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Débat :
Israël-Etats-Unis, chronologie d'une alliance sacrée: Première partie : 1948-1958
par Tahar Benabid* ![]() Il est de notoriété publique
que, depuis des décennies, la politique moyen-orientale des Etats-Unis est
frappée du sceau de l'appui total, inconditionnel et immuable à Israël.
L'alliance entre ces deux Etats a commencé à se tisser à la fin des années cinquante
et a fini par devenir une union presque sacrée, que rien ne semble pouvoir
troubler. Outre le précieux soutien diplomatique, l'aide financière et
logistique accordée à l'entité sioniste sur le plan militaire est considérable.
Après la Seconde Guerre mondiale, entre 1946 et 2024, elle s'élève à 228 milliards de dollars (Source : émission BfmTV du 15 mai 2025) ; une aide jamais égalée dans l'histoire. Se pose alors deux questions lancinantes pour le commun des mortels : Pourquoi un tel traitement de faveur et autant de largesses ? En quoi cela peut-il servir les intérêts américains ? De par sa vision et son orientation pragmatique en matière de politique extérieure, le gouvernement américain est, dans son « œuvre de bienfaisance » envers Israël, naturellement mû par des intérêts économiques et géostratégiques au Moyen- Orient. Est-ce la seule raison ou serait-il sensible à des impératifs moraux ? Que nenni ! Il est indéniable que les groupes d'influence juifs jouent un rôle central dans les mécanismes de soutien sans limites et d'obtention des privilèges en question. Il serait prétentieux de penser développer un thème aussi large et complexe dans un article de presse. Il en faut bien plus. Des thèses universitaires, des articles de presse, des enquêtes bien documentées et des ouvrages peuvent être consultés à ce sujet, via internet et autres supports. Néanmoins, nous allons apporter quelques éléments à même d'éclairer, un tant soit peu, le lecteur. Pour ce faire, nous allons, modestement, interroger l'histoire ; d'abord concernant l'alliance Etats-Unis-Israël dans le présent article et sa suite. Nous traiterons du lobbyisme pro-israélien aux USA dans une autre contribution. Pour rappel, le partage de la Palestine, alors sous mandat britannique, est approuvé le 29 novembre 1947 à l'ONU par le vote de la résolution 181. Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame la création de l'Etat d'Israël. Dès les premières heures du lendemain, le président des Etats-Unis, Harry S. Truman (mandature : avril 1945-janvier 1953), qui avait déjà en octobre 1946 déclaré publiquement son soutien à la création d'un Etat juif et qui a pesé de tout son poids dans le vote de la résolution 181, décide de reconnaître le nouveau-né. Ce fût plus pour des considérations de politique intérieure que de visées géostratégiques dans la région du Moyen-Orient. Un sondage réalisé en 1948 révèle que 90% des citoyens américains étaient favorables à la création d'un Etat juif. Les raisons en sont multiples, allant de l'empathie envers les juifs persécutés par le nazisme, à de la sympathie pour le sionisme, très actif et influent en Amérique. Soucieuse de préserver ses relations avec les Etats de la région, qui voyaient d'un très mauvais œil l'implantation d'un Etat juif dans leur environnement, l'administration américaine n'envisageait guère à cette époque d'engager une alliance avec Israël. Le secrétaire d'Etat, John Marshall, et ses proches collaborateurs jugeaient qu'une telle posture porterait préjudice à l'influence et aux intérêts américains dans la région auprès des Etats arabes. Ainsi, les Américains ont adopté, jusqu'à la fin des années cinquante, une politique mesurée. Les premières années de l'existence de l'Etat hébreux, l'aide américaine accordée au gouvernement israélien se chiffre seulement à une soixantaine de millions de dollars par an. En particulier, Washington refuse de vendre des armes à Tel-Aviv. La France, en ces temps alliée stratégique et militaire d'Israël, s'en chargeait. Par ailleurs, dans le contexte de guerre d'influence, les Américains craignaient qu'un rapprochement avec Israël aurait pour conséquences fâcheuses le tissage d'alliances entre l'URSS et les Etats et monarchies arabes. Face à la menace soviétique, Washington adopte la politique de « l'endiguement » (containment politik en anglais). En février 1955 est fondé le Pacte de Bagdad, appelé Traité d'organisation du Moyen-Orient. Il est composé de l'Irak, la Turquie, le Pakistan, l'Iran et le Royaume-Uni, rejoints par les Etats-Unis en 1958. L'Alliance se donne pour but de stopper l'extension du communisme et de l'influence de l'URSS dans la région. Le successeur de Truman, Dwight D. Eisenhower (mandat présidentiel : janvier 1953-janvier 1961) garde la même ligne politique, tout en la renforçant. Sa doctrine consiste à accorder assistance économique et militaire aux pays de la région qui en feraient la demande. Un document, présenté devant le Congrès américain le 5 janvier 1957, précise, je cite : « En vue d'assurer et de protéger l'intégrité territoriale et l'indépendance économique de ces nations ( ) contre une agression armée ouverte de toute nation contrôlée par le communisme international ». En clair, il s'agit de rallier aux Etats-Unis, les pays arabes et musulmans de la région, les mettre sous sa coupe, en vue de stopper la progression soviétique. Pendant que les arabes dormaient sur leurs pâles lauriers, les Israéliens aiguisaient leur appétence coloniale expansionniste et s'activaient à s'en donner les moyens. L'implication d'Israël dans des opérations militaires dans la région, notamment l'agression d'un village jordanien en 1953 et la crise du canal de Suez en 1956, ne s'accordaient pas avec la doctrine d'Eisenhower. Ce qui explique la condamnation rigoureuse desdits évènements par les USA auprès de l'ONU. D'ailleurs, c'est sous la pression américaine que l'armée israélienne s'est retirée du Sinaï en mars 1957. La conjoncture internationale des années cinquante était marquée par le recul d'influence des empires coloniaux français et anglais, qui se sont retirés de leurs colonies et dont l'expédition militaire de Suez en 1956 fut un fiasco. Le champ de bataille géostratégique était pour ainsi dire dès lors exclusivement occupé par les deux puissances mondiales que sont les Etats-Unis et l'URSS. Dans un climat de guerre froide, elles se disputent le ralliement des Etats de la région. Dans le camp américain on compte les Etats membres du pacte de Bagdad de 1955 et l'Arabie saoudite. Les relations diplomatiques entre cette dernière et les Etats-Unis remontent aux années trente ; elles furent scellées en 1951 par un accord d'assistance mutuelle. La Syrie s'allie plutôt étroitement à l'Union Soviétique, auprès de laquelle elle trouve soutien et assistance. L'Egypte de Gamel Abdel Nasser, élu président en juin 1956, mène une politique socialiste et panarabe. Elle s'allia naturellement à l'URSS. En août 1956, Moscou reconnaît la nationalisation du canal de Suez par le président Abdel Nasser et propose même à l'Egypte un appui militaire ; ce qui a, avec l'appui conjugué des Américains, conduit les troupes franco-britanniques à se retirer du canal. Globalement, l'échiquier politique à la fin des années cinquante se caractérise par la partition des zones d'influence entre Américains et Soviétiques. Les Etats arabes, engagés dans des relations de dépendance, voire de vassalité, vis-à-vis des deux puissances, faisaient figure de faibles nations assistées. Le développement du mouvement panarabe est un autre élément qui a joué dans le changement de politique américaine vis-à-vis d'Israël. Approché par les militaires syriens, Abdel Nasser, leader charismatique du panarabisme, saisit l'occasion pour plaider en faveur de l'Union panarabe. Le premier février 1958 se crée la République Arabe Unie (RAU), qui associe la Syrie et l'Egypte, avec Le Caire comme capitale. Le 22 février, Nasser est porté président de la RAU par référendum. Cette union a été accueillie avec allégresse par la grande majorité des peuples arabes. En Irak, les manifestants demandent le retrait du pacte de Bagdad et l'intégration de leur pays à la RAU. Le Yémen du Nord rejoint le nouvel Etat d'union, mais avec un statut secondaire. La région connaît un remue-ménage sans précédent. Au Liban, des combats éclatent en mai 1958 entre les partisans du président Camille Chaman, pro-occidental, et les milices nationalistes arabes. L'intervention américaine met fin aux affrontements et à toute possibilité de ralliement du Liban à la RAU. Fatalement, les luttes intestines, les différends politiques et religieux, les rivalités entre Etats, les velléités d'hégémonie de certains pays et autres, ont fini par avoir raison des espoirs des peuples arabes. Ibn Khaldoun avait bien raison de dire : « Les arabes se sont mis d'accord pour ne pas être d'accord ». En tout cas, la RAU n'a produit que déception au sein des peuples arabes ; son échec définitif fut acté par le retrait de la Syrie en septembre 1961. Grande fut l'amertume des populations du monde arabe face à la déconfiture du panarabisme, qui a vite montré ses limites en termes de mobilisation et de fédération des moyens des pays arabes, ô combien importants. Pire encore, il favorisa le rapprochement entre les Etats-Unis et Israël. Les Américains voient dans le courant panarabe un concurrent qui viendrait s'ajouter aux Soviétiques ; d'où l'idée d'impliquer Israël, en relations hostiles avec les arabes, pour contrecarrer ce mouvement, du moins pour l'endiguer. En même temps, émerge au sein du jeune Etat d'Israël une armée qui fait preuve de capacités appréciables. En effet, le potentiel militaire israélien s'est avéré particulièrement efficace durant la crise de Suez. Il manifesta à cette occasion des signes de supériorité dans la région, qui s'affirma davantage au fil des années ; ce qui n'a pas manqué de susciter l'intérêt des Américains. En 1958, la Jordanie est secouée par une coalition de nationalistes arabes jordaniens et palestiniens. Le roi hachémite Hussein sollicite alors l'aide des Américains. Ces derniers, aidés par des troupes israéliennes, interviennent pour rétablir l'ordre dans le royaume. L'implication de militaires israéliens dans cette compagne fut un prélude à un partenariat naissant, tant sur le plan militaire que celui du renseignement. Dans la stratégie politique, le renseignement est incontournable. Les Etats-Unis, à l'instar de tous les Etats, disposent évidemment de puissants services de sécurité extérieure, CIA et autre. Pour plus d'efficacité, la collaboration avec les Israéliens se présente comme une belle opportunité, voire une nécessité. Evidemment, qui mieux que les juifs israéliens pour infiltrer les sociétés et institutions arabes. Les hébreux (ne pas confondre hébreux et juifs d'Occident qui ne sont pour la plupart que des convertis au judaïsme) et les arabes, tous deux sémites, se ressemblent physiquement, se connaissent bien et se mélangent parfaitement. Dans les années vingt, pendant le mandat britannique sur la Palestine, des milices étaient organisées pour défendre les colonies juives contre les arabes. C'est à partir de ces milices que s'est formée en 1920 la Haganah, une organisation paramilitaire juive, noyau de la force de défense d'Israël, ancêtre des forces armées de Tsahal. La Haganah possédait un service de renseignements et de contre-espionnage appelé SHA'Y, embryon du Mossad (service de renseignements israélien, créé en 1949, chargé du renseignement extérieur et des opérations spéciales en dehors des frontières de l'Etat d'Israël). Au sein du SHA'Y existait un service chargé de recruter des Palestiniens en vue de lui fournir des renseignements. Les services spéciaux britanniques fournissaient le Haganah en armes et en fonds, en échange d'experts en langues et d'aides à la conduite des opérations. Ainsi, le Mossad, issu du SHA'Y, avait dès les premières années de sa création une assise et des compétences appréciables dans la région. Le Mossad est l'un des trois grands services de renseignements israéliens aux côtés du Shin Beth (renseignement intérieur) et de Aman (renseignement militaire). C'est dire que les services de renseignement israéliens sont, dans la perspective de l'alliance qui se profile en cette fin des années cinquante, une carte précieuse pour les Américains dans la compétition géostratégique au Moyen-Orient. L'analyse pragmatique des évènements et de la nouvelle donne politique conduit Washington à opérer un changement radical de politique à l'égard d'Israël. En clair, les Américains prennent conscience de la valeur stratégique du jeune Etat sioniste dans une région en ébullition, dont ils ne souhaitent pas perdre le contrôle au profit de leurs concurrents. L'oracle est dit : Israël ne paraît plus gênant pour les desseins de l'Amérique ; il est désormais considéré comme un allié potentiel dans la stratégie d'établissement de l'ordre qu'elle veut imposer au Moyen-Orient, un soutien précieux pour assurer la sécurité et la stabilité des « pays amis de l'Amérique » et un rempart face au panarabisme, mais surtout face aux proches et aux alliés de l'Union Soviétique. En résumé, les Américains ont ouvert en cette fin des années cinquante la voie à la coopération militaire et stratégique entre Israël et les USA. Elle connaîtra une évolution spectaculaire les années qui suivront. Le processus de développement de l'alliance américano-israélienne au fil des années sera abordé dans les prochains articles, sous le même titre pour différentes périodes. *Professeur |
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