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«L'enracinement est peut-être le
besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. Chaque être
humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la
presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par
l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie» (Simone Weil :
L'Enracinement, éditions Gallimard, 1949).
Argelès-sur-Mer. Août 2019. Eric Cantona inaugure un stade de football à son nom. La barbe de prophète le patriarchise avant l'âge. Sa gloire sportive le poursuit malgré ses rebuffades. Il se rend, larmes aux yeux, au mémorial pour les victimes du camp de Rivesaltes, où ses grands-parents maternels se retrouvent comme d'autres républicains espagnols. « Il faut garder en mémoire ces moments douloureux, même si nous ne les avons pas vécus. Ils sont aussi notre héritage. Mes grands-parents sont arrivés à Argelès-sur-Mer, avec d'autres révolutionnaires qui ont combattu Franco, puis ils ont été envoyés dans le camp de Rivesaltes, puis à Saint-Étienne-Cantalès pour construire un barrage avec des milliers d'autres personnes, des étrangers corvéables à volonté. À notre façon, en revenant sur les traces de ces événements, nous essayons de mieux comprendre. Mieux nous comprenons nos origines, mieux nous grandissons ». Ses grands-parents n'ont eu qu'un quart d'heure pour quitter à jamais leur maison, traverser les Pyrénées, fuir la guerre civile et le franquisme. Ils ne cherchaient même pas une vie meilleure, juste une existence tranquille, fût-elle de misère. C'est un camp de concentration qui les accueille, dans une baraque insalubre. Le rugbyman philosophe du « Bonheur dans le pré » (1995) d'Etienne Chatiliez a définitivement choisi le parti de Socrate. L'orgueil laisse place à l'autodérision : « Je ne suis pas un homme. Je suis Cantona » (Ken Loach : Looking for Eric, avec Eric Cantona dans son propre rôle). Cantona est, avant tout, artiste peintre, une palette expressionniste qui exprime, mieux que les mots, son intériorité volcanique. L'excentricité dévastatrice n'en est que la lave refroidie. Il rencontre, pendant le tournage de « L'Outremangeur » (2003) de Thierry Bistini, son épouse actuelle, l'actrice algérienne Rachida Brakni. Il complète son puzzle méditerranéen d'un versant sud. S'écartent les épines, ne demeure que le cœur d'artichaut. Il glisse, mine de rien : « Il n'y a que la beauté qui m'inspire ». « La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu'à l'âme » (Simone Weil : La Pesanteur et la Grâce, éditions Plon, 1947). Il refuse les films d'action, la distraction pour la distraction. Il ne s'intéresse qu'à la création artistique, littéraire, philosophique. Il se coule au théâtre dans le rôle d'Ubu enchaîné d'Alfred Jarry, qui se fait esclave pour éprouver l'humaine résistance. Dans «Marie et les naufragés» (2016) de Sébastien Betbeder, il campe un écrivain en butte à l'indescriptible tourmente morale provoquée par la muse en grève. Dans « Ulysse et Mona » (2019) du même Sébastien Betbeder, il incarne un artiste en souffrance du monde, retiré dans un vieux manoir au milieu de la forêt, qu'une jeune admiratrice sauve de l'angoisse mortifère. Le personnage est suspendu entre le réel et l'imaginaire, puise dans l'improbable passerelle la substance de son œuvre, sa rudesse apparente et sa tendresse transparente, son attitude rustique et sa magnitude romantique. Le cinéma, son espace infini, où il peut se dédoubler, se démultiplier, sans scrupule identitaire. *Sociologue, écrivain, artiste peintre |
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