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Comment se résoudra l'équation algérienne ?

par Kamel Daoud

Mais où est Bouteflika ? Lui, pas son frère. Son frère on peut le croiser à Alger avec ses autres «frères» du moment. Mais l'autre. L'élu. A peine quelques mots depuis des mois. Le discours le plus long a été prononcé avec Wahid l'ex-entraîneur algérien. Pour lui demander de rester. A vie. Pour un mandat à vie. Mais l'ex-entraîneur est parti et le discours le plus long n'a servi à rien. Depuis, rien. Etrange situation. D'ailleurs tout le pays ressemble à son Président : il est élu mais absent, aux commandes mais dans le dos de lui-même, avec des portraits partout mais tout en étant nulle part. En gros l'Algérie est comme son Bouteflika. Ou l'inverse : pas d'implication, pas d'engagement, pas de mouvements vers l'est, l'ouest ou le sud. Un regard vers le nord et juste un sourire. De la neutralité. Pure au point de friser la consistance de l'invisible et ses atomes qui retiennent leur souffle. Dernière nouvelle : Bouteflika est classé par le magazine Forbes l'américain comme l'un des dix présidents les plus riches au monde. Le dixième. Le dernier. On ne sait pas comment cela va être pris : mal ou bien. Reste que c'est relatif. Les mauvaises langues disent que c'est une vraie fausse information : si on change la photo et on garde le nom, elle devient vraie.

Reste que la question est d'ordre pratique : ceux qui demandent la réactivation de l'article de destitution pour incapacité à exercer la Présidence, savent qu'ils n'ont aucune chance. Le pays lui-même est dans le cas de son Président. On ne peut pas destituer l'un sans l'autre. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un Président capable d'exercer ses fonctions ? Bouger, parler, manger ? Ou signer, désigner et nommer ? Beaucoup de Présidents algériens, depuis celui du GPRA, étaient dans l'incapacité d'exercer leur mandat. Pas à cause de la maladie mais de l'essence du régime. Passons sur le détail. La vérité est que Bouteflika est vraiment absent. Totalement. De plus en plus. Dans le monde qui regarde l'Algérie comme un île dans les naufrages « arabes », notre cas est unique. Un régime ultra présidentiel mais sans Président. Un peuple tombé du ciel. Une anomalie dans le schéma de la dictature.

Par épuisement et lassitude, on a cessé de se poser des questions depuis le 17 avril dernier. Cela ne servait à rien. Mais, il le faut encore : on va vers où ? C'est-à-dire comment va se résoudre cette situation ? Départ ? Décès ? Dispersion ?

Les mauvaises langues disent qu'on est face à trois issues, sans issues : 1 - Bouteflika va vers Dieu. Son frère l'hérite. Possible ? Oui : ce peuple a voté un absent, il peut élire un Ouzbek ou un Chinois. Les « frères » autour seront sécurisés, le régime sera verrouillé et sauvé et on continuera pour encore quelques années, avant de revenir vers la situation initiale. Seconde issue : Bouteflika va vers Dieu. Les siens perdent l'initiative et s'en vont. Exils, départs, retraite. Cela se peut. Sauf que les clients de la « famille » se méfient énormément. Trop dangereux, sans garanties. La confiance n'a pas été une vertu, depuis la guerre de Libération. La transition se fera dans la violence. Issue trois ? Bouteflika va vers Dieu, le pays aussi. Seuls les plus perspicaces iront vers les pays du Golfe ou l'Europe. Le régime tombera « mais sur nos têtes » comme a dit un ami.

Dans tous les cas, la paix allongée dont nous bénéficions pour le moment, glissant entre les gouttes de la pluie, épargnée par les révoltions, les invasions et les déstabilisations ne durera pas. On n'en a pas les moyens et on n'y réfléchit pas réellement. La question du régime est « combien va durer le règne des Bouteflika ? » pas « combien peut encore vivre libre et debout ce pays ? ».

On gère et vit ce pays encore par la peur, la méfiance ou la conviction qu'il ne va pas durer longtemps et qu'il vaut mieux en profiter pour le quitter riche, jeune ou au bon moment.

Etrange notre cas : en pleine tempête, entourée de sinistres, on rêve d'une histoire statique, d'immobilité, d'un monde-pause. Technique du rêveur face au monstre de son cauchemar : si je ne bouge pas, il ne me verra pas et il passera son chemin. Illusion. Et pour le moment, elle fonctionne. Le pays fonctionne avec un amplificateur de voix et un tuyau. Cela n'est pas suffisant. Bouteflika ira vers Dieu un jour ou l'autre. Et nous ? Où irons-nous avant la mort ?