relations avec la communauté, prévention de la criminalité, etc.). Au même moment, durant trois ans, il assumait la direction de la Fondation des employés du SPVM. Ajoutons finalement que M.Deparice-Okomba est chargé de cours dans plusieurs universités où les matières enseignées touchent le terrorisme et la gestion des situations d'urgence. |