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En Algérie, on
parle de guerre au sommet du pouvoir comme on parle d'une querelle entre
voisins.
C'est le temps des histoires. Des histoires politiques, des histoires de pouvoir, de combines, voire de complots, impliquant des hommes très puissants, avec des faits se déroulant dans des cercles supposés très fermés, mais qui, en Algérie, sont étalées sur la voie publique et racontées dans des journaux de seconde. Commentées dans les cafés des quartiers populaires et analysées dans les salons branchés d'Alger, ces histoires ont remplacé l'activité politique, supplanté l'analyse, et réduit la sociologie politique à une simples succession d'anecdotes collectées dans des journaux de couleur jaune. Ce sont des histoires qui plaisent au public. Elles réussissent à capter son attention, et le tiennent parfois en haleine, lui donnant l'impression, ou l'illusion, qu'il se passe quelque chose dans le pays. Comme cette histoire, répandue il y a quelques semaines, selon laquelle le président Abdelaziz Bouteflika aurait créé une commission chargée du suivi des questions de défense. Citant des sources très informées, des journaux ont rapporté que le chef de l'Etat aurait nommé le premier ministre Abdelmalek Sellal à la tête de cette structure, qui exerce désormais une partie des prérogatives du fameux Conseil national de sécurité, l'organe qui a décidé de mettre fin au processus électoral en 1992. A en croire des analystes très au fait de ce qui se passe, la commission en question serait chargée de questions aussi diverses que la logistique, la gestion des nominations d'officiers supérieurs et les achats d'armement. Quelques jours plus tard, cependant, l'information était remise en cause. Des journaux tout aussi informés ont annoncé que, tout compte fait, le président Bouteflika s'est rétracté, et a décidé d'annuler la décision créant cette structure. Pourquoi ? Parce que la commission en question aurait empiété sur les prérogatives du général Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée et vice-ministre de la défense. N'avait-on pas fait, peu auparavant, du général Gaïd Salah le nouvel homme fort de l'armée, celui sur lequel s'appuierait le président Abdelaziz Bouteflika pour contrer le plus célèbre général algérien, Toufik Mediène, patron du DRS ? Gaïd Salah serait personnellement allé voir le chef de l'Etat pour s'expliquer avec lui, et il aurait finalement obtenu gain de cause, assuraient des personnes qui, à force de fournir des détails, donnaient l'impression d'avoir assisté à la rencontre. Quelques semaines auparavant, une autre musique avait été entendue en Algérie. Le président Bouteflika avait enfin réussi à mettre au pas le DRS et son patron Toufik Mediène, disait-on. Il a enlevé au DRS l'essentiel de ses prérogatives. Le service de presse de l'armée, véritable ministère de la communication, est désormais placé sous la tutelle de l'état-major, et échappe au DRS. Dans le même temps, le service de police judiciaire du DRS, à qui ont été attribués de nombreuses enquêtes sur la corruption ayant débouché sur des scandales, comme l'affaire Sonatrach, a été lui aussi placé sous l'autorité du chef d'état-major. Parallèlement à tous ces chamboulements, le service de la sécurité de l'armée, structure sensible s'il en est, dirigé par le général Mehenna Djebbar, est passé sous le contrôle du chef d'état-major de l'armée, tout en changeant de patron. Autant de changements ne pouvaient avoir qu'une signification : un nouvel équilibre au sommet du pouvoir est en train de s'instaurer. Cette thèse était étayée par les révélations fracassantes d'un nouvel intervenant, totalement inattendu sur ce terrain. Amar Saadani, fraichement élu-désigné à la tête du FLN, a défrayé la chronique en réclamant que le DRS cesse de s'immiscer dans la vie politique. «Aucun département n'a le droit de s'impliquer dans la vie politique, la justice et la presse. Il faut en finir avec le pouvoir parallèle », a déclaré Amar Saadani. « Le DRS continuera à jouer son rôle mais ne sera plus impliqué dans la politique», affirmait un Saadani particulièrement sûr de lui, ajoutant, dans ce qui apparaissait comme un avertissement, que « le temps des faiseurs de rois est révolu ». Voilà ce qui s'appelle de la transparence. Et qui prouve qu'en Algérie, on sait désormais tout. Il n'y a plus de tabou, plus aucun thème n'est interdit. Tout est exposé sur la voie publique. L'organigramme du DRS et ses prérogatives, la tutte au sommet du pouvoir et les tribulations de Saadani, plus rien n'échappe à l'œil vigilant des citoyens et des analystes. Seuls quelques détails, insignifiants, sont entourés d'un peu d'opacité. On ne sait pas, par exemple, si le président de la République est réellement président, si les présidentielles auront lieu, si le chef de l'Etat va briguer un nouveau mandat, s'il pourra faire campagne, si la constitution va être révisée, et s'il y aura d'autres candidats face au chef de l'Etat. Mais ce ne sont que des détails insignifiants. |
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