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Les événements tragiques de cette dernière semaine touchent tout le monde
: les Français, les Européens, les Arabes, les Africains, les musulmans, les
juifs, les chrétiens, les journalistes, les dessinateurs, les intellectuels,
les artistes, les policiers, les militaires, les enseignants, les jeunes, les
femmes, les vieux...
On vit dans un noeud d'événements qui touchent tous et chacun, qui font mal partout, qui remettent en cause nos façons de faire et d'agir, qui obligent à reconsidérer les relations politiques, la façon de faire la politique. Des événements qui vont jusqu'à nous interroger sur ce que veut dire un drapeau, ce que signifie solidarité, ce qu'est faire société... A mon avis, où que l'on soit, il faut se préparer à l'après, ne pas en rester à cette émotion salutaire qui ne doit pas laisser place au vide émotionnel qui succède aux grands chocs. Chacun doit envisager d'autres actions, imaginer quelle attitude est le plus à même de ne pas laisser revenir la routine et les habitudes dans lesquelles on vit. Comment entreprendre de revoir à la base ce qui se passe dans nos sociétés, au sein des familles, dans les écoles (et pas seulement les manuels), dans les médias (et pas seulement les programmes). En Tunisie, les cercles d'action ne sont pas suffisamment dessinés, ni opératoires sur la durée. Même après 4 ans de «transition», nous manquons de cadres d'expression publique et d'action, contre le racisme, la violence et le terrorisme. Même si nous sommes sous l'avalanche, nous avons plus que jamais besoin de créer des espaces publics stables pour traiter ces questions, car des signes inquiétants sévissent chez nous. Nous vivons une actualité tissée de cette folie qui a tué plusieurs dizaines de soldats et de policiers particulièrement visés depuis 2011, sans compter les assassinats de figures et militants politiques. Nous avons besoin de trouver des formes à partir desquelles on doit se positionner, sans passion et sans unanimisme, contre les dérives violentes et les poisons qui infestent les relations sociales comme le fanatisme et l'intolérance, anciens et réactivés ces derniers temps. Cela fait partie des évolutions encore à faire dans la Tunisie post 2011. L'attaque terroriste de Charlie Hebdo et les attentats qui l'ont accompagnée ont produit des journées d'horreur qui ont ébranlé le monde. Ces secousses auront permis aux services tunisiens de sécurité d'avancer dans les réseaux qui semblent puissants, efficaces. Ont-ils été couverts par le gouvernement de la «Troïka» et le suivant, en instance de partir ? Les arrestations qui ont eu lieu ces derniers jours vont-elles entraîner des enquêtes approfondies ? Saura-t-on plus sur les responsabilités tunisiennes jusque là masquées par l'actualité très riche et difficile à démêler ? Même si nos médias ne sont pas tout à fait en mesure de suivre ce qui se passe, il ne faudrait pas qu'on en reste au niveau sécuritaire qui prend toute la place, comme c'est toujours le cas en cas de danger. La politique -dont on manque déjà horriblement- doit se faire d'une façon plus consciente des contradictions qui la minent, des pratiques secrètes qui protègent les seuls puissants. Depuis plusieurs jours, je pense très fort aux Algériens qui ont perdu il y a vingt ans tant de morts dans toutes les couches sociales, tant de journalistes et d'intellectuels. Ils ont été submergés par cette vague d'éradication qui paralyse aujourd'hui le pays. Je pense aux Syriens qui perdent tous les jours des morts de toutes conditions face à des forces frelatées. Je pense aux Yéménites, Saoudiens, Libyens, Irakiens, Egyptiens, Palestiniens empêchés de s'exprimer, en taule ou en exil, aux femmes de ces pays livrées à des lois indignes... Si l'élan, concentré en France ces jours ci peut faire réfléchir sur tous ces faits et ces situations zappés par le main stream médiatique, si cette secousse faire bouger les lignes de la solidarité, faire avancer l'idée que le monde a besoin de tous, que la liberté est un bien minimum, une ressource vitale... Alors ces morts en France serviront un peu à l'humanité. L'émotion partagée par des millions de gens à travers le monde doit servir à installer une mentalité plus réconfortante que ces dernières décennies faites d'égoïsmes, d'escalades, de crispations et même de guerres. Comment installer un cercle plus humain et plus vertueux ? Comment faire pour construire des relations politiques moins inégalitaires, pour qu'on apprenne à moins faire subir les magouilles financiaro-économiques qui régissent la grammaire des relations internationales. Les politiciens doivent changer de modèle et craindre les atteintes à leur société (et non pas leur seul électorat). Nous avons besoin de cultiver concrètement l'idéal de lien et de solidarité, en étant conscient que les dégâts ne vont pas s'arrêter. La diplomatie comme la gestion au local, le rôle des forces de sécurité comme l'administration, les agents de l'ordre comme les enseignants, les douaniers comme les militaires, les médias comme les responsables religieux doivent réfléchir et agir de façon plus responsable. Loin de tout idéalisme, je pense chacun est interpellé, chacun doit faire bouger ses propres lignes dans sa tête et dans son comportement pour arrêter le cercle de la haine, pour que la peur ne s'installe pas durablement et que la violence ne reste pas le seul horizon. Le cercle doit s'inverser. Comment ? Malgré les récupérations et les commentaires désabusés, malgré les rancoeurs et les reproches sur cette émotion sélective, il faudrait que cette secousse européenne serve au plus grand nombre et partout. Les angoisses et horreurs vécues cette semaine nous obligent à réviser nos actions et nos liens pour que le passé colonial, l'immigration, les inégalités raciales, les rapports entre femmes et hommes bougent dans un sens moins inique. C'est le monde arabe qui doit en tirer le plus de leçons (et le plus d'avancées) car nous sommes loin des minima... Je crois que les choses sont enclenchées depuis quelque temps, avec les hauts et les bas que suppose chaque évolution. Alors continuons et NO PASARAN ! |
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