
Le marché Bettou
a certes rouvert ses portes hier matin, mais dans quel état d'esprit ? Des
commerçants épuisés, exténués après un long combat pour arracher non pas des
avantages mais seulement un droit des plus élémentaires, qu'ils ont dû de
surcroît payer de leurs petites bourses.
La peur au
ventre, aussi, face aux décisions de l'APC qui compte refermer le marché après
l'Aid El Adha, pour entreprendre des opérations de réhabilitation plus
approfondies. «Qu'ils aillent faire ces aménagements ailleurs, l'état de notre
marché qu'on a réhabilité par nos propres moyens est assez satisfaisant comme
cela, on est content et les clients aussi», nous déclare un fleuriste. «Ils
doivent nous passer dessus, pour les laisser le fermer encore une fois, et nous
laisser comme des corbeaux, voilà comment on vivait durant ces trois mois»,
s'insurge un autre commerçant. «Il faut rendre à César ce qui est à César,
c'est seulement grâce aux âmes charitables et généreuses qu'on est arrivé à
cela ; on ne pouvait en aucun cas, avec toutes les bonnes volontés du monde,
ramasser à nous seuls, un milliard et demi de centimes, les charges de
l'entrepreneur nous ont coûté 720 millions de centimes». «En toute honnêteté,
nous n'avons récolté que 380 millions de centimes seulement, le reste ce n'est
pas notre APC qui s'en est chargée, mais des bienfaiteurs qui n'ont pas pu
rester insensibles à nos lamentations», nous confie un vendeur de fruits
défiant les autres de dire le contraire. Le fleuriste nous confia que «pour
faire vite et précis, on s'est chargé tout seul de tout, les traverses de bois,
la peinture, c'est encore nous qui avons ramené les quatre citernes et le
compresseur pour nettoyer, même les ordures, les débris et les déchets de l'incendie,
on leur a demandé de ramasser cet amoncellement d'ordures maintes fois, et si
on ne les a pas menacés de les jeter en pleine rue, ils ne se seraient pas
manifestés». S'ils sont heureux aujourd'hui ? Certes, ils le sont, mais un
bonheur au goût amer, «tous les commerçants sont endettés, d'autres, à cause du
stress ont récemment attrapé des maladies chroniques, certains doivent
travailler pendant toute une année pour rembourser leurs dettes, s'ajoutant aux
dépenses quotidiennes de ces trois mois de chômage forcé, les dépenses
d'aménagement entrepris individuellement par chaque commerçant à l'intérieur
même de son stand. Le vendeur de produits cosmétiques en plus d'un milliard de
centimes de pertes, doit encore dépenser pour réhabiliter son magasin », nous
informe un vendeur informel, «24 ans dans l'informel», souligne-t-il. Il
poursuit «alors nous, les commerçants informels, c'est une autre paire de
manche, nous sommes 45 en tout. Ceux qui vendent les herbes aromatiques dans
l'allée jouxtant l'entrée principale, on leur a interdit d'exposer leurs
marchandises jusqu'au passage de la commission, c'est leur gagne-pain depuis 23
ans ! On nous a promis d'aménager des loges avec des grilles métalliques à
l'intérieur du marché, le long du mur d'enceinte depuis voila quatre ans. On
leur a remis des dossiers et rien jusqu'à présent». D'autres commerçants, en
signalant que les loyers de ces trois mois, 3500 DA par mois, redevables à
l'APC, ont été épongés, veulent plus d'aide encore, dont l'effacement des
charges fiscales trimestrielles». Les inconditionnels du marché, déambulaient à
travers les allées, curieux du fait que tout le monde n'ait pas encore rouvert
et rassurés en même temps, «je vous assure que pendant ces trois mois de
fermeture du marché, on faisait semblant de cuisiner et nos enfants faisaient
semblant de manger», dira une dame visiblement très satisfaite. «Certes, ici on
achetait plus cher qu'aux autres marchés. Mais ici si on te donne un kilo de
pomme de terre, c'est bien un kilo de pomme de terre, on n'en jette rien»,
renchérit une autre. «Un week-end, ma femme m'a demandé de lui acheter de la
tomate, ce n'est pas un légume rare, cela ne devait pas poser problème d'en
trouver. J'ai fait le tour du centre-ville, pendant deux heures entières, et je
n'ai pas trouvé la moindre tomate», intervient un père de famille. Vers 9h00,
l'électricité est enfin de retour dans cet ex-parking Ferrando, les vendeurs de
poissons étaient présents, mais un seul a osé ramener de la marchandise. «Je
craignais d'encaisser de nouvelles pertes, ce n'était pas sûr que
l'alimentation en énergie électrique soit rétablie ce matin, le poisson n'est
pas comme les fruits et les légumes, c'est très cher et on ne peut pas le
garder pour demain», nous dit Berkane un poissonnier. «Aujourd'hui, je suis
venu non pas pour faire des bénéfices mais pour encourager les commerçants
réticents à faire pareil, je vends presque au prix de gros», nous informe un
marchand de légumes. A l'arrivée des représentants de l'APC, la situation est
devenue fiévreuse, «ils ne sont bons qu'à se montrer», ironise un commerçant
très âgé. Tous les commerçants ne veulent qu'une seule chose, ils l'ont affirmé
d'ailleurs et le plus clairement possible, «le marché Bettou ne refermera plus
jamais ses portes, dorénavant».