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Repenser la sécurité nationale à la lumière de la pandémie Ebola

par Abderrezak Bouchama

La communauté internationale s'est lancée dans une course effrénée pour stopper la propagation de la pandémie Ebola qui sévit en Afrique de l'Ouest depuis le mois de mars 2014.

Les derniers bilans donnés par le Center for Diseases Control (CDC) américain à la date d'aujourd'hui (14 octobre 2014) sont très inquiétants : 8400 patients infectés dont 4003 sont déjà décédés, entre les 3 pays concernés à savoir la Guinée, le Sierra Leone, et le Liberia. Les risques d'extension aux pays voisins, Nigeria, Sénégal et même à l'Europe et aux USA sont également réels. La contamination secondaire d'infirmières en Espagne et au Texas, malgré leur équipement protecteur reste sans explications convaincantes, à part de possibles erreurs de manipulation a ébranlé certaines certitudes. Elle soulève de nouvelles interrogations sur la contagiosité et le mode de transmission de ce virus.

Le président Obama a déclaré le 16 septembre, que le contrôle de la pandémie d'Ebola, représente une priorité pour la sécurité nationale des Etats Unis d'Amérique. Il a ordonné l'envoie au Liberia de 3000 soldats, la formation de plus de 500 personnels soignants sur place par semaine et le déploiement de 17 hôpitaux de campagne de 100 lits chacun. Il a été suivi rapidement par le conseil de sécurité qui a voté le 18 septembre une résolution déclarant que l'épidémie d'Ebola est " une menace pour la sécurité et la paix internationale ". Et, constatant de facto l'échec de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), il a engagé le secrétaire général de l'ONU à prendre les mesures adéquates pour combattre l'épidémie.

Les mesures annoncées sont simplement stupéfiantes. Elles comportent, par exemple, le déploiement d'une vingtaine d'hélicoptères, des centaines de véhicules tout terrains, des millions de combinaisons de protection? En fait du jamais vu dans l'histoire des luttes contre les épidémies, sauf dans les scenarios de grands films catastrophes hollywoodiens mais il s'agit là, malheureusement, d'un cauchemar bien réel.

Les prédictions se suivent et se ressemblent toutes, celles récente publiée dans la prestigieuse revue du New England Journal of Medicine est effrayante car elle estime que le nombre de personnes infectées dépassera les 20.000 dés le mois de novembre(1). Autant dire qu'en l'absence de contrôle de la pandémie, les populations de ces trois petits pays africains risquent simplement d'être décimées, à l'image des grandes épidémies de peste du moyen âge où l'infection ne s'arrête que lorsque le tiers voire la moitié de la population disparait.

Ces réactions spectaculaires n'effacent pas pour autant la responsabilité de la communauté internationale, en particulier celle des pays Européens dont la France. Ils ont fait collectivement preuve d'une incroyable indifférence face à la souffrance et à la ruine de ces trois pays, parmi les plus démunis au monde. Alors qu'ils sont si présents en Afrique et si prompts d'habitude à déployer des forces d'interventions militaires quand leurs " intérêts nationaux " leurs semblent menacés. Le dévouement et le travail remarquable des organisations non gouvernementales comme Médecins Sans Frontières, animées par les citoyens de ces pays, qu'il faut saluer ici, ne dédouanent aucunement leurs gouvernements.

Cette pandémie marquera également de manière durable l'échec de l'OMS, dont les missions seront probablement profondément bouleversées après Ebola. Son Directeur General, Margaret Chan, a bien essayé mais vainement de se dédouaner dans une intervention récente, en expliquant que c'est aux gouvernements de faire face aux épidémies, l'OMS n'étant là que pour offrir une assistance technique.

Finalement, le seul point positif, s'il y en a, c'est que cette pandémie d'Ebola serve de révélateur puissant pour tous les pays moins avancés, dont notre pays, pour repenser leur propre stratégie de défense sanitaire et de biosécurité contre les infections émergentes et autres menaces biologiques malveillantes. En sachant qu'il ne faut compter sur aucune aide extérieure significative. Leçons apprises de la pandémie d'Ebola.

Le virus d'Ebola a fait parlé de lui pour la première fois en Septembre 1976 dans la région de Yambuku, le Zaïre de l'époque et actuellement la République Démocratique du Congo, où il entraina la mort de 280 personnes(2). Ebola est d'ailleurs le nom de la rivière qui traverse Yambuku. Depuis, quatre autres souches de cette famille appelée les filovirus, ont été détectées, dont la souche dite Zaïre qui sévit actuellement est la plus virulente. Le réservoir de ce virus est une chauve souris frugivore, se nourrissant donc de fruits. C'est à partir d'elles que l'on pense que les singes, chimpanzés, antilope, et autres animaux sauvages ont été contaminés, avant de transmettre le virus à l'homme. Le virus se propage par contamination interhumaine, lors de contacts directs avec les secrétions de patients infectés et manifestant les signes et symptômes de la maladie. Ceux-ci consistent en fièvre, maux de tète et gorge, douleur musculaire, similaire a ce qu'on ressent lors d'une grippe saisonnière, à la différence qu'ils sont rapidement suivis de nausée, vomissement, diarrhée, éruption cutanée, saignement diffus externe (gingivale, selles) et/ou interne, atteinte rénale et hépatique.

La période d'incubation varie de 2 à 21 jours pendant laquelle la personne n'est pas contagieuse. Il est important de noter également et fort heureusement, qu'il n'y a pas de transmission par l'air comme les virus de la grippe

Plus d'une vingtaine d'épidémies d'Ebola se sont déclarées dans les pays de la région, causant la mort à chaque fois de centaines de personnes au Congo, au Soudan du sud, au Gabon, en Cote d'Ivoire, avant d'atteindre la Guinée, le sierra Leone et le Liberia, au mois de Mars de cette année 2014.

Il n'existe pas à l'heure actuelle de traitement, ni de vaccin contre ce virus hautement létal : il tue plus de 50 a 70% des personnes infectées. Les agitations actuelles sur des essais thérapeutiques de nouvelles molécules et vaccins qui arrivent de partout dont les Etats Unis, le japon et l'Europe ne doivent pas masquer, là également, une autre triste réalité. C'est que ni ces pays, ni leurs puissantes industries pharmaceutiques n'ont senti, jusque là et depuis 40 ans, la nécessité de le faire, pour la simple raison que l'opération est estimée commercialement non rentable. Les vaccins et nouveaux traitements proposés " spontanément " a titre compassionnel par certains laboratoires sont simplement le résultat de programmes de recherche en biodefense dans ces mêmes pays, en particulier aux USA (3)

Il est donc absolument vital que notre pays développe cette filière de biotechnologie des vaccins et de traitements antiviraux. Lors de l'épidémie de grippe aviaire par le virus H1N1 en 2009, l'OMS avait prédit une pandémie pouvant tuer potentiellement plus de 50 millions de personnes à travers le monde. Les firmes multinationales Roche et Glaxo avaient mis au point un traitement (le Tamiflu) et un vaccin, respectivement. Ces deux compagnies pharmaceutiques avaient alors tout de suite communiqué sur l'insuffisance de leur capacité de production, avec pour conséquence l'impossibilité de satisfaire les besoins. Ce qui a provoqué la panique chez les décideurs gouvernementaux du monde entier et une course inter-états des plus indécentes à s'accaparer des stocks disponibles. Plusieurs pays alors, dont l'Inde qui avaient un savoir faire avéré en ce domaine, avaient déclaré qu'ils fabriqueraient eux mêmes un générique du Tamiflu, brevet ou pas pour protéger leur population, si cela s'avérait nécessaire.

Heureusement que les prédictions de l'OMS ne se sont pas confirmées, sinon notre population n'aurait pas été protégée contre un danger mortel. Un système de santé fort est devenu une nécessité stratégique pour la sécurité nationale. La surveillance aux frontières décidée par notre pays est une bonne chose, mais cela reste très insuffisant. Il faut repenser tout le système dont les services des urgences qui doivent être équipés de systèmes de détection et d'alerte en temps réel de l'augmentation inhabituelle de patients venant consulter pour une symptomatologie similaire (fièvre, diarrhée, difficultés respiratoires?), faisant suspecter une exposition de la population à un danger infectieux, chimique ou autres. Des moyens de diagnostics moléculaires ultrarapides sont disponibles, ils devraient être à la disposition de personnels soignants bien formés à ces techniques dans la majorité des laboratoires du pays. Des laboratoires de niveau P3 fixes ou mobiles, et même P4 dans les grandes régions du pays, doivent être présents pour manipuler des micro-organismes hautement pathogènes et sans thérapies possibles comme le virus d'Ebola. Enfin, des plans de réactions rapides sont à mettre au point et testés régulièrement pour faire face convenablement à ces dangers infectieux émergents et de plus en plus fréquemment et voire même à ceux d'une attaque bioterroriste.

En effet, virtuellement tous les virus peuvent être synthétisés au laboratoire dont le virus d'Ebola (4), et celui de la fameuse grippe espagnole qui est 10.000 fois plus virulente que celui de la grippe aviaire de 2009 (5). Les états n'ont pas d'amis éternels, ils n'ont que des intérêts éternels disait jadis un grand chef d'état européen. Nous nous permettons d'ajouter qu'en ce 21eme siècle, particulièrement agitée et trouble, notre état n'a que des ennemis potentiels.

1. Ebola Virus Disease in West Africa - The First 9 Months of the Epidemic and Forward Projections. N Engl J Med 2014.

2. Ebola virus disease--current knowledge. N Engl J Med 2014, 371(13):e18.

3. Ebola research fueled by bioterrorism threat. CMAJ 2014.

4. Generation of biologically contained Ebola viruses. Proceedings of the National Academy of Sciences 2008

5. Characterization of the reconstructed 1918 Spanish influenza pandemic virus. Science 2005