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«La crise consiste, justement,
dans le fait que l'ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître. Pendant
cet inter-règne, on observe les phénomènes Morbides,
les plus variés» A. Gramsci
Au cours du mois de Ramadhan, beaucoup de choses ont été dites dans les médias et notamment dans la presse écrite. Trois grands thèmes, pendant le confinement, ont dominé l'actualité : 1- la révision constitutionnelle et ses limites, 2- le Hirak, ses emprisonnés et ses écueils, et 3- l'état de l'économie et les sorties de crise. Cette actualité reste cependant emprunte de cette lame de fond morbide ; une lame provenant de la dépolitisation des populations (entretenue de longue date) où face à l'indignation citoyenne, la désobéissance civile et la défiance politique vis-à-vis du «système» (et de la «Bolitik») s'instaure une sorte de «formation idéologique» (1) décliniste, constituée de tous ces a priori idéologiques et postures politiques largement partagés. Formation idéologique où, dit-on, l'Algérie va de mal en pis, où l'Algérie apparaît sans issues et, communément : du «koulech Khorti», «tout est plaisanteries» : notre économie est une économie de bazar, le Hirak est mort et la révision, une formalité pour perpétuer le Pouvoir. La formation idéologique décliniste et ses sédiments Comme dans toute formation idéologique, il s'instaure une confusion entre l'objet et son image, entre le Réel et ses interprétations, entre le Hirak - par exemple- le mouvement populaire et l'idée qu'on s'en fait, entre l'État comme ensemble d'appareils et lois et l'idéal de modèle institutionnel, etc. Les effets directs de cette confusion sont, aujourd'hui, chez nous : tous les brouillages des termes des thèmes des débats économique, sociétal et politique absolument nécessaires. L'on n'expose pas les visions, les perspectives et les modes opératoires (et organisationnels, voire managériaux) du changement auquel aspirent les Algériennes et les Algériens. Mais l'on s'attache à des sujets à la marge comme à titre d'exemples : la substitution des exportations actuelles par celles d'autres produits primaires (agro-industriels, matières premières,...), le Hirak n'est qu'un champignon surgissant dans la forêt des luttes politiques (depuis 1962), l'interdiction de l'utilisation de la langue française posée comme vitale à l'assainissement («tas-hih») des mœurs politiques et institutions, ainsi de suite. Cette formation est tellement prévalente qu'elle empoisonne le climat social et induit une démobilisation générale des populations du champ politique. L'on ne peut cependant se limiter qu'à constater son existence et indiquer ses effets. Il nous faut en chercher les ressorts et sédiments. Derrière les brouillages où tout un chacun participe - pouvoir, partis politiques, société civile et citoyens - il y a notre paresse intellectuelle et notre lâcheté politique à affronter sereinement et démocratiquement nos divisions, nos divergences et nos oppositions. Surtout sur les sujets brûlants qui nous minent depuis longtemps ; des sujets se cristallisant autour d'une interrogation centrale : notre rapport à la Modernité. Au lendemain de l'indépendance, ce rapport était pensé et vécu comme édification d'un État (à l'image des modèles existants à fort caractère social) avec un rattrapage de «développement» (économique, éducatif, sanitaire et culturel dont l'arabisation). Avec l'émergence de la mouvance islamiste au début des années 80 (marquées par les convulsions politiques dans les enceintes universitaires puis, dans la rue, autour du Code de la famille - ce code de l'indigénat pour les femmes) et la sortie de cette mouvance de la clandestinité après Octobre 88 ont opéré un «retour du refoulé». Où l'interrogation de notre rapport à la Modernité s'est muée en celle du rapport de l'Islam à la Modernité. D'un sujet algéro-algérien en un sujet civilisationnel. Ce ?retour du refoulé' qui ?travaillait' principalement les Élites s'est ?déplacé' en atteignant (grâce à l'effraction des foyers par les prédicateurs des émissions religieuses des chaînes satellitaires) de plus larges couches sociales. Que le confinement - suite à l'état de siège lors de la guerre civile (1992-2003) - avait fragilisées, voire soumises à des comportements maniaco-dépressifs (un jour : «tout va bien», le lendemain : «tout est noir»), créant sans conteste ici et là, un moment ou un autre, des poches de schizophrénie collective. Ce phénomène de masse a lui-même réactiver des attitudes et comportements comme des croyances et peurs irrationnelles enfuies depuis l'accession à l'indépendance. Avec la wahabisation rampante de la société - tentant d'éloigner les croyants des us et coutumes du rite malékite - surgiront comme pour réconforter des pratiques anté-islamiques de liens de sang (filiales ou ethno-régionalistes), de sorcellerie, d'évocation des Djinns, etc. Un véritable malaise civilisationnel s'empara des couches éduquées et d'une partie des élites intellectuelles (qui formeront le gros des acteurs du champ politique sous Bouteflika). Ce ?retour du refoulé' généralisé n'est pas qu'un processus régressif ; il est aussi une réponse collective régénératrice face aux traumas concrets affligés. C'est un passage obligé de la recomposition de l'imaginaire social face aux conflits multidimensionnels vécus. Et il est, enfin, le terreau historique sur lequel s'est greffée cette «formation idéologique» décliniste. Aujourd'hui, grâce à la révolution du sourire et à ses exigences de renouveau et de sursaut, les Algériens - pouvoir, partis politiques, société civile et citoyens - ont à faire face à ces «facettes sombres» de notre histoire et notre identité collectives. Nous ne pouvons plus s'en détourner et faire comme si...de rien n'était. Aux traumas de la guerre de libération puis ceux de l'après-Octobre 1988, se sont agglutinés les traumas de l'après-Février 2019 provoqués par la prise de conscience de la trahison des gouvernants, des fragilités de l'économie et, au fond, de l'inconsistance de l'édifice institutionnel. Notre État, sa texture, son enracinement, ses missions et son devenir deviennent l'enjeu principal des discussions, la préoccupation de tous. D'où ce foisonnement - et ces brouillages - des thèmes et des sujets qui font l'actualité (et que nous avons regroupés en trois grands ensembles). La révision constitutionnelle et ses limites Nous l'avons déjà dit (1) : cette mouture de révision constitutionnelle vise à parer aux dysfonctionnements de la gouvernance verticale autoritaire : elle n'est pas balancée par des propositions visant à instaurer des contre-pouvoirs - au Législatif (1er pouvoir), à l'Exécutif (2ème ), à la Justice (3ème ), à l'Autorité monétaire (4ème ) et aux médias (5ème ) - émanant des instances et organes de la gouvernance horizontale démocratique. Nous avions cité le cas du Sénat comme émanation des collectivités territoriales ; le professeur Hamid Hamidi, dans son «Conseil de la nation : les raisons d'une dé-crédibilisation du système bicaméral» (2) est venu, à ce sujet, apporté des éclaircissements historiques et théoriques majeurs autorisant - techniquement parlant - de penser les réformes institutionnelles nécessaires pour asseoir sa légitimité et renforcer la décentralisation («que la mouture... semble avoir totalement ignorée»). Cette même aspiration à l'érection de contre-pouvoirs et à la gouvernance «d'en-bas» est défendue par les signataires du «Manifeste pour une Constitution du Peuple souverain» (3). (1). Bettelheim ; Luttes des classes en URSS, Tome 3 (2). Le Quotidien d'Oran du 11 mai 2020, Rubrique «Débat» (3). Le Quotidien d'Oran du 13 mai 2020, Rubrique «Opinion» (4).https://www.lavantgarde-algerie. com/article/chroniques/manifeste-pour-une-constitution-du-peuple-souverain |
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