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Les idées, les
concepts, les philosophies et autres idéologies, politiques ou religieuses, se
répandent dans les sociétés sous des noms formés de mots simples ou composés.
Les contenus derrière les appellations sont généralement peu connus ou mal
compris par le grand public et se prêtent souvent à diverses interprétations.
Par souci pédagogique et de clarté, il est utile de se pencher de temps à autre sur le sens des mots et leur étymologie. Les mots perdurent dans le temps, mais traversent les époques en perdant peu ou prou de leur sens originel. Il leur arrive parfois d'être carrément travestis. Historiquement, la notion de droite et de gauche trouve son origine dans la disposition des députés, par affinités, dans l'hémicycle parlementaire français. L'évènement marquant de ce fait, qui allait entrer dans les us partisans, s'est produit dans la salle où se tenait la réunion de l'assemblée constituante française, le 11 septembre 1789, quelques mois avant le déclenchement de la révolution populaire qui mit fin au régime de la monarchie absolue. Spontanément, les royalistes et les partis soutenant le roi occupèrent l'aile droite (à droite du président de l'assemblée) et leurs opposants investirent l'aile gauche. Ainsi est né le clivage droite/gauche. Dès lors, les termes gauche et droite furent introduits dans le lexique usuel pour qualifier les courants politiques. Cependant, la nature des entités à classer d'un côté ou de l'autre a beaucoup évolué au cours de l'histoire. La distribution des courants sur le spectre politique est toujours en rapport avec les enjeux de l'époque, tant politiques qu'économiques ou sociétaux. Au XIXème siècle par exemple, bonapartistes et monarchistes constituaient la droite française, avant de disparaitre après l'avènement de la IIIème République en 1870. D'autres mouvements apparurent à la fin du XIXème siècle, à l'instar du boulangisme (1885-1889) qui regroupait des républicains radicaux révisionnistes, des bonapartistes, des monarchistes et même une partie de la gauche et de l'extrême gauche ; un fourre-tout. Le boulangisme reposait sur deux thèmes principaux : la revanche contre l'Allemagne et une politique sociale au bénéfice du peuple. Ce qui n'a absolument rien à voir avec le clivage originel royalistes/opposants à la monarchie. L'extrême droite des années 1930 à 1960, dite ?'traditionnelle», a été principalement portée par des mouvements racistes, fascistes et nazis. De gauche à droite, le spectre politique classique se décline ainsi : communisme '! socialisme '!libéralisme '!conservatisme '!fascisme. Il convient de noter que les positions des uns et des autres sur le spectre ne sont pas figées ; l'apparition de nouvelles tendances politiques ou de transformations socioéconomiques chamboule habituellement le classement. Du reste, la notion d'extrême droite, comme celle d'extrême gauche, est abstraite et évolutive. Après la Seconde Guerre mondiale, l'extrême droite était marginale. Outre l'anticommunisme, l'antisémitisme résiduel et une certaine xénophobie, son crédo était le nationalisme, voire le souverainisme. On peut citer comme exemple le mouvement fasciste ?'Ordre Nouveau» (1969-1973) qui utilisait la croix celtique comme emblème. Ce mouvement a d'ailleurs participé à la création du Front National de Jean-Marie Le Pen en 1972. Il est communément admis que le qualificatif ?'extrême droite» désigne en gros ceux (partis politiques, associations, etc.) qui défendent des valeurs de droite, avec une certaine rigueur, voire avec radicalité. Cependant, lesdites valeurs sont difficiles à définir et à classer en tant que telles ; ce qui imprime une certaine subjectivité à la signification des termes usités. D'ailleurs, ceux qui sont taxés d'appartenir à l'extrême droite s'en défendent en se qualifiant plutôt de patriotiques, de défenseurs des valeurs nationales, d'être du côté du peuple, etc. Il est normal que l'on refuse d'assumer le fait d'être affilié à un courant idéologique qui a une connotation péjorative, en ce sens où il est devenu avec le temps antonomase de racisme et de xénophobie. La professeure d'université, historienne et politologue française, Ariane Chebel d'Appollonia (source Wikipédia) résume bien le caractère confus et équivoque de cette notion d'extrême droite, je cite : « Le terme a été appliqué à tant d'opinions ou de programmes politiques différents qu'une signification claire et acceptée par tous reste aléatoire ». Selon cette professeure, « l'extrême droite ne peut être perçue qu'en fonction d'une époque et des problématiques posées à un moment particulier de l'histoire ». Autrement dit, la droite, ou extrême droite, est hétéroclite et ses composantes changent de couleur en fonction des enjeux de l'époque. Néanmoins, on peut dire que les extrêmes droites, qui se distinguent généralement par des comportements de refus et de rejet, ont au moins en commun le chauvinisme, l'ethnocentrisme, une préférence nationale qui s'apparente souvent au racisme et, avec quelques nuances, le conservatisme social. En revanche, elles sont divisées sur la question religieuse : intégrisme religieux, laïcité et athéisme exacerbé cohabitent pour ?'la bonne cause». En ce qui concerne l'économie, les divergences ne manquent pas ; on y trouve diverses tendances, des plus libérales aux plus socialisantes. Sur le plan relation avec l'Etat, les positions sont variées. Les uns souhaitent son interventionnisme et les autres exigent sa neutralité. Mais il est historiquement reconnu que l'extrême droite a souvent été conspirationniste et cultive dans son idéologie le culte de la force et de la violence, verbale et autre. Raison pour laquelle ses tendances sont assimilées par ses adversaires politiques au fascisme et au nazisme, comme dans une sorte de rémanence des courants du passé. A noter au passage que les résidus de ces courants ont tendance à se régénérer ces dernières décennies, mais sous des formes différentes. En tout cas, il est incontestable que le racisme et la xénophobie sont des constantes pour l'extrême droite et le demeurent encore aujourd'hui. Atteinte d'autophilie, elle considère sa société comme une entité singulière qui doit se défendre contre tout corps étranger susceptible d'attaquer son intégrité. Elle se trouve toujours un bouc émissaire à haïr et à charger de tous les maux de la terre : Les juifs aux siècles précédents et les immigrés, musulmans en particulier, de nos jours. En ces débuts de XXIème siècle, l'extrême droite est constituée essentiellement autour des problématiques liées aux crises nationales en France et ailleurs en Europe : identité et valeurs nationales, insécurité, immigration et islam, amalgamé à l'islamisme violent. Malgré leurs différences, les adeptes de cette mouvance ont des soubassements idéologiques communs : le radicalisme dans le nationalisme, dans le traditionalisme, dans le discours politique, dans les rhétoriques anti-adversaires politiques et antisystème dans sa globalité, mais surtout dans la xénophobie et l'anti-immigration. Cette dernière, en plus d'être tenue pour responsable de l'insécurité, est perçue par la droite et une partie de la gauche comme une tare pour l'économie française. N'en déplaise à ce beau monde, la réalité, prouvée par des études sérieuses, est tout autre. D'ailleurs, le Conseil d'Analyse Economique français (CAE), placé auprès du Premier ministre, déplore dans sa note du mois de novembre 2021 que «dans le débat public, les immigrés sont souvent présentés comme un fardeau pour nos économies». A ce sujet, une série d'études, publiées le 09 novembre 2021 par le CAE, ont fait l'objet d'un article sur le magazine Challenges (A lire sur Challenges.fr) où l'on peut lire : « Une somme considérable d'études économiques démontre les bienfaits d'une immigration de travail qualifiée et diversifiée en matière d'innovation, d'entreprenariat, d'insertion dans l'économie mondiale (?.) La France n'exploite pas ces opportunités ». En d'autres termes, l'immigration est un bienfait pour l'économie, pour peu qu'elle soit bien encadrée et bien gérée. Une réponse cinglante aux innommables Eric Zemmour, Marine Le Pen et compères qui passent le plus clair de leur temps à diaboliser l'immigration et veulent la réduire à néant. Prenant comme exemple, ô combien illustratif, les Etats-Unis d'Amérique, le CAE affirme que l'immigration favorise la croissance économique. Il est dit que dans ce pays 26% des entrepreneurs sont issus de l'immigration, alors que sur la totalité de la population on n'en compte que 13%. Mieux encore, 44% des nouvelles entreprises de haute technologie de la prestigieuse Silicon Valley comptent au moins un immigré parmi leurs fondateurs. A titre comparatif, toujours selon le CAE, 24% des brevets sont déposés par des immigrés aux Etats-Unis contre seulement 8% en France. Il va sans dire qu'il est plus raisonnable et judicieux pour un pays d'offrir les conditions favorables à l'intégration économique des immigrés au lieu de les stigmatiser à longueur d'année ; ce que fait lamentablement la droite française. Le résultat en est qu'en France, selon les économistes Emmanuelle Auriol et Hillel Rapoport (source note du CAE) : « l'immigration de travail et notamment de travail qualifié reste marginale». En effet, il est rapporté dans l'article du magazine Challenges que la France, sixième puissance économique mondiale, occupe la 19ème position dans le classement de l'INSEAD (Institut européen d'administration des affaires) des pays pour attirer et retenir des talents étrangers. En clair, l'hexagone qui attirait, jadis dirions-nous, tant d'intellectuels, d'artistes et de compétences scientifiques est en phase de devenir un vague souvenir. Outre l'apport des étrangers hautement qualifiés, est-il besoin de rappeler que l'immigration fournit de la main-d'œuvre à plusieurs secteurs : bâtiment, restauration, hôtellerie et autres services. En l'occurrence, les économistes relèvent le fait que les pénuries de main-d'œuvre se sont accentuées durant la crise sanitaire en raison de l'effondrement de l'immigration. Enfin, l'étude du CAE conclut que : « la population immigrée française, bien que surreprésentée parmi les chômeurs et les bénéficiaires de certaines aides sociales, se concentre dans les tranches d'âge actives qui ont en moyenne une contribution nette positive au budget de l'Etat ». Quant à l'idée selon laquelle la France est le pays qui reçoit le plus d'étrangers, les études précitées lui opposent un démenti formel, sans appel. En 2019, le flux d'immigrés s'est élevé de 0,4% de la population française alors que la moyenne dans les autres pays riches est de 0,85%. Sur le total de la population nationale, les chiffres donnant le pourcentage d'immigrés sont encore plus éloquents : 12,8% en France ; 13,6% aux Etats-Unis ; 13,7% au Royaume-Uni ; 16,1% en Allemagne ; 19,5% en Suède et 21% en Suisse. A quelques mois des élections présidentielles, une incroyable frénésie s'est emparée de la société française et de sa classe politique. Les principaux sujets qui cristallisent l'électorat de droite, et une partie de la gauche, sont l'immigration, l'insécurité et l'Islam, mis dans le même panier. En particulier, la droite, dans toutes ses composantes, fait sienne la théorie complotiste, raciste et xénophobe du ?'grand remplacement», selon laquelle un processus de substitution des citoyens français, blancs et de culture judéo-chrétienne, par des non occidentaux, notamment musulmans d'Afrique et du Maghreb. Prosaïquement parlant, il s'agirait du remplacement d'une race occidentale pure par des populations allogènes venues d'ailleurs. Un casus belli lancé aux étrangers présents sur le territoire français et aussi aux français d'origine non occidentale ou de confession musulmane. Il est important de souligner que cette thèse a des origines antisémites, voire nazies. Le néonazisme a changé de victime, en gardant la même ligne idéologique. Certains, comme Zemmour, parlent même de guerre de civilisations menée aux Français sur leur sol. Heureusement pour lui que l'ineptie ne tue pas son auteur. Le 20 octobre 2021, l'entreprise française d'études marketing et sondages d'opinion, Harris Interactive, a publié une enquête au sujet de la théorie du ?'grand remplacement», qui charrie tant de fantasmes et de peur dans l'imaginaire des Français. Il ressort de ce sondage que six Français sur dix croient en cette thèse. Résultat qui a dû faire littéralement jubiler la droite et l'extrême droite, qui n'ont quasiment plus de frontière entre elles. Une aubaine pour donner plus de poids et de crédit à leur discours haineux sur l'immigration. Sur son compte Twitter, Zemmour écrit : « Pendant que les élites médiatico-politiques s'évertuent à traiter le Grand Remplacement de ?'théorie complotiste d'extrême droite», 61% des Français estiment qu'il va avoir lieu et 67% s'en inquiètent. Les idées que je porte sont désormais centrales dans la société française ». Pour sa part, l'eurodéputé du Rassemblement National, Jean-Lin Lacapelle, ironise sur son compte Twitter en ces termes : « Le ?'grand remplacement» est un fantasme pour une grande partie de la classe politique, mais une réalité et une inquiétude pour une large majorité de Français (67%). Agir ou disparaître ! ». D'une manière générale, au sein de la droite les débats sont fortement imprégnés d'obsession identitaire, qui confine à la névrose. Ils sont dominés par une vision dichotomique de la société, mettant en antagonisme les Français de souche occidentale, ou ?'assimilés», et le reste des citoyens. La radicalité dans la verve sur la question migratoire est devenue une option politiquement très porteuse. Du coup, on assiste à une surenchère ahurissante dans les propositions de mesures anti-immigrés. En résumé, la régression intellectuelle, génitrice d'extrémisme, et le rejet de l'étranger prennent de plus en plus pied dans l'hexagone. L'extrême-droitisation galopante de la société française ces dernières années en est la preuve. La nébuleuse raciste recrute à tout va et mord dans tous les râteliers. Son chalut se remplit à profusion de poissons de tous gabarits. Et dire que le Rassemblement National (ex-Front National) a mis près d'un demi-siècle pour se construire une base électorale appréciable, à même de lui permettre de peser sur la scène politique française. Ce parti, qui a timidement entamé son ascension à partir des années 1980, a réussi la prouesse inattendue de passer au second tour des élections présidentielles en 2002, puis en 2017, mais il a quand même perdu. Autres temps, autres valeurs, de manière spectaculaire, Eric Zemmour, avant même d'annoncer sa candidature aux élections présidentielles du mois d'avril 2022, est donné par les sondages comme sérieux concurrent d'Emmanuel Macron et potentiel futur président de la République française. Nouveau débarqué en politique, sans parti politique, il réalise un tel succès simplement grâce à un discours anti-étrangers. Ce machiavélique trublion a réussi à casser tous les verrous et libérer les démons de la haine. Toute l'extrême droite radicale s'est ralliée à sa cause : la fachosphère identitaire, les suprématistes blancs, les catholiques conservateurs, les révisionnistes, etc. On y rencontre notamment des militants du mouvement royaliste contre-révolutionnaire ?'Action Française» ainsi que des membres du groupe radical anti-immigrés ?'Génération Identitaire», qui a été dissous en mars 2021. Cerise sur le gâteau, il compte parmi ses soutiens des personnalités condamnées par la justice française, tout comme lui, pour provocation à la haine. On peut citer, entre autres, le propagandiste du grand remplacement, Renaud Camus, ou encore le négationniste et antisémite Hervé Ryssen. Il est fort à parier que ce ramassis de haineux radicalisés, qui a porté au pinacle le sieur Zemmour, pourrait le hisser sur le trône de France. L'ascension fulgurante du polémiste renseigne sur le fait que la France tourne de plus en plus le dos aux valeurs humaines universelles et à ses propres valeurs d'antan. Elle a tendance à se refermer sur elle-même et à se rabougrir avec le temps. Un repli qui se manifeste par l'amorce, depuis quelque temps, d'un changement de paradigme en matière de politique migratoire et de respect des droits humains fondamentaux, s'orientant vers la radicalisation et la remise en cause des valeurs héritées du ?'siècle des lumières». Rien d'étonnant lorsque les sages têtes pensantes d'un pays cèdent la place à d'exubérants verbeux qui ne mesurent pas la portée de leur discours et les conséquences qui en découlent. Et par leur impassibilité, par leur laxisme face à de graves dérives, les pouvoirs publics font le lit du néonazisme. Le pire est aux portes de l'hexagone. Aux générations futures, on racontera l'histoire de ?' blanche Marianne» qui se laissa un jour séduire par la bête immonde. *Professeur - Ecole Nationale Supérieure de Technologie |
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