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Entre le mot pour rire et un toussotement régulier, séquelle d'un rhume en voie de guérison, Abdelmalek Sellal qui sortait aussi d'une intoxication alimentaire, n'a pas compté son temps pour nous parler de tout ce qui concerne son secteur et même au-delà. Le Quotidien d'Oran: La loi de finances pour 2010 vous a-t-elle revu votre budget à la baisse ? Abdelmalek Sellal: C'est vrai qu'en terme d'enveloppes globales, nous ne sommes pas les premiers parce que le rail, les travaux publics et le bâtiment passent avant. Mais le secteur de l'eau reste prioritaire. En matière de programmes, nous maintenons le même effort. Ce qui a été arrêté dans le cadre d'un premier arbitrage qui n'est pas encore définitif, c'est à peu près 19 barrages. Mais au titre du programme 2010-2014, nous sommes prêts à réaliser en tout 27 barrages pour lesquels les études sont soit terminées, soit en cours, soit devant se terminer durant le quinquennal. Pour l'année 2010, nous avons déjà reçu l'accord de principe dans le cadre de la loi de finances pour en lancer déjà trois qui sont relativement importants, un à Jdiouia dans la wilaya de Relizane, un dans la wilaya de Tizi Ouzou qui a presque les capacités de Taksebt et un 3ème dans la wilaya de Souk Ahras. Le budget alloué au secteur par la loi de finances 2010 est légèrement moins que celui de cette année 2009 où on a eu même une avance en terme de réalisations parce qu'on a inscrit dans le cadre de la loi de finances complémentaire cinq barrages, un dans la wilaya de Tiaret, un autre dans la wilaya de Laghouat, un troisième dans la wilaya de Médéa, un 4ème dans la wilaya de M'sila et un 5ème dans la wilaya de Skikda, le barrage «Zhor» dont les avis d'appel d'offres ont été lancés la semaine passée. On a d'ailleurs décidé pour cela de conforter davantage l'outil national - et pour passer à la 2ème phase de notre objectif - on a donc lancé des appels d'offres de barrages - et c'est nouveau - uniquement pour une concurrence nationale, c'est-à-dire que pour les entreprises algériennes, qu'elles soient publiques ou privées. Q.O.: C'est une première ? A. Sellal: Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas fait pour les gros projets. D'habitude, ce sont des appels d'offres ouverts aux entreprises nationales et internationales. Je pense que le partenariat que nous avons encouragé dans le plan quinquennal passé, a permis à certaines entreprises d'acquérir les meilleurs réflexes en terme d'organisation et de prise en charge de chantiers. Cosider, par exemple, commence à acquérir un savoir-faire intéressant. Elle nous a réalisé des barrages durant le quinquennat passé. Elle a livré déjà celui de Chihaf depuis 7 ou 8 ans et le barrage de Sidi M'hamed Bentaïba dans la wilaya de Aïn Defla et elle livrera à la fin de décembre le barrage de Safsaf dans la wilaya de Tébessa. C'est pour cela que nous en avons réservé quelques-uns pour nos entreprises, pas ceux où il y a une grande technicité bien sûr. En plus de ces avis d'appels exclusivement nationaux, il va avoir incessamment au niveau du gouvernement une série de mesures qui va encourager davantage les entreprises nationales... Q.O.: Dans quels secteurs et quel type de mesures ? A. Sellal: Pour les réalisations de tous les secteurs. On pense que le moment est venu pour asseoir définitivement l'outil national. Bien sûr, on continuera à faire appel aux entreprises étrangères pour les projets pointus mais on encouragera beaucoup plus les partenariats et la préférence nationale deviendra plus importante. Le code des marchés publics accorde actuellement aux entreprises nationales 15% d'avance. C'est-à-dire qu'à soumission égale entre un national et un étranger, le national bénéficie d'un avantage de 15% de plus, à savoir même si son prix est supérieur de 15% de plus que celui proposé par l'étranger, c'est lui qui prend le marché quand même. Quand il est associé à une entreprise étrangère, cette préférence joue aussi. S'il est associé à 50%, il a 7,5% de plus, ainsi de suite suivant le taux de pénétration du capital étranger par le national. Il y a un groupe qui travaille sur le prochain code des marchés publics et va rendre ses conclusions incessamment au gouvernement. Je pense qu'il va accorder quelques avantages supplémentaires aux nationaux. Bien sûr, sans toucher à la concurrence. Il n'est pas question d'aller au gré à gré ou de restreindre les appels d'offres uniquement pour les entreprises nationales. Mais pour les petits projets, il serait bon de garder des appels uniquement pour les nationaux. Le nouveau code pourrait faire augmenter la préférence nationale à hauteur de 20% ou peut-être plus. Q.O.: Les 15 milliards de dollars que vous avez évoqués récemment font-ils partie du budget global du secteur ou c'est une cagnotte supplémentaire ? A. Sellal: Ils sont pour la réalisation de la première tranche du programme quinquennal qui vient donc d'être arrêtée. Nous allons même lancer les appels d'offres à la fin novembre pour gagner du temps. Le montant du programme global tournerait autour de 1440 milliards de dinars, les 15 milliards inclus. Nous avons proposé de grands transferts comme celui de Chatt El-Gherbi qui a été retenu pour 2010. C'est un projet extrêmement important. C'est à peu près 500 km de canalisations et concernera la réalisation de deux champs de forages sur à peu près 50 prévus. Ce sont 40 millions de m3 qui vont être transférés de la région de Naâma vers le sud de la wilaya de Tlemcen, le sud de la wilaya de Bel-Abbès et le nord de la wilaya de Naâma. Il y a aussi deux autres transferts toujours à l'ouest du pays. Un autre dans la wilaya de Boumerdès et un autre dont l'étude a été inscrite pour 2009 et la réalisation pour fin 2010 et concerne les eaux du nord d'El-Goléa et de la région de Laghouat vers Djelfa, le sud de Tiaret et le sud de Naâma. Des projets de réhabilitations des réseaux de 32 villes ont aussi été arrêtés. La réhabilitation des réseaux d'assainissement de 24 villes. La réalisation de 46 nouvelles stations d'épuration au niveau d'un certain nombre de wilayas. Sans compter les travaux d'aménagement hydro-agricoles sur 125.000 hectares qui sont proposés toujours dans le cadre du prochain quinquennal. Q.O.: Les échéances de réalisation ne dépasseront pas 2014 ? A. Sellal: Ça va de 2013 à 2015. Ça dépend de la programmation des projets. On est obligé d'aller jusque-là parce que nous avons des projets du programme quinquennal passé qui ne sont pas terminés. Beaucoup même ! Près de 25% sont encore en cours de réalisation. Q.O.: C'était prévu ? A. Sellal: C'est normal parce qu'un barrage ne peut pas être construit que trois ou quatre ans après son inscription. Q.O.: Qu'en est-il de l'envasement de barrages ? A. Sellal: Le problème demeure parce que ça ne suffit pas de désenvaser, ça revient. On inscrit des opérations de désenvasement dans chaque programme. C'est une lutte permanente. La solution pour laquelle on a fait des études mais on n'arrive pas à la réaliser parce que c'est à cheval entre l'agence nationale des barrages et la direction des forêts, c'est la prise en charge des bassins versants, c'est-à-dire planter et faire des corrections torrentielles pour éviter en cas d'orages qu'il y ait de l'érosion et que la terre n'aille pas dans les barrages. A Tiaret par exemple on est en train de désenvaser le barrage de Benkhada. Pour certains barrages comme celui de Béjaïa, réceptionné il y a deux ans, on a carrément prévu une barge de désenvasement permanent. Pour le barrage de Fergoug, l'envasement est sempiternel ! On a des problèmes immenses pour le désenvaser. Par contre, le barrage de Gargar n'a pas trop de problème. Comme celui de Beni Haroun parce qu'il a un bassin versant immense. L'autre problème des barrages, c'est la pollution humaine. On jette tout dedans. C'est pour cela que beaucoup de nos stations d'épuration sont réalisées non loin des bassins versants pour les protéger. Le Taksebt a été pollué un certain moment mais on a réalisé deux stations d'épuration à côté et on prévoit dans le prochain quinquennal d'en réaliser d'autres justement pour protéger nos barrages. Parfois, on nous reproche de construire ces stations dans des villages secondaires ou moyens. On le fait parce que notre objectif est de protéger la ressource hydrique. Si on avait les moyens, on en réaliserait partout. La seule solution contre le problème d'envasement des barrages, c'est d'arriver à terme - ça prendra beaucoup de temps - à reboiser l'ensemble des bassins versants des barrages. C'est la fonction des services des forêts. Ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu'ils ont. Q.O.: Des urbanistes pensent qu'implanter des stations de dessalement sur le littoral est déconseillé. Qu'en pensez-vous ? A. Sellal: Une station de dessalement ne peut être réalisée qu'en bord de mer. Sa fonction est de dessaler l'eau de mer. On ne peut pas transporter l'eau de mer à l'intérieur du pays pour la dessaler. Ça n'a aucun sens ni économique ni aucun autre. Et l'objectif par ses stations, c'est de sécuriser les grandes villes côtières en matière d'alimentation en eau potable et d'être des secours au cas où, comme on l'a vécu durant les années 2000, il n'y a pas du tout de précipitations et les grandes villes sont soumises à des difficultés majeures en matière d'approvisionnement. Elles servent aussi à dégager un surplus sur les barrages pour le laisser aux villes de l'intérieur et des hauts plateaux. L'emplacement de ces stations a été déterminé par une étude approfondie faite par des étrangers. C'est le secteur de l'énergie qui les réalise pour notre compte. On a aussi dit que l'unité de dessalement d'Alger a des effets polluants sur le jardin d'essai. Ça n'a strictement aucune répercussion et ne touche ni de près ni de loin l'équilibre biologique autour d'Alger. Les rejets, c'est de la saumure. C'est du sel qui va dans la baie d'Alger. Il va se mélanger à l'eau de mer et ce n'est pas deux ou trois grammes en plus qui vont changer quelque chose à sa salinité. Le problème risque de se poser éventuellement si demain tous les pays de la Méditerranée se mettent tous au dessalement. Ce que je peux confirmer aujourd'hui, sur la base de toutes les études qui ont été faites, aucune ne dit que ça touche de près ou de loin l'équilibre biologique sur les côtes algériennes. En plus, au niveau des unités de dessalement - je prends celle d'Alger -, il y a des systèmes électroniques qui donnent l'alerte en cas de problème. Ils le font régulièrement, d'abord pour signaler si l'eau de mer est polluée ou pas et le font pour les rejets. Q.O.: Beaucoup de régions de l'intérieur du pays et même des quartiers d'Alger souffrent du manque d'eau. Est-ce un problème de ressource, de connexion ou de mauvaise gestion ? A. Sellal: Ce n'est pas que la question m'étonne un peu mais parce qu'en terme de capacités hydriques, nous couvrons par exemple plus qu'il en faut les besoins de la capitale. Toutes les villes côtières ont des capacités en eau largement suffisantes. Alger est entouré de plusieurs barrages qui sont bien remplis et dépassent 75% de leurs capacités. Ce qui est énorme. On a le Taksebt, Guadara, Bouroumi, Boukerdène, etc. Nous avons la station de dessalement qui fournit chaque jour 200.000 m3/jour pour des besoins estimés à 800.000 m3. Nous avons des champs de captage énormes au niveau du Mazafran, un autre au niveau de Baraki. Donc, en matière de ressources hydriques, nous couvrons plus qu'il en faut la capitale et nous la sécurisons même sur un certain nombre d'années au jour d'aujourd'hui. Le problème n'est pas un problème de ressource, loin s'en faut. Il y a quelques insuffisances mais il y a un travail qui a été fait par Seal et qui a donné de nettes améliorations. Près de 90% de la population algéroise a de l'eau H24. C'est une réalité ! Il y en a même qui se plaignent de la pression. Certes, il y a des points sombres particulièrement sur Alger Ouest où on a parfois des problèmes de réseaux qui sont mal faits ou insuffisamment calibrés. Mais ça se règle. Aïn Benian maintenant c'est relativement bien. Il y a une année, il souffrait le calvaire. Il y avait un problème au niveau de Ouled Fayet qui ne s'est réglé que cet été. Il fallait acquérir même des équipements spécifiques, ce qu'on appelle des boosters parce que l'eau n'arrivait pas. Oran ne boit plus de l'eau salée, ça fait partie de l'histoire. Cet été, la distribution n'a pas été du H24 mais dans beaucoup de quartiers, elle a été en continu. Q.O.: Elle va devenir H24 ? A. Sellal: Obligatoirement puisque le MAO (Mostaganem-Arzew- Oran) qui a été mis en service partiellement, l'a améliorée. Je pense qu'avec sa mise en service totale, ça va être réglé. Q.O.: Pourquoi le MAO n'a-t-il pas été mis en service totalement ? A. Sellal: On a mis en oeuvre le premier barrage de Mostaganem, celui du Cheliff qui est un barrage d'appoint, à la fin juillet de cette année. On a commencé pour cela par un lâcher d'eau à partir du barrage de Sidi M'hamed Benouda pour aider pour l'été, et même pour ce mois, à améliorer la situation de ces trois villes. Le 2ème qui se trouve toujours dans la wilaya de Mostaganem, celui Kerada qui est un barrage réservoir, devra en principe être mis en service à la fin de cette année. En attendant de terminer tout le projet à la fin de cette année. Q.O.: Qu'en est-il de la rénovation des réseaux de distribution d'eau potable ? A. Sellal: A Alger, une grande partie a été réalisée il y a déjà 7 ou 8 ans. A Oran, une grande partie l'a été il y a 5 ou 6 ans et à Constantine, une partie est terminée cette année, à Tlemcen la même chose. On prévoit dans le prochain quinquennal, comme je vous l'ai déjà dit, la rénovation des réseaux de 32 autres villes. Vous savez qu'à chaque fois qu'on construisait une cité, on faisait une extension de réseau sans respecter les normes, c'est-à-dire que les matériaux utilisés n'ont pas été toujours les bons. On utilise parfois du fer alors qu'on doit utiliser la fonte, ou du béton alors qu'on doit utiliser du fer... Nous avons à peu près 65.000 km de réseaux de distribution, ça demande énormément d'argent pour y remettre de l'ordre. Chaque année, on en inscrit une partie. Pour ce qui est des réseaux d'assainissement, on a à peu près 40.000 km. Il faut impérativement les rénover. Pour Alger, par exemple, on a fait appel à Suez parce qu'il ne suffit pas de ramener l'eau, il faut bien gérer le réseau. Parfois, c'est une affaire de technicité qu'on n'a malheureusement pas. Hussein Dey, par exemple, est passé à de l'eau H24 sans qu'on rajoute des quantités supplémentaires. Il fallait simplement recalibrer le système de distribution parce qu'il y a un problème de pression, d'utilisation des châteaux d'eau... Depuis maintenant deux ans, Seal a doté la capitale d'un système informatisé de télégestion de l'eau à partir de Kouba. Ils peuvent gérer tout le réseau de la capitale à partir d'un tableau de bord et ils peuvent réagir à distance. Il fallait passer du système manuel à celui informatisé. Il faut l'élargir aux autres villes. C'est pour ça que la bataille du prochain quinquennal, c'est la formation en technologie et métiers de l'eau. Dans les marchés de la gestion déléguée de l'eau et de l'assainissement, conclus avec nos quatre partenaires étrangers, un des chapitres les plus importants, c'est la formation. Suez, par exemple, a mis en place une école de formation au niveau d'Alger. Les autres doivent le faire. Pour pérenniser le système, nous avons pensé créer une école de management de l'eau à Oran. On est en négociation avec ces quatre entreprises étrangères qui vont participer au capital avec une participation, bien sûr, majoritaire de l'ADE et l'ONA. L'objectif est de former tous les cadres du secteur sur un double standard en matière de management de l'eau. Ceux qui sont titulaires d'un ingéniorat, par exemple, bénéficieront d'une formation qualifiante, une sorte de post-graduation spécialisée. C'est une école qui sera mise en place peut-être avec l'université d'Oran et avec l'école polytechnique de Barcelone. Q.O.: Si vous vous appuyez sur les entreprises étrangères qui activent dans votre secteur pour former les cadres, vous n'êtes donc pas aussi mécontents de leur travail qu'on le dise ? A. Sellal: On m'a toujours demandé si je vais reconduire le contrat de Suez ou pas. Pour le moment, on est à mi-chemin du contrat qui nous lie. Il y a beaucoup de signaux favorables, c'est clair, net et précis. En matière d'alimentation en eau potable, je ne pense pas que les Algérois se soient beaucoup plaints cet été et l'été passé. C'est vrai qu'on se plaint parfois des factures. Mais on ne s'est jamais plaint de la qualité du service. Même en terme de fuites d'eau, la moyenne des interventions est un jour et demi alors qu'avant c'était quatre, cinq jours. On vient de recruter un auditeur externe pour voir effectivement si les résultats obtenus sont conformes aux termes du contrat. En matière d'assainissement, on le sait, on n'a pas atteint nos objectifs. Nous avons donc demandé à Seal et à Suez de le faire. Q.O.: Cet auditeur externe a déjà commencé son travail ? A.Sellal: Il est en procédure de recrutement. Donc, pour l'instant, personne ne peut dire quoi que ce soit à propos de la reconduction du contrat. Nous évaluerons la situation dès que le contrat arrivera à terme. Le contrat est de cinq ans et demi. Il reste à peu près deux ans. Q.O.: On reproche à Seal ses factures élevées ? Que se passe-t-il ? A. Sellal: Le coût de l'eau n'a pas changé et nous sommes très loin de son coût réel. Ça c'est une chose. Q.O.: Et il n'augmentera pas ? A. Sellal: Non. On en a discuté Ramadhan passé avec monsieur le Président de la République, ce n'est pas du tout à l'ordre du jour. Pour ce qui est des factures qu'on dit qu'elles ont augmenté, je dois d'abord dire qu'au niveau de plus de 600 communes, les gens ne paient pas l'eau ou la paient à un prix dérisoire. Q.O.: N'avez-vous pas les moyens pour contrôler ? A. Sellal: Ce n'est pas qu'on n'a pas les moyens. C'est difficile pour la mentalité de l'Algérien de couper l'eau à tout le monde. C'est un problème de sensibilisation, d'éducation. C'est surtout dans les communes rurales que les gens ne paient et ça se répercute sur leur budget. En plus, il ne faut pas oublier qu'on a beaucoup de réflexes de gaspilleurs d'eau. En été, les gens consomment et gaspillent énormément d'eau. Il faut faire attention. Mais ceux qui estiment que leurs factures sont gonflées, Seal a des bureaux de réclamation. Il m'arrive même d'appeler sans dire qui je suis, je vois toujours qu'il y a du répondant. Q.O.: On accuse parfois Seal de mal gérer. Et il y a beaucoup de communes qui demandent à gérer elles-mêmes la distribution de l'eau. Un tel changement est-il envisageable ? A. Sellal: On ne peut pas s'amuser à changer à chaque fois le système parce que jusqu'au transfert à l'ADE, aucune commune dans le pays n'a pu gérer correctement l'eau. Je peux vous le dire en connaissance de cause, j'étais wali. Q.O.: Manque de moyens ou de compétence ? A. Sellal: C'est un problème de moyens et de gestion. Les services communaux n'ont ni les moyens techniques, ni administratifs, ni économiques pour gérer l'eau. Dans tous les pays du monde, ce sont les entreprises qui le font. Si je vous donne le chiffre des dettes qu'ont laissées les services des eaux à l'Algérienne des eaux quand elle l'a récupérée - encore c'est la tendance, ce n'est pas un chiffre définitif -, il approche les 30 milliards de dinars uniquement en dettes fiscales et parafiscales. C'est énorme. Avec Sonelgaz, ce sont des chiffres exorbitants. Heureusement que l'ADE négocie avec Sonelgaz des échéanciers et qu'elle paie lentement. Démagogie électorale aidant, les élus, auparavant surtout, ne faisaient pas payer l'eau aux citoyens. Il y a une forme de démagogie ambiante et il faudrait qu'on arrive un jour à faire que nos communes fassent mieux pour récupérer leurs recettes. Q.O.: Démagogie ambiante ou manque de rigueur de l'Etat ? A. Sellal: C'est un tout. Il y a une désorganisation et une insuffisance. Les gens sont plus attirés par autre chose notamment les réserves foncières plutôt que de s'appesantir sur les fonctions basiques locales. A Chlef, vous verrez que les gens ont placé une trentaine de tuyaux juste à la sortie du château d'eau pour voler l'eau. Il ne faut jamais perdre de vue durant la décennie difficile du pays que les services publics ont reçu des coups importants. On ne pouvait plus gérer. Pour remonter la pente, ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. A Alger, par exemple, le directeur général de Seal vous dira qu'il y a beaucoup de gens qui continuent à voler l'eau. Il y a actuellement en moyenne 250.000 foyers qui ne paient pas l'eau. Q.O.: N'y a-t-il pas moyen de les rappeler à l'ordre ? A. Sellal: Il faut d'abord avoir les capacités de mettre les compteurs partout. Q.O.: Votre secteur en a toujours parlé. On en est où ? A. Sellal: Ça se fait selon les capacités et les moyens de Seal. Q.O.: Mais vous donnez un chiffre des mauvais payeurs... A. Sellal: Bien sûr ! Au niveau de Seal, ils savent à peu près. Soit ils continuent à faire un forfait, soit c'est un problème de compteur qu'il faut installer et ce n'est pas simple parce qu'on a subi une urbanisation très importante au niveau des grandes villes. Il est alors très difficile de suivre la mise en place de système de gestion de l'eau. C'est une question de moyens au sens large du terme. Pour installer 100.000 compteurs par an, ce n'est pas facile. Q.O.: C'est l'objectif que votre secteur s'est fixé ? A. Sellal: L'objectif justement qui a été fixé à Suez dans le contrat, c'est qu'ils arrivent à la fin de leur contrat, en matière commerciale, à récupérer l'ensemble du produit de la vente. Ils produisent un million de m3 d'eau potable, il faudrait qu'ils arrivent à faire rentrer l'équivalent en argent. C'est lié au compteur et au vol de l'eau. Je sais qu'ils n'arriveront pas pour ce qui est du vol de l'eau, c'est un problème de l'autorité de l'Etat. Ce n'est pas simple. Il ne suffit pas aussi de mettre des compteurs, il faut creuser. Il faut avoir les autorisations pour cela, perturber la chaussée... Q.O.: Mais c'est comme ça tous les jours... A. Sellal: Il faut continuer à le faire ! Q.O.: Etes-vous satisfait de l'opération de pose de compteurs par Suez ? A. Sellal: Ils arrivent à 80.000 à peu près. Q.O.: Alors que le contrat les oblige à 100.000 ? A. Sellal: On verra à la fin de ce contrat. Q.O.: En attendant, ce sont les consommateurs qui trinquent par des factures lourdes. Pensez-vous réviser certaines prérogatives ou missions de Seal pour régler ces dysfonctionnements de la distribution et du recouvrement ? A. Sellal: Si le citoyen considère qu'on n'a pas donné suite à sa réclamation, il peut attaquer Seal en justice. C'est une relation commerciale et il y a un compteur qui est arbitre entre les deux parties. Il faut savoir qu'en cas de non paiement, Seal n'enlève pas les compteurs aux gens, parce que c'est une mesure barbare. Ça se faisait avant mais il y a des instructions qui ont été données pour ne plus y toucher. On ne coupe même pas l'eau. Si je vous parle des dettes que nous doivent certains hôpitaux ou certaines structures, il y a de quoi se tirer une balle dans la tête. Mais on n'arrêtera jamais l'eau à un hôpital ou à une caserne de pompiers. J'ai dit à Seal qu'il faut commencer à poursuivre en justice. Il faut qu'on apprenne le geste citoyen. Q.O.: Votre secteur gère tous les oueds du pays. Il y en a beaucoup qui débordent en temps de pluies. Y a-t-il moyen de l'éviter ? A. Sellal: Je serais l'homme le plus heureux au monde si nos rivières débordaient tout le temps. Q.O.: Mais ça cause des dégâts humains et matériels... A. Sellal: Pour ce qui est du problème des inondations, il faut partir du constat que notre pays a un climat semi-aride. Il ne pleut pas tout le temps mais quand il pleut, il pleut violemment. Le changement climatique a des effets pervers. Des pluies diluviennes s'abattent sur le pays en 20 jours au lieu qu'elles soient étalées sur 200. Nos villes n'étaient pas bien préparées pour être protégées contre les inondations. Ce qui a encore dégradé la situation, c'est cette urbanisation effrénée. Nos villes, par exemple, n'avaient pas de réseaux séparatifs, celui des égouts et celui des eaux pluviales. Les plus grandes villes l'ont mais les moyennes et petites villes ne l'ont pas. Q.O.: C'est pour cela qu'on a de temps à autre le goût des égouts dans l'eau potable ? A. Sellal: Non, ça c'est dû à ce qu'on appelle les cross-connexions. Des fois, il y a des c... qui viennent brancher une conduite d'eau sur un égout alors qu'il est interdit de placer un réseau d'eau sur un réseau d'assainissement ou le contraire, parce que s'il y a une fuite, ça va l'un dans l'autre. Ces cross-connexions sont interdites, mais malheureusement elles existent. Les plans d'occupation des sols sont donc vite dépassés parce qu'on construit beaucoup et rapidement. Personne n'arrive à suivre. Rajouter à cela un 3e phénomène, celui des ordures. Les gens accusent souvent à tort les services communaux de ne pas déboucher à temps les avaloirs. C'est faux ! Le travail se fait. Ce qui bouche les avaloirs, ce sont les détritus qu'on jette partout. Q.O.: Alors les rues ne sont pas nettoyées ? A. Sellal: Les rues ne sont pas nettoyées et les gens jettent un peu partout leurs ordures ! Quand il pleut, l'eau ramène tout. Le problème des inondations est un tout. Ceci étant dit, Ghardaïa par exemple est un cas d'école. Vous savez qu'on a des crues décennales, des pluies centennales et des pluies millénaires. A Ghardaïa, on a dépassé les pluies millénaires ! Et si ce n'était pas la construction d'un barrage de protection dans la vallée du M'zab, Ghardaïa aurait péri. La construction de cette digue est la première tranche d'un projet global. Construite dans une zone arabe, les Mozabites l'avaient refusée parce qu'ils pensaient qu'on allait leur voler l'eau pour la donner aux Arabes. On l'a donc fait de force. Je me suis impliqué moi-même en me déplaçant deux fois dans cette région. Cette digue de protection a retenu beaucoup d'eau et Ghardaïa a échappé au pire. On l'appelle aussi barrage érecteur parce qu'il ne garde pas l'eau mais lui permet de s'écouler doucement. On a d'ailleurs été obligé d'élargir un peu la conduite (c'était le compromis entre les Mozabites et nous) pour que l'eau aille directement dans leurs terres agricoles. Avec la construction de deux autres digues qui sont en train de se faire, Ghardaïa sera totalement protégée. A Bab El-Oued, c'était un peu la même chose. L'évacuation de Oued M'kessel était insuffisante. Il y a un gros projet qui se termine. C'est un tunnel pour évacuer toutes les eaux. Bel-Abbès a aussi bénéficié d'un gros travail de protection. On a eu une très grosse pluie l'année passée mais il n'y a pas eu d'inondations grâce à ce travail. Cosider termine au début de l'année prochaine la construction d'un grand barrage écrêteur et Bel-Abbès sera définitivement mise à l'abri. Il faut continuer à le faire pour les autres villes. On n'a pas respecté la nature. Elle est en train de reprendre ses droits ! C'est aussi simple et complexe que cela ! Q.O.: Mais en attendant, votre secteur est chargé de curer les oueds ? A. Sellal: Je suis d'accord avec vous. On est chargé de le faire avec les APC. Q.O.: Vous le faites régulièrement ? A. Sellal: Ils le font selon les capacités qu'ils ont. Ce sont des opérations inscrites dans le plan de charge des directions de l'hydraulique des wilayas. Mais on ne peut pas faire face à tout. Nos directions le font, mais malheureusement parfois les gens vont en prison. Comme à Béchar. Q.O.: En effet, on parle beaucoup de corruptions dans au moins une dizaine de ministères dont le vôtre. Qu'est-ce qui se passe ? A. Sellal: Quand on gère les marchés publics, on est toujours accusé de malversations. C'est le problème de tous les ordonnateurs. Q.O.: A tort ou ce sont des accusations fondées ? A. Sellal: Il y a des insuffisances en matière de gestion. On essaie de contrôler dans la mesure des capacités qu'ont nos inspections. L'IGF fonctionne à plein tube. Quand on voit les statistiques au niveau du ministère de la Justice, c'est énorme ! Sur le plan législatif et réglementaire, les instruments existent. Toute ce qui se fait, est en principe contrôlé au niveau de la passation des marchés publics, les gens font extrêmement attention. Mais parfois, dans l'urgence, on est obligé d'aller vite. Jusqu'à preuve du contraire, nous nous interdisons le recours au gré à gré parce que c'est l'une des sources éventuelles de corruption. C'est une lutte permanente qu'il faut mener. Mais il faut dire aussi que dans certains cas, ce sont des règlements de compte. Quand quelqu'un n'a pas un marché, il accuse l'autre d'avoir la gale. Il faut être vraiment rigoureux et vigilant dans ces affaires. Parce qu'il y a le revers de la médaille. Si on se met à inquiéter d'une manière assez poussée les ordonnateurs et tous ceux qui sont chargés du contrôle, on risque d'avoir d'autres problèmes. A Béchar par exemple, j'ai personnellement des difficultés à trouver des responsables pour remplacer les cadres emprisonnés. Q.O.: Le pays manque-t-il à ce point de compétences ? A. Sellal: Ce n'est pas un problème de compétence. Les gens vous disent épargner moins ce genre de responsabilité. En matière de budget de réalisations, Béchar est à peine à 17% de consommation des crédits alors qu'ailleurs, ils sont à 70. Il y a des lenteurs. Mais on prend nos responsabilités en poussant les cadres à aller vite. Je rappelle qu'à Béchar, on a su qu'il y avait problème. J'ai envoyé une inspection pour vérifier, on a vu que le problème n'était pas très important. Malgré ça, on a pris des mesures conservatrices. J'ai relevé le directeur de l'hydraulique, il y a 8 mois déjà. L'enquête a été poussée, on a trouvé des insuffisances en matière de passation de marchés publics et les gens ont été condamnés. Q.O.: Le ministre ne doit-il pas avoir un droit regard sur la passation de marchés publics au niveau local ? A. Sellal: Au niveau local, il y a un ordonnateur secondaire, c'est le wali et le maire. En tant qu'ordonnateur primaire, je leur délègue des crédits pour réaliser des projets dans le cadre d'une gestion déconcentrée ou alors décentralisée. L'Etat central ne peut pas tout faire. Il est là pour contrôler et réguler. Q.O.: Vous ne leur demandez pas des comptes ? A. Sellal: Si ! Mais on ne va pas tout contrôler. On le fait par à-coup. C'est le rôle des services de contrôle de l'Etat. Maintenant, si toutes les machines ne sont pas huilées, c'est une autre paire de manches ! Il faut reconnaître que c'est très difficile de ne pas faire d'erreur. Il n'y a que Dieu qui n'en fait pas ! Mais s'il y a intention de nuire, il faut être sans pitié. Sinon, il faut savoir apprécier. Q.O.: Même dans les situations les plus dures, vous avez le mot pour rire. C'est un trait de caractère ou c'est pour cacher une faiblesse ? A.Sellal: Je reste serein dans toutes les situations. Et puis, on va tous mourir. Il vaut mieux en rire qu'en pleurer. |