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Centrafrique : 2ème intervention militaire française cette année en Afrique

par Pierre Morville

Dûment mandaté par l'ONU, Paris intervient en Centrafrique pour une opération peut-être plus complexe qu'au Nord-Mali. Mais toujours sans aucune solidarité de ses alliés européens?

Les Français colonisèrent cette région à la fin du XIXème siècle en l'administrant sous le nom d'Oubangui-Chari. Ce pays grand comme la France mais peuplé seulement de cinq millions d'habitants, se partage entre savanes et forêt équatoriale. Il n'a pas d'accès à la mer et est enclavé entre cinq autres pays le Cameroun, le Tchad, le Soudan, la République du Congo et la République démocratique du Congo. La plupart de ces pays traversent eux-mêmes régulièrement des situations de crises politiques aigues, le tout sous fond d'une grande pauvreté générale dans la région.

La République centrafricaine où aujourd'hui, la moitié de la population est en très forte insécurité alimentaire, ne manque pourtant pas de ressources. Les richesses du sous-sol (diamant, or, uranium, pétrole) et de l'exploitation agricole (coton, bois) font surtout l'objet de trafics et suscitent l'intérêt de nombreuses compagnies et états étrangers, européens, nord-américains mais également de la Chine et de l'Afrique du Sud.

Le pays est devenue est devenue la " République centrafricaine " en décembre 1958 mais proclame curieusement son indépendance qu'un an et demi plus tard, le 13 août 1960. Le premier chef de l'État, Barthélemy Boganda, est considéré comme le père de la nation centrafricaine. Parlementaire français, il prônait depuis longtemps l'indépendance des colonies et avait proposé la création d'un État d'Afrique centrale unique, regroupant Gabon, Congo, Cameroun et Centrafrique. Il y voyait la seule solution permettant d'éviter l'éclatement de la région en territoires trop petits, non viables, et sans rôle à jouer sur la scène internationale. " Il meurt le 29 mars 1959, peu après son élection, dans un accident d'avion dont les causes n'ont jamais été élucidées " (Wikipedia).

De l'empire de pacotille à la guerre interethnique

En 1965, lors du " coup d'État de la Saint-Sylvestre ", Jean-Bedel Bokassa renverse son cousin David Dacko et prend le pouvoir. Le 4 décembre 1976, il devient l'empereur Bokassa Ier et met en place une politique très répressive dans tout le pays. Il se rapproche également de Mouamar Kadhafi, ce qui gène l'état français et sa politique au Tchad. En septembre 1979, " l'opération Barracuda ", organisée par la France, renverse Bokassa et remet au pouvoir David Dacko.

Ce n'est que l'un des épisodes d'une longue suite de coups d'état : sur les huit chefs d'état qu'a connu la République centrafricaine, seul Ange Patassé est arrivé au pouvoir par les urnes en 1993 ! La faiblesse et la quasi inexistence de l'état qui n'accomplit que très peu de ses fonctions régaliennes vis-à-vis de sa population, notamment en matière de sécurité physique ou alimentaire explique en grande partie la paupérisation croissante de cette population et l'apparition de frictions interethniques de plus en plus violentes. " La Centrafrique est l'exemple type d'un Etat fragile ou failli, enclavé, entouré de 8 pays en situation de forte insécurité et instabilité, note Philippe Hugon, chercheur à l'IRIS, les conflits renvoient à un enchevêtrement de facteurs où s'enchaînent l'Etat parasitaire, la criminalité, l'extrême pauvreté, la marginalisation des populations du Nord et les rivalités pour le contrôle des ressources, à commencer par le diamant ".

Les groupes armés et les milices tiennent le pays. La Séléka s'est constituée en août 2012 en regroupant plusieurs mouvances dissidentes venant du Nord et est composée essentiellement de Musulmans. Elle était descendue jusqu'aux portes de Bangui en décembre et avait participé aux accords de Libreville de janvier 2013. " Mais le 23 mars 2013, François Bozizé a été chassé par la force de la Séléka et par Michel Djotodia, un des chefs rebelles qui s'est autoproclamé chef d'Etat le 25 mars, tout en maintenant en place le premier ministre Nicolas Tiangaye. Seule l'Afrique du Sud avait soutenu alors le président Bozizé. Le Tchad et le Soudan ont favorisé l'arrivée au pouvoir de Djotodia "rappelle Philippe Hugon. Ce nouveau coup d'état a précipité l'aggravation de la crise chronique que subit ce pays où l'on voit aujourd'hui 400 000 personnes déplacées, 70 000 réfugiés et la multiplication des violations des droits de l'Homme. Les exactions des rebelles de Séléka ont conduit en riposte à la constitution de groupes d'auto-défense chrétiens (" anti-balaka ") qui pratiquent une égale propension aux meurtres de masse. " Les affrontements ont pris une dimension ethno-régionale et religieuse malgré le rôle d'apaisement des différents responsables religieux. Les éléments d'une guerre civile voire d'une situation pré-génocidaire, selon les propos de Laurent Fabius, sont présents ", précise le chercheur de l'IRIS.

Le tout dans une extrême indifférence de l'opinion mondiale. La France a longtemps considéré que le conflit était interne à la Centrafrique et qu'elle ne devait pas intervenir sauf pour protéger les 1500 ressortissants français et assurer la sécurité de Bangui et le contrôle de l'aéroport, poumon économique du pays. Les sonnettes d'alarme des ONG ont finit par se faire entendre. " Un scénario de génocide n'est pas purement hypothétique " s'alarmait ainsi il y a quelques jours la commissaire européenne chargée de l'Aide humanitaire, Kristalina Georgieva.

Une intervention française très solitaire

Après l'opération " Serval " au Mali, le gouvernement français a donc décidé de " remettre ça " en Centrafrique : Le 5 décembre 2013, le Conseil de sécurité de l'ONU a voté à l'unanimité, dans le cadre du Chapitre VII, le recours à la force face à une menace avérée contre la paix et la sécurité internationale en Centrafrique. Il officialise la mission internationale de soutien en Centrafrique (MISCA) déjà sur place avec 2500 hommes qui doit passer à 3600 hommes. Le mandat est de douze mois avec possibilité d'envoi de casques bleus pouvant aller de 6000 jusqu'à 9000 hommes. Il donne le feu vert à la force militaire française pour rétablir l'ordre, sécuriser les axes routiers, permettre un accès humanitaire et le retour des populations civiles dans leurs villages. L'objectif déclaré est à terme de restaurer l'ordre constitutionnel, de permettre des élections avant février 2015 avec pour préalable le désarmement, le cantonnement et le démantèlement des troupes armées.

L'intervention militaire française au Mali, pour aboutir positivement avec une vraie conciliation nationale et un redressement économique du pays, exigera un certain temps. L'intervention française en Centrafrique risque de durer encore plus longtemps : " Si elle veut avoir la moindre chance de réussir en RCA et ne pas être condamnée à répéter les erreurs du passé, la communauté internationale doit cesser de disperser ses efforts et agir de manière cohérente. Elle doit mobiliser, expliquait dans Libération, Jocelyn Coulon, chercheur canadien, d'importantes ressources humaines, matérielles et financières. Elle doit doter les forces de maintien de la paix d'un solide mandat de réconciliation nationale et de reconstruction. Elle doit avoir la patience de rester dans le pays aussi longtemps qu'il le faut, c'est-à-dire entre dix et vingt ans ". L'affaire est d'autant plus complexe que la MISCA, qui doit constituer le cadre d'une opération interafricaine est loin d'être réellement constituer par manque de formation des troupes , d'armement et de coordination entre les différents gouvernements des états africains qui la parrainent. L'opération " Sangaris " en Centrafrique est pour l'essentiel, uniquement française, avec 1600 hommes sur le terrain. Comme lors de l'opération lancée au Mali en janvier dernier, Paris se trouve très seul sur le terrain. Avec trois dangers principaux. " A ce jour, les risques d'échec existent car la tâche est plus " policière " que " militaire "et les forces armées françaises n'y sont pas nécessairement préparées. Dument mandatée par l'ONU, la France aura à la fois pour tâche de préserves la population contre des exactions qui sont pratiqués dans tous les camps, empêcher une guerre civile voire un génocide, tout en organisant le plus tôt possible (en 2014 ? en 2015?) des élections qui devraient sceller la réconciliation nationale, notamment par un dialogue interreligieux, le tout en reconstruisant l'état centrafricain et en organisant un strict contrôle des richesses du sous-sol et du sol. Vaste projet ! " Le risque d'une extension régionale du conflit est le second sujet de préoccupation : " La Centrafrique révèle la faiblesse des armées africaines régionales - logistique, financement, motivation, clarté du mandat- et les difficultés d'une " pax africana ". Or les conflits ont tous une dimension régionale et l'extension d'un conflit à partir d'une étincelle localisée dans un territoire peut embraser une région " explique Philippe Hugon qui rappelle les contagions en Centrafrique des conflits du Darfour et du Soudan, l'interventionnisme de l'état tchadien, les contrecoups des crises du voisin, la République démocratique du Congo ou la présence dans le pays de " l'Armée de résistance du Seigneur de Kony " venu d'Ouganda.

Hypocrisie et incurie européenne

" La France se débat également dans des problèmes de " gros sous ", crise économique oblige. La Défense est le troisième budget de l'Etat derrière l'Education nationale et la charge de la dette, elle est aussi le premier budget en termes d'investissements publics. 31 milliards et demi d'euros par an (1 et demi% de la richesse nationale). 650 millions d'euros d'économies sont prévues en crédits d'équipement dans le collectif budgétaire 2013, 60% des réductions de fonctionnaires seront assurés par la seule Défense. Or il faudra 580 millions pour financer les interventions au Mali et en Centrafrique, dépenses nouvelles?

Ancienne puissance coloniale, " La France se débat pour que l'opération Sangaris ne soit pas perçue comme une approche néocoloniale, explique le site Guinée Conakry Infos, elle a attendu l'obtention du quitus onusien, avant d'y envoyer ses troupes ". Paris, à ce jour a souhaité obtenir une aide concrète des ses grands et très chers alliés européens. Bernique ! Les grandes capitales européennes évoquent toujours avec trémolo la défense des droits de l'Homme et stipendient avec horreur les exactions contre les populations. Mais c'est " Armons-nous et partez ! " : quand il faut y aller ou simplement mettre la main au portefeuille, ne serait-ce que pour apporter une aide financière à l'humanitaire, tout le monde toussote, regarde ses pieds et passe au sujet suivant. La France a ainsi sollicité ses alliés pour un soutien à l'intervention voulue par l'ONU en Centrafrique : pour l'instant, la pêche est maigre?, " le déploiement de 150 militaires belges est envisagé, mais la plupart des pays renâclent à aller au-delà d'une aide logistique(?) Les candidats ne se bousculent pas. Les pays susceptibles de prêter main-forte aux Français sur le terrain - Pays-Bas, Autriche, Allemagne, Grande-Bretagne, Pologne - ont affirmé ne pas envisager l'envoi de soldats en Centrafrique " (Le Figaro).

 Les chefs d'État et de gouvernement européens se retrouvent, aujourd'hui, jeudi, avec la sécurité et la défense européenne à leur ordre du jour. La situation en Centrafrique montre les limites d'une politique de défense européenne. Pour un continent en paix depuis près de 70 ans, les budgets de défense sont un sujet loin d'être prioritaires, voire politiquement incorrecte. Le Danemark s'est ainsi exclut volontairement de toute réflexion commune des 28 pays adhérents de l'UE sur le sujet. La seconde raison est plus prosaïque, avec la prosopopée éternelle des " restrictions budgétaires " : les derniers chiffres de l'Agence de défense européenne sont éloquents. Dans une période de 5 ans (2006 - 2011), les budgets de la défense ont fondu de 10% ! Et la dégringolade devrait continuer, les budgets européens pourraient ainsi passer, en dix ans, de 220 milliards à 147 milliards d'euros.