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C'est l'un des films attendus de cette rentrée puisqu'il est l'œuvre du
duo Olivier Na kache et Eric Toledano, déjà auteurs d' «Intouchables», le plus
gros blockbuster français de tous les temps avec ses 445 millions de dollars de
recettes à travers le monde entier. Et l'attente est d'autant plus forte que,
cette fois encore, les deux réalisateurs ont fait appel à Omar Sy, leur acteur
fétiche. Télés, journaux, radios et réseaux sociaux : « Samba », c'est le titre
du film, est déjà partout et il sera impossible d'échapper à la machine
promotionnelle (ce qui n'est certes pas un gage de succès quand on voit ? ah,
quel plaisir ? que la pièce de BHL s'est joliment vautrée faute de spectateurs
et cela malgré un impressionnant pilonnage médiatique de plusieurs semaines).
En parlant de « Samba » on évoquera forcément le sort des sans-papiers puisque c'est la toile de fond du film. Omar Sy, l'un des acteurs préférés des Français, y campe en effet le rôle d'un clandestin sénégalais qui travaille depuis dix ans au noir comme cuistot dans un restaurant. L'objet de cette chronique n'est pas de juger de la qualité du film ou même de sa vraisemblance. Ce qui importe c'est qu'il va, l'espace d'une campagne de promotion, mettre la question des sans-papiers au centre des débats. Oui, on va enfin parler de ceux dont on ne parle presque jamais si ce n'est pour les stigmatiser et les accuser de miner la cohésion de la France, sa République ou je ne sais quel autre totem soit disant menacé par l'Autre. Bien entendu, le risque est grand que l'on parle de cette cohorte d'invisibles en versant des larmes de crocodile. Présentateurs, péagistes du show-bizness, éditorialistes et autres animateurs revenus de tout vont probablement afficher des mines de circonstance en louant l'humanité du film. Mais, l'espace d'un instant, on aura l'impression que la France regarde enfin ses clandestins. Qu'elle les considère d'une autre manière, un peu plus chaleureuse comme elle l'a fait avec les handicapés et les enfants de la banlieue après la sortie d' «Intouchables». C'est, dira-t-on, la magie du cinéma. Nul besoin de grandes démonstrations ou de longs discours. L'émotion qui est transmise au spectateur est le meilleur moyen de faire prendre conscience d'une réalité occultée. Celle de dizaines de milliers de personnes forcés à la clandestinité, à une existence précaire où ils sont à la merci de tout : un contrôle de police inopiné, une dénonciation, un marchand de sommeil qui ne cesse d'augmenter ses prix, un patron peu scrupuleux... Il y a quelques jours, j'ai fixé rendez-vous à un ami tôt le matin dans un café proche de Montparnasse. J'avais oublié que l'endroit, très prisé par la jeunesse (d'où lui vient l'argent, c'est une question récurrente?), fermait très tard la nuit et n'ouvrait que pour le repas de midi. Mais les portes étaient ouvertes. A l'intérieur, dans l'obscurité, deux hommes originaires du sous-continent indien terminaient de nettoyer la grande salle. En me voyant entrer, ils ont eu un geste de recul, et la peur s'est clairement affichée sur leur visage. Je leur ai adressé un bref signe de salut et je suis ressorti, un peu honteux, en tous les cas pas très fier de moi. Comment font ces gens ? Comment vivent-ils avec cette peur d'être appréhendés à tout moment ? Et qui s'en préoccupe vraiment ? A l'heure du zemmourisme triomphant, il est bon qu'un film se penche avec une certaine humanité sur le cas des sans-papiers. Est-ce que cela sera suffisant pour modifier la donne ? Rien n'est moins sûr. Car, dans la réalité, être sans-papier sous le règne présidentiel de François Hollande équivaut à vivre en Sarkozie. Rien n'a changé puisque le nombre de régularisations et d'expulsions d'étrangers dits en situation irrégulière est équivalent à celui du quinquennat précédent. Pourtant, depuis le début des années quatre-vingt, chaque gouvernement de gauche a concédé au moins une régularisation de sans-papiers. Aujourd'hui, et dans le climat délétère que l'on connaît, cela semble chose impossible. Le gouvernement « pro-business » pour reprendre les propos du Premier ministre d'origine espagnolo-catalane Manuel Valls (pour les lecteurs de ma précédente chronique, on peut aussi dire qu'il s'agit d'un Premier ministre immigré?) n'entend pas renoncer à une politique dont le fondement est de ne pas donner prise aux critiques de l'extrême-droite et de la droite extrême. Les politiques d'immigration et d'intégration sont construites comme des politiques d'opinion qui ont une rentabilité, et non comme étant capables de transformer la vie des gens dans les banlieues ou sur le marché du travail » note ainsi Christophe Bertosi, le directeur du centre migrations et citoyenneté à l'Institut français des relations internationales (IFRI) (*). Pour preuve, un mot comme régularisation a pratiquement disparu du discours politique. Quand il aborde ces questions, Manuel Valls n'évoque que le thème des naturalisations ? rappelons au passage que c'est à l'âge de vingt-ans qu'il est devenu citoyen français. Or, la naturalisation implique que l'on soit d'abord en situation régulière et cela depuis plusieurs années. Et la vraie question qui est posée et à laquelle Valls et se pairs refusent de répondre, concerne ces femmes et ces hommes qui vivent en France depuis parfois plus de dix ans et qui continuent de raser les murs pour échapper à la tristement célèbre Obligation de quitter le territoire français (Oqtf). Il suffirait juste d'un peu de générosité. Rien de plus. Mais il est vrai que cette qualité n'est certainement pas ce qui caractérise François Hollande et, encore moins, Manuel Valls ou même la pseudo-gauche que ces deux hommes prétendent incarner. (*) Libération, 30 janvier 2014 |
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