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On le donnait
pour mort, privé de la plupart de ses moyens de pression, décrédibilisé par son
incapacité à prévenir les récentes crises financières. Mais non seulement le
cadavre bouge encore mais il semble avoir retrouvé une nouvelle vie et sa forme
des années 1980. Il s'agit, bien entendu, du Fonds monétaire international
(FMI) lequel est dans l'actualité en raison de la crise grecque. Il faut se
souvenir que dans les années 2000, nombreux sont ceux qui se posaient la
question de savoir à quoi allait bien pouvoir servir cette institution tant
décriée par les pays en développement.
C'était l'époque où de nombreux pays, dont l'Algérie, avaient remboursé ? parfois de manière anticipée ? leur dette contractée auprès du « grand argentier », expression consacrée et politiquement correcte préférée à celle de « prêteur sur gages » car, en réalité, c'est bien cela qu'est le FMI. Le panorama était alors pour lui déprimant. Aucune crise financière majeure à gérer, des pays jadis fauchés devenus moins demandeurs de capitaux grâce à la forte hausse de la majorité des matières premières, notamment le pétrole, les métaux et les denrées agricoles : le « banquier global » (autre appellation) frisait le chômage technique. Et c'était d'autant plus vrai qu'il faisait aussi face à la concurrence de la Chine en Afrique. Pour mémoire, Pékin a accordé de nombreux prêts à des pays du Continent sans imposer les mêmes exigences en matière de réformes structurelles que l'institution de Washington. Cette dernière a bien protesté, essayé de convaincre les Etats-Unis et l'Europe de faire pression à la fois sur le prêteur et les emprunteurs mais en vain. En Afrique comme en Asie, le FMI avait perdu son monopole. Cela ne veut pas dire que la Chine, et d'autres pays émergents prêteurs comme le Brésil, n'avaient pas d'arrière-pensées (comme la sécurisation des gisements miniers) mais, au moins, n'exigeaient-ils aucune réforme douloureuse de leurs partenaires. Aujourd'hui, la situation a changé. Comme le montre la crise grecque, le FMI s'est trouvé une nouvelle jeunesse et a renoué avec ses comportements d'antan : inflexible, arrogant, donnant, sans honte, des leçons au peuple grec en matière de fiscalité ? les cadres dirigeants du Fonds ne paient pas d'impôts? - et acculant la Grèce dans les cordes au risque de la faire sortir de la zone euro et de provoquer une réaction en chaîne que personne n'est capable de prévoir aujourd'hui. Au passage, on ne peut que déplorer le fait que les Européens ont commis une erreur magistrale en permettant au FMI de participer au premier sauvetage de la Grèce durant la période 2009-2010. C'était faire entrer le loup dans la bergerie alors que les Européens, ou du moins les membres de la zone euro, auraient dû régler cette affaire entre eux. A moins que certaines capitales, dont Berlin, aient voulu qu'un père fouettard extérieur fasse un exemple au sein de la « famille » de la monnaie unique? Les partisans de l'attitude du FMI à l'égard d'Athènes mettent en avant la nécessaire orthodoxie financière. La nécessité pour celui qui s'endette de payer ce qu'il doit et la nécessité pour le Fonds de s'assurer qu'il aura les moyens de le faire (quitte à sabrer dans les budgets de la santé et de l'éducation?). D'autres thuriféraires de « l'institution de Bretton Woods » (autre appellation) mettent en avant que le FMI ne peut pas accorder un traitement privilégié à la Grèce sans provoquer la colère d'autres pays qui ont eu affaire à lui. En clair, Christine Lagarde, sa directrice générale, et ses équipes doivent cogner parce qu'elles ont cogné ici et là. Ce ne serait donc pas pour complaire à l'Allemagne que « l'encaisseur global » reste ferme face au gouvernement Tsipras, mais pour ne pas provoquer l'ire de l'Argentine ou de l'Indonésie. Qui peut croire à ce genre de fadaise ? Soyons clairs, ce qui fonde l'action du FMI, c'est l'idéologie. Et ce qui se joue dépasse de loin la simple équation financière et budgétaire d'un pays qui a longtemps vécu au-dessus de ses moyens et à qui les banques ont prêté sans vraiment réfléchir à ce qu'elles faisaient. Dans ce qui se trame autour de la Grèce, c'est la nécessité de punir un gouvernement de gauche jugé hermétique ou hostile aux thèses néolibérales. C'est jouer le pourrissement pour que, de guerre lasse, le peuple retire sa confiance à ceux qu'il a élus. C'est jouer l'instabilité et, en passant, adresser un message explicite à d'autres peuples européens qui pourraient avoir la mauvaise idée de voter de la même manière. Et l'on sait comment tout cela peut se terminer. Par une grave crise politique voire par une victoire future de l'extrême-droite. Le FMI joue aussi avec le feu en Tunisie. Voilà un pays qui chancelle, où le manque d'amélioration économique renforce la désespérance des jeunes, ce qui ne peut qu'alimenter le terrorisme. On le sait, la Tunisie a besoin d'une aide multiforme, à commencer par plusieurs milliards de dollars ? au moins une dizaine ? pour équilibrer les comptes, investir dans les infrastructures et relancer la machine économique. Au lieu de cela, le FMI chicane et pérore. Son message est simple : point de réformes structurelles ? autrement dit de nouveaux sacrifices pour la population ? point d'argent (si peu d'argent, d'ailleurs?). Jusqu'à quand ? Jusqu'à ce que ce pays soit submergé et qu'un régime théocratique s'y installe ? Il est vrai que l'islamisme politique s'accommode fort bien des dogmes néolibéraux? Au milieu des années 1990, le FMI a voué aux gémonies la Malaisie parce que son gouvernement a décidé le contrôle des changes pendant la crise asiatique. Le Fonds s'en est pris ensuite aux politiques économiques de l'Argentine. Deux décennies plus tard, des études pondues discrètement par les économistes de l'institution reconnaissent que cette dernière s'est trompée. Idem pour l'austérité prônée en Europe de l'Ouest après le choc de 2008 et que le Fonds juge désormais trop radicale. Prenons le pari : dans quelques années, l'un de ses inutiles fonctionnaires viendra nous expliquer que le FMI a manqué de perspicacité dans les dossiers grec et tunisien. Mais il sera peut être trop tard pour la démocratie? |
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